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La propriété intellectuelle peut-elle garantir un avenir durable?

22/08/2013





Appropriation globale de la nature
Le secteur de l’agriculture reste l’une des références en termes d’appropriation de la nature. Bon nombre de procès sont en effet intentés, dont plus de 100 actuellement aux États unis pour « violation de propriété. » L’affaire Percy Schmeise contre Monsanto Canada Inc, en 1997, constitue notamment l’un des exemples les plus concrets qui illustrent cette appropriation globale. Monsanto a porté plainte contre l’agriculteur canadien, Percy Schmeiser, pour avoir utilisé des semences de colza Round Up Ready, alors issues d’un gène modifié par Monsanto. Il s’avère cependant que la pollinisation s’est faite naturellement, sans intervention artificielle de Percy Schmeiser. Il s’agit ainsi d’un simple processus naturel, qui ne fait que confirmer le caractère même du vivant, notamment sa capacité infinie à se reproduire . Cela signifie également que sans autorisation, Monsanto aurait pu faire irruption dans des propriétés privées via son gène modifié, ayant ou n’ayant tout simplement pas le contrôle sur la reproduction du vivant. Après décision de la Cour, M. Schmeiser a pourtant été jugé coupable.
 
Les expériences réalisées sur le vivant se fondent principalement sur la modification de ses caractéristiques, afin de pouvoir s’en approprier. Les semences se retrouvent notamment sujettes à différentes manipulations génétiques pour des réalisations souvent commerciales. Afin de faire face à la concurrence, et détenir réellement le monopole sur le marché, le biologique est éliminé pour donner place à de l’artificiel plus rentable, mais surtout unique. La capacité de reproduction des semences est notamment substituée ou tout simplement supprimée, afin d’éliminer le « privilège de l’agriculteur ». Il s’agit d’une transformation du vivant lui-même en matière morte, dans le but de gagner sur le marché. Et si cette pratique a été interdite par une campagne internationale, elle est ouvertement autorisée par le système de brevets, et est particulièrement signée par les grands acteurs de l’agriculture.
 
Les connaissances de base sur la nature, ainsi que les activités traditionnelles, incluant notamment le croisement, la sélection ou encore la conservation des semences, sont désormais considérées comme sans droit et sans valeur. La semence obtenue par modification devient le point de départ de tout programme de création, au détriment des réelles capacités de la nature.
 
Si le cas des semences reste l’une des références illustrant la privatisation de la propriété de la nature, il ne s’agit apparemment que d’un premier pas. L’appropriation du vivant devient en effet, de plus en plus, un élément essentiel aux entreprises pour percer le monopole sur le marché. Une demande de brevet vient notamment d’être déposée par Monsanto Canada Inc. pour une séquence génétique de porc. La firme a isolé des gènes, permettant notamment un meilleur développement de l’animal. Selon des associations d’agriculteurs, cette séquence serait présente chez environ 75% des porcs. Il s’agit d’un brevet d’une importance capitale pour les acteurs dans le domaine, étant donné qu’une simple reproduction devrait faire l’objet d’une déclaration, afin d’écarter les risques d’« infraction ».
 
Désormais, le système de brevets, et particulièrement en ce qui concerne le vivant, forme plus un moyen pour les grands groupes de gagner sur le marché international. La nature, un bien commun, se vide de plus en plus de ses capacités et de ses différentes caractéristiques pour donner place à l’artificiel, beaucoup plus intéressant pour les investisseurs. Un phénomène qui rappelle le pamphlet de Frédéric Bastiat. Les Fabricants de Chandelles avaient déposé une requête en 1845, selon laquelle toute entrée à travers laquelle le soleil peut pénétrer doit être éliminée afin de ne pas nuire à leurs industries.
 
Il est indéniable que les droits de propriété sur le vivant présentent des risques de grande importance quant à la sauvegarde de la nature. Contamination, mais également réduction de la biodiversité… le groupe chimiste BASF s’est notamment associé avec Monsanto Canada inc. pour produire de nouvelles semences de coton, soja, maïs, ou encore colza, afin de garantir un meilleur marché. Les véritables agriculteurs s’en retrouvent automatiquement menacés. Tandis que leur quête reste la protection de la globalité du vivant ainsi que de son unicité et de sa variabilité, les grandes industries se centrent en effet surtout sur les moyens de rendre les semences plus productives, via diverses modifications, et comptent bien évidemment protéger leurs inventions par diverses formes de brevets, limitant les activités des sélectionneurs et des agriculteurs. La nature perd sa réelle valeur, au profit d’un marché, certes rentable. Les connaissances traditionnelles sont piratées, les recherches sont concentrées sur seulement quelques espèces jugées comme de bons investissements… l’on ne peut sûrement pas nier que les droits d’exploitation, de jouissance et de propriété incorporelle représentent une menace pour l’équilibre de tout le système naturel.
 
La nature, un bien commun
Si les droits de propriété sur le vivant se développent actuellement à l’échelle mondiale, les textes sur les droits socio-économiques et culturels évoqués par le Pacte international de 1966 indiquent explicitement le caractère res communis de la nature. « Tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles… » pour assurer leur « développement économique, social et culturel. »  Et « en aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. » En 1992, la Convention de Rio sur la diversité biologique, et en 2000, le Protocole sur la bio sécurité de Carthagène, contredisent également la mise en place de ce nouveau régime de propriété par les ADPIC.
 
La CDB met tout aussi bien l’accent sur le droit souverain des États à jouir de leurs ressources biologiques, tandis que les ADPIC orientent les droits de propriété vers un système privé et individuel, particulièrement destiné à des fins  commerciales. Selon les accords sur les ADPIC, la sauvegarde de la biodiversité est remise entre les mains d’institutions privées, écartant ainsi le concept de souveraineté et de bien commun. Les Conventions internationales indiquent pourtant que les ressources naturelles devraient être entièrement confiées aux États et aux peuples.
 
Ceci étant, le principe de division du vivant en éléments simples a su réduire la valeur même de ce dernier. La nature se retrouve désormais artificialisée, et le vivant ne représente plus qu’une simple ressource biologique. Il reste que les caractéristiques du vivant demeurent infinies, ne pouvant réellement faire l’objet d’un droit de propriété.

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