Que révèle la crise du coronavirus sur nos modes de vie, notamment en milieu urbain ?
Pendant le confinement, les citadins ont découvert le temps, un autre mode de vie, d’être ensemble, avec leurs enfants, d’être en famille, de faire à manger, de prendre soin des autres. Un autre rythme de vie s’est installé et ce n’est pas anodin. Nous ne voulons plus vivre dans des villes anonymes où tout le monde est pressé. Pendant des semaines, nous avons assisté à « Questions pour un balcon » et à des récitals aux fenêtres. Une nouvelle sociabilité urbaine de voisinage s’est créée, les gens ont découvert leur proximité. Ils ont découvert des choses qu’ils ne regardaient jamais.
Pensez-vous que le « monde d’avant » va revenir à la charge ?
« Nous avons tous peur de voir le monde d’avant reprendre ses droits, et c’est légitime puisque c’est le seul modèle que nous connaissons. Mais personnellement, j’ai beaucoup d’espoir car je sens la jeunesse pousser derrière. Je pense que c’est un phénomène qui a un sens dans le cadre de la problématique climatique. Evidemment, si nous isolons ce phénomène de l’urgence climatique, nous reviendrons à la vie d’avant. »
En tant que scientifique des villes, vous faites la promotion de la ville du ¼ d’heure. Est-elle à même d’offrir une meilleure qualité de vie ?
Il y a cinq ans, nous avons développé un nouveau concept : l’urbanisme par les usages. De quels nouveaux services avons-nous besoin ? Quels nouveaux usages allons-nous avoir ? Cela ne sert plus à rien de faire davantage d’infrastructures pour aller plus vite et plus loin. Il nous faut déjà mieux utiliser celles qui existent déjà. Il faut changer la forme de la ville. Car toutes les infrastructures que nous avons créées n’ont pas changé la manière de vivre dans la ville, elles épousaient les formes de la ville. Changer la ville, c’est ce que nous faisons avec la ville du ¼ d’heure.
Le concept du chrono-urbanisme de la ville du ¼ d’heure vient remettre en question la forme de la ville. Il faut une vision multipolaire, rapprocher les services des gens, donner plus d’importance au local, retisser les liens de voisinage, sortir du statut social imposé par le monde du travail qui humilie les gens qui n’en ont pas, sortir de cette ville gendrée où la voiture est associée au masculin. La ville multicentrique est là pour dynamiter tout ça. Nous changerons la forme de la ville par nos usages.
Quand on annonce vouloir fermer les voies sur berges à Paris pour créer un parc urbain afin de favoriser une nouvelle proximité, quand on crée des quartiers appelés ‘Paris respire’ dans lesquels il n’y aurait que des piétons, quand on crée des lieux gratuits pour les jeunes au cœur des Halles, quand on dit que le métro doit être gratuit pour les plus de 65 ans et les moins de 20 ans, on va vers des changements majeurs de l’organisation de la vie urbaine.
Quelle pourrait être la place de la voiture dans une ville comme Paris ? Comment aménager ce qui existe pour rendre le trafic plus agréable et durable ?
Prenons l’exemple du périphérique parisien qui est un récit qui nous montre comment la ville a été façonnée à une certaine époque, avec le paradigme de la ville productiviste. Il a été construit pour affirmer la puissance de la voiture, pour affirmer la puissance du béton, pour affirmer la puissance de la minéralité. Tous ces éléments majeurs ont construit la ville dans les années 60-70. On a bétonné, on a construit des axes pour aller plus vite, pour aller plus loin. A l’époque, on se moquait que les gens puissent mettre 1h30 pour aller à leur travail le matin, du moment que le périph était là. Il faisait partie du ‘vivre dans la ville’.
Aujourd’hui, en 2020, je fais partie des gens qui considèrent que ce périphérique, pour reprendre cet exemple, est une blessure urbaine puisqu’il représente un monde dont nous ne voulons plus, il représente également une coupure entre Paris intramuros et ce qui est devenu la métropolisation du territoire avec les trois départements voisins (92, 93 et 94). Le périphérique représente cette incapacité à créer des passerelles et des liens. Aujourd’hui, il est voué à disparaître dans sa fonction actuelle. A terme, il deviendra quelque chose ayant un usage différent, avec une voie pour la mobilité à 4 roues la moins carbonée possible, une voie intermédiaire végétalisée, et une voie pour les vélos. Inévitablement, le périphérique va changer dans son usage.
Quelle doit être la nouvelle direction prise pour construire les villes de demain ?
Il faut se poser les bonnes questions. C’est quoi, aujourd’hui, vivre dans la ville ? Quelles sont les fonctions sociales de la ville ? Qu’est-ce qui rend quelqu’un heureux ? La vraie intelligence, d’un point de vue scientifique, réside dans notre capacité d’adaptation. Il faut savoir répondre à l’imprévu puisque nous ne sommes pas en capacité, dans des systèmes complexes, d’avoir une vue globale, analytique et déterministe. L’adaptation la plus urgente est celle à faire face au changement climatique, à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. En résumé, les citadins sont à la recherche d’une meilleure qualité de vie.
La ville intelligente est-elle une réponse à ces enjeux ?
Par le passé, j’ai beaucoup travaillé sur la question de la ville intelligente. J’avais une start-up florissante, Sinovia. En 2010, j’avais par exemple développé le système de lampadaires intelligents qui variaient leur intensité lumineuse en fonction de la fréquentation de la rue, et sur lesquels on pouvait brancher de nombreux équipements différents. A l’époque, GDF-Suez a racheté ma start-up pour développer les projets. C’était une belle aventure. Pourtant, les sommes colossales investies par des grandes sociétés comme IBM, Cisco ou HP pour les ‘smart cities’ n’ont mené à pas grand-chose.
La ville intelligente et technocratique s’est intéressée à apporter des infrastructures pour rendre la ville plus performante – de la même manière où l’on dit que la croissance du PIB va engendrer de la qualité de vie : cela est faux. Nous nous sommes donc dit qu’il fallait plutôt aménager la vie dans la ville que d’aménager les infrastructures urbaines.
Il y a 10 ans, nous regardions le tout-technologique comme un graal, parce qu’internet était frais, que les algorithmes tournaient à plein régime. Nous étions en train de découvrir l’économie des plateformes. Ensuite, en 2012-2013, l’open data est arrivé, les villes ont compris que c’était à elles de s’approprier les données, que c’était à elles de s’approprier les plateformes. Nous avons alors vu un nouvel usage de la technologie au service des villes pour développer leurs propres plateformes. Cela a donné de l’élan à des solutions, car la technologie n’était qu’un moyen pour aider à résoudre des problèmes complexes. Nous avons ainsi pu développer à Lyon puis à Paris le vélo partagé, nous avons pu améliorer les circuits de distribution de l’eau, nous avons mis en place le monitoring du contrôle de la qualité de l’air, ainsi que des mesures pour l’efficacité énergétique des bâtiments… Les avancées technologiques ont servi la capacité des villes à faire face aux problématiques principales qui restent toujours écologique, économique et sociale.
Dans ce nouveau monde, comment la vie en entreprise va-t-elle s’adapter ?
Ce qui se passe avec les entreprises est très intéressant. Il y a un mouvement de fond sur le changement de modèle, en faveur de la ville du ¼ d’heure. Et même parmi les plus coriaces : j’ai reçu des appels par de grandes sociétés du BTP qui veulent réfléchir à une manière de construire différemment, qui veulent travailler des ilots à taille humaine, faire de la densité organique, introduire des matériaux naturels (bois, terre), créer des bâtiments multifonctionnels. Le design urbain est en train de changer, les entreprises vont être au cœur de ce changement. Elles sont d’ailleurs nombreuses à se demander comment leurs collaborateurs viennent travailler chez elles, à réfléchir au télétravail, à tout ce pourrait être en adéquation avec ce que recherchent les salariés.
Une société comme PSA est en train de dire que la nouvelle règle sera le télétravail et l’exception le travail au bureau, on n’a jamais vu ça ! Dans le secteur de l’informatique, les entreprises travaillent la data science, la géolocalisation et la cartographie pour optimiser la vie dans la ville… J’ai été agréablement surpris quand Bruno Cavagné, le président de la FNTP (Fédération nationale des travaux publics) – qui fait partie du MEDEF – a sorti son livre en novembre dernier, intitulé Nos territoires brûlent. Son propos est de dire qu’il faut rapprocher le travail des gens par rapport à l’endroit où ils habitent. J’étais fier que Bruno Cavagné se soit rangé au chrono-urbanisme.
Pendant le confinement, les citadins ont découvert le temps, un autre mode de vie, d’être ensemble, avec leurs enfants, d’être en famille, de faire à manger, de prendre soin des autres. Un autre rythme de vie s’est installé et ce n’est pas anodin. Nous ne voulons plus vivre dans des villes anonymes où tout le monde est pressé. Pendant des semaines, nous avons assisté à « Questions pour un balcon » et à des récitals aux fenêtres. Une nouvelle sociabilité urbaine de voisinage s’est créée, les gens ont découvert leur proximité. Ils ont découvert des choses qu’ils ne regardaient jamais.
Pensez-vous que le « monde d’avant » va revenir à la charge ?
« Nous avons tous peur de voir le monde d’avant reprendre ses droits, et c’est légitime puisque c’est le seul modèle que nous connaissons. Mais personnellement, j’ai beaucoup d’espoir car je sens la jeunesse pousser derrière. Je pense que c’est un phénomène qui a un sens dans le cadre de la problématique climatique. Evidemment, si nous isolons ce phénomène de l’urgence climatique, nous reviendrons à la vie d’avant. »
En tant que scientifique des villes, vous faites la promotion de la ville du ¼ d’heure. Est-elle à même d’offrir une meilleure qualité de vie ?
Il y a cinq ans, nous avons développé un nouveau concept : l’urbanisme par les usages. De quels nouveaux services avons-nous besoin ? Quels nouveaux usages allons-nous avoir ? Cela ne sert plus à rien de faire davantage d’infrastructures pour aller plus vite et plus loin. Il nous faut déjà mieux utiliser celles qui existent déjà. Il faut changer la forme de la ville. Car toutes les infrastructures que nous avons créées n’ont pas changé la manière de vivre dans la ville, elles épousaient les formes de la ville. Changer la ville, c’est ce que nous faisons avec la ville du ¼ d’heure.
Le concept du chrono-urbanisme de la ville du ¼ d’heure vient remettre en question la forme de la ville. Il faut une vision multipolaire, rapprocher les services des gens, donner plus d’importance au local, retisser les liens de voisinage, sortir du statut social imposé par le monde du travail qui humilie les gens qui n’en ont pas, sortir de cette ville gendrée où la voiture est associée au masculin. La ville multicentrique est là pour dynamiter tout ça. Nous changerons la forme de la ville par nos usages.
Quand on annonce vouloir fermer les voies sur berges à Paris pour créer un parc urbain afin de favoriser une nouvelle proximité, quand on crée des quartiers appelés ‘Paris respire’ dans lesquels il n’y aurait que des piétons, quand on crée des lieux gratuits pour les jeunes au cœur des Halles, quand on dit que le métro doit être gratuit pour les plus de 65 ans et les moins de 20 ans, on va vers des changements majeurs de l’organisation de la vie urbaine.
Quelle pourrait être la place de la voiture dans une ville comme Paris ? Comment aménager ce qui existe pour rendre le trafic plus agréable et durable ?
Prenons l’exemple du périphérique parisien qui est un récit qui nous montre comment la ville a été façonnée à une certaine époque, avec le paradigme de la ville productiviste. Il a été construit pour affirmer la puissance de la voiture, pour affirmer la puissance du béton, pour affirmer la puissance de la minéralité. Tous ces éléments majeurs ont construit la ville dans les années 60-70. On a bétonné, on a construit des axes pour aller plus vite, pour aller plus loin. A l’époque, on se moquait que les gens puissent mettre 1h30 pour aller à leur travail le matin, du moment que le périph était là. Il faisait partie du ‘vivre dans la ville’.
Aujourd’hui, en 2020, je fais partie des gens qui considèrent que ce périphérique, pour reprendre cet exemple, est une blessure urbaine puisqu’il représente un monde dont nous ne voulons plus, il représente également une coupure entre Paris intramuros et ce qui est devenu la métropolisation du territoire avec les trois départements voisins (92, 93 et 94). Le périphérique représente cette incapacité à créer des passerelles et des liens. Aujourd’hui, il est voué à disparaître dans sa fonction actuelle. A terme, il deviendra quelque chose ayant un usage différent, avec une voie pour la mobilité à 4 roues la moins carbonée possible, une voie intermédiaire végétalisée, et une voie pour les vélos. Inévitablement, le périphérique va changer dans son usage.
Quelle doit être la nouvelle direction prise pour construire les villes de demain ?
Il faut se poser les bonnes questions. C’est quoi, aujourd’hui, vivre dans la ville ? Quelles sont les fonctions sociales de la ville ? Qu’est-ce qui rend quelqu’un heureux ? La vraie intelligence, d’un point de vue scientifique, réside dans notre capacité d’adaptation. Il faut savoir répondre à l’imprévu puisque nous ne sommes pas en capacité, dans des systèmes complexes, d’avoir une vue globale, analytique et déterministe. L’adaptation la plus urgente est celle à faire face au changement climatique, à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. En résumé, les citadins sont à la recherche d’une meilleure qualité de vie.
La ville intelligente est-elle une réponse à ces enjeux ?
Par le passé, j’ai beaucoup travaillé sur la question de la ville intelligente. J’avais une start-up florissante, Sinovia. En 2010, j’avais par exemple développé le système de lampadaires intelligents qui variaient leur intensité lumineuse en fonction de la fréquentation de la rue, et sur lesquels on pouvait brancher de nombreux équipements différents. A l’époque, GDF-Suez a racheté ma start-up pour développer les projets. C’était une belle aventure. Pourtant, les sommes colossales investies par des grandes sociétés comme IBM, Cisco ou HP pour les ‘smart cities’ n’ont mené à pas grand-chose.
La ville intelligente et technocratique s’est intéressée à apporter des infrastructures pour rendre la ville plus performante – de la même manière où l’on dit que la croissance du PIB va engendrer de la qualité de vie : cela est faux. Nous nous sommes donc dit qu’il fallait plutôt aménager la vie dans la ville que d’aménager les infrastructures urbaines.
Il y a 10 ans, nous regardions le tout-technologique comme un graal, parce qu’internet était frais, que les algorithmes tournaient à plein régime. Nous étions en train de découvrir l’économie des plateformes. Ensuite, en 2012-2013, l’open data est arrivé, les villes ont compris que c’était à elles de s’approprier les données, que c’était à elles de s’approprier les plateformes. Nous avons alors vu un nouvel usage de la technologie au service des villes pour développer leurs propres plateformes. Cela a donné de l’élan à des solutions, car la technologie n’était qu’un moyen pour aider à résoudre des problèmes complexes. Nous avons ainsi pu développer à Lyon puis à Paris le vélo partagé, nous avons pu améliorer les circuits de distribution de l’eau, nous avons mis en place le monitoring du contrôle de la qualité de l’air, ainsi que des mesures pour l’efficacité énergétique des bâtiments… Les avancées technologiques ont servi la capacité des villes à faire face aux problématiques principales qui restent toujours écologique, économique et sociale.
Dans ce nouveau monde, comment la vie en entreprise va-t-elle s’adapter ?
Ce qui se passe avec les entreprises est très intéressant. Il y a un mouvement de fond sur le changement de modèle, en faveur de la ville du ¼ d’heure. Et même parmi les plus coriaces : j’ai reçu des appels par de grandes sociétés du BTP qui veulent réfléchir à une manière de construire différemment, qui veulent travailler des ilots à taille humaine, faire de la densité organique, introduire des matériaux naturels (bois, terre), créer des bâtiments multifonctionnels. Le design urbain est en train de changer, les entreprises vont être au cœur de ce changement. Elles sont d’ailleurs nombreuses à se demander comment leurs collaborateurs viennent travailler chez elles, à réfléchir au télétravail, à tout ce pourrait être en adéquation avec ce que recherchent les salariés.
Une société comme PSA est en train de dire que la nouvelle règle sera le télétravail et l’exception le travail au bureau, on n’a jamais vu ça ! Dans le secteur de l’informatique, les entreprises travaillent la data science, la géolocalisation et la cartographie pour optimiser la vie dans la ville… J’ai été agréablement surpris quand Bruno Cavagné, le président de la FNTP (Fédération nationale des travaux publics) – qui fait partie du MEDEF – a sorti son livre en novembre dernier, intitulé Nos territoires brûlent. Son propos est de dire qu’il faut rapprocher le travail des gens par rapport à l’endroit où ils habitent. J’étais fier que Bruno Cavagné se soit rangé au chrono-urbanisme.