En 2010, une étude Ernst & Young fait apparaitre la RSE dans les risques pour les entreprises. Les entreprises voient-elles toujours les choses de cette manière ?
Pour une entreprise, l’approche par le risque est souvent une bonne clef d’entrée car elle permet de faire émerger des enjeux et de les prioriser. La RSE a ainsi pu faire son entrée dans nombre d’entreprises par cette fenêtre-là : l’enjeu d’image a été celui qui a le plus motivé les grands groupes à lancer des politiques de développement durable au tournant du 21ème siècle. Cependant, la motivation par le risque a évolué assez rapidement vers celle liée à l’opportunité. Les entreprises qui ont tenté l’expérience ont vite compris que la RSE ne consistait pas seulement à faire plaisir à leurs clients mais qu’elle pouvait aussi servir le projet de l’entreprise elle-même. C’est dans cette logique que s’inscrivent la très grande majorité des entreprises que nous avons évaluées : La RSE répond aux attentes de leurs parties prenantes et, dans le même temps, leur permet de s’installer dans un développement plus pérenne pour elle et pour le monde qui l’entoure.
Comment et pourquoi la situation a-t-elle évolué aussi vite ?
La situation a évolué d’abord parce que le monde qui nous entoure évolue très vite. Les pays émergents ne sont plus à la traîne sur ces questions et mettent en œuvre des réglementations favorisantes, dont nous avons dressé l’inventaire dans notre ouvrage. La norme ISO 26000 a été adoptée par 90 pays, dont l’Inde et la Chine, qui ont bien intégré de quelle manière les principes de la RSE sont capables de dynamiser leur économie. D’autre part, l’engagement progressif des acteurs a vite mis en lumière le fait que la RSE est tellement structurante pour les actions d’une entreprise qu’une politique dite de « green washing » ne peut pas être durablement conduite.
A ses débuts, la RSE est passée pour une pétition de principes non contraignants. La réalité est-elle différente et que signifie concrètement mettre en œuvre une politique ou une stratégie de RSE en entreprise ?
Quand on respecte des principes non contraignants, en général il ne faut pas s’attendre à de trop grands résultats. La RSE est plus exigeante que cela, car elle suppose de voir les choses différemment et de réinterroger profondément la vision et les missions de l’entreprise au regard de ce qu’est devenu son environnement global. Elle demande de refonder un exercice stratégique en passant au tamis des enjeux économiques, sociaux et environnementaux les activités et la gouvernance de l’entreprise. C’est un exercice assez technique, dont nous donnons des exemples concrets dans l’ouvrage. Les grandes entreprises sont aguerries à ce genre d’exercice car elles disposent pour cela de moyens humains de haut niveau. Pour les PME c’est plus difficile, il revient au dirigeant de se former par lui-même et d’impulser une réflexion qui n’est pas usuelle. Mais le résultat est à la hauteur des efforts fournis en termes de meilleure performance globale, d’émergence de parties prenantes ignorées jusqu’alors, d’innovation ou encore de nouveaux marchés.
Comment peut-on objectivement évaluer la réalité des pratiques RSE ?
Il existe de nombreuses façons de porter un regard sur la politique RSE d’une entreprise. Rapports de développement durable, évaluation par les parties prenantes, labels… Je ne travaille plus dans le groupe AFNOR, mais pour avoir côtoyé le sujet de très près avec passion pendant 8 ans, je suis persuadée que, même si l’ensemble des approches peuvent être utiles et complémentaires, rien ne pourra remplacer une évaluation objective réalisée par un prestataire extérieur. Plusieurs outils existent sur le marché, dont l’évaluation AFAQ 26000 qui a fait la preuve de sa robustesse depuis son lancement en 2007.
De l’agriculture à l’industrie pétrolière en passant par les services à la personne, toutes les entreprises peuvent-elles mettre en œuvre des mesures RSE ?
Bien sûr. La RSE consiste à miser sur la puissance du capital humain et sur le fait de considérer son environnement global non pas comme une contrainte à gérer mais comme un allié avec lequel travailler. Ce qui diffère entre les secteurs a trait à la différence des enjeux à adresser. Les enjeux humains seront vraisemblablement plus structurants pour une société de service à la personne, tandis que les enjeux environnementaux concerneront davantage les secteurs agricole et pétrolier. Mais, même à l’intérieur de chacun de ces secteurs, il y aura de grandes différences, chaque situation d’entreprise étant unique. C’est pourquoi nous expliquons dans l’ouvrage qu’il est nécessaire de démarrer toute démarche RSE par un diagnostic.
Quelles seraient selon vous les « tendances » à venir en matière de RSE ? Quels sont les enjeux auxquels devront répondre demain les entreprises d’aujourd’hui ?
La RSE n’est pas une mode, c’est pourquoi je n’aime pas parler de « tendance ». Chaque entreprise avance à son rythme, en adressant les nécessités qui sont les siennes. La RSE est aujourd’hui inscrite dans le code génétique des grands groupes et progresse chez les PME. Je suis intimement persuadée qu’il n’y a plus le choix de revenir en arrière et que les entreprises qui n’auront pas emboité le pas dans les cinq années qui viennent auront beaucoup de mal à remonter la pente. La loi de transition énergétique pour la croissance verte qui a été récemment adoptée par le Parlement fixe à notre pays des objectifs ambitieux qui ne pourront être atteint sans la contribution de tous, citoyens et entreprises, petites ou grandes. Au-delà d’apporter des réponses aux questions de dégradation de la planète et de raréfaction des ressources, s’engager dans la RSE représente pour moi une posture optimiste et volontariste, à contre-courant de la morosité ambiante. Dans les entreprises que nous avons évaluées, les collaborateurs "ont la pêche" et ne se demandent pas le matin pourquoi ils vont au travail. La RSE produit des hommes et des femmes qui prennent leur destin en main.
L’action des pouvoirs publics est-elle suffisamment incitative et avant cela, doit-il y a voir intervention de l’Etat dans le champ de la RSE ?
Il ressort de nos entretiens avec de nombreux représentants du monde des entreprises que ces dernières ne souhaitent pas évoluer dans un environnement contraignant en la matière. L’engagement dans la RSE doit rester du domaine volontaire et s’inscrire dans un environnement favorisant : l’accès à la formation doit être favorisé et les aides qui existent plus visibles et facile d’accès. Les organisations professionnelles ont une rôle important à jouer pour guider leurs membres dans des démarches qui sont assez complexes et fortement marquées par leur secteur.
Dans la préface de votre ouvrage, Fleur Pellerin, actuelle Ministre de la Culture et de la Communication, évoque des entreprises françaises qui se doivent d’être « agiles ». En quoi la RSE concourt–elle à cette agilité, et est-elle source de compétitivité ?
Lorsque Fleur Pellerin nous a fait l’honneur d’accepter de dédicacer cet ouvrage, elle était ministre des PME et de l’économie numérique. Elle s’était fortement engagée aux côtés des entrepreneurs de notre pays pour soutenir leur performance en France et à l’étranger. Elle avait pu constater qu’une composante essentielle de cette performance est l’agilité, qui permet d’anticiper l’avenir grâce à une innovation permanente, autant technique que sociale. La RSE, par ce qu’elle favorise d’« hyper conscience » vis-à-vis des attentes du milieu dans lequel évolue l’entreprise, est une composante essentielle de cette agilité. Dans la dernière partie de l’ouvrage, nous mettons d’ailleurs en évidence à quel point l’innovation découle naturellement d’une politique RSE.
Florence Méaux est ancienne élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégée de physique, titulaire d'un DEA de physique quantique et diplômée de Telecom ParisTech. Elle a dirigé AFNOR Certification de 2006 à 2014. Depuis le 1er août 2014, elle a rejoint les services du Premier Ministre en tant que déléguée pour la rénovation de l'encadrement dirigeant de l'Etat.