Certains acteurs financiers auraient-ils des comportements contraires à l’éthique ou à la loi régulant les activités financières ? La question n’est pas nouvelle, mais il est plus rare qu’elle soit posée en creux par un président du MEDEF, en l’occurrence Geoffroy Roux de Bézieux, actuel « patron des patrons ». L’auditoire de chefs d’entreprise et de patrons de PME réunis pour un déjeuner par le mouvement Ethic ne s’attendait pas forcément à une telle sortie de la part d’un homme connu pour ses prises de position libérales. Mais elle n’est pourtant pas illogique, sachant que sont dénoncées ici des pratiques financières qui flirtent bien souvent avec les limites de la légalité.
Dans la ligne de mire de Geoffroy Roux de Bézieux, la pratique de la vente à découvert de titres d’entreprises, attaquées par des fonds hostiles qui parient sur la chute du cours : un fonds d’investissement ou un hedge funds achète ou emprunte un certain nombre de titres d’une entreprise cible, puis les revend à un tiers sur la conviction que le titre va baisser. Si le fonds à l’origine de ce pari a raison, il rachète les titres en question quelques temps plus tard (quelques semaines ou quelques mois) à un montant inférieur et empoche la différence. Si la baisse est forte, le bénéfice est à l’avenant.
La pratique est légale dans la plupart des pays mais elle est très encadrée. Comme dans tous les métiers liés à la finance, il y a sur le marché des acteurs plus ou moins vertueux. La majorité de ces fonds se présente comme des « lanceurs d’alerte », dénonçant des cotations surévaluées, parfois en raison de pratiques litigieuses. Mais tous n’ont pas la même ambition (intéressée) de corriger les déséquilibres des marchés ; certains fonds sont tentés de mettre toutes les chances de leur côté pour « favoriser » leur pari, quitte à mobiliser des analystes sans scrupules ou à instrumentaliser des agences de notations. Pour dévaloriser un titre, rien de tel que d’alimenter les craintes les plus diverses sur l’entreprise ou son dirigeant ; en la matière, la simple rumeur ou un tweet suffise parfois à faire dévisser un cours, et engranger de juteux bénéfices.
Or, influer à la baisse sur la valorisation d’une société peut la mettre en grandes difficultés, notamment auprès d’autres investisseurs. La responsabilité de ces fonds, majoritairement anglo-saxons, dans les difficultés de certaines entreprises est donc clairement posée, d’autant plus que ces pratiques, si elles génèrent des profits rapides, ne créent par ailleurs aucune valeur : elles ne font qu’en détruire sur la base de procédés purement spéculatifs. Certaines entreprises cibles n’ont en effet que le défaut d’être vulnérables aux attaques, indépendamment de toute considération sur les résultats ou la stratégie.
Cette pratique des ventes à découvert n’est pas récente mais elles ont brusquement augmenté en volume après la crise de 2008 : un peu moins de 300 opérations sont menées entre 1996 et 2015, contre près de 200 pour la seule année 2017. Par ailleurs, le périmètre de ces actions se déplace : à l’origine situé aux Etats-Unis, le cœur de cible de ces fonds est désormais en Europe. Ce qui a interpellé le président du MEDEF récemment, c’est aussi bien la récurrence et la synchronisation des attaques contre des valeurs françaises et européennes (Danone, CGG, Safran, SFR, Casino…), que l’absence de réaction des autorités financières françaises telles l’AMF, le gendarme de la bourse. Pourtant, si la coordination de ces attaques entre fonds devait être démontrée, il s’agirait bien d’une manipulation de cours, tombant sous le coup de la loi.