Vous vous êtes spécialisés sur les questions de dépollutions et sur l’amiante en particulier. Qu’est-ce qui conduit au choix d’une telle spécialité ?
Eric Vallée : A la fin des années 1990, s’est mise en place une réglementation nouvelle portant sur les spécificités des chantiers de désamiantage. Celle-ci a amené les représentants de la CRAM à se rapprocher de SET Environnement, entreprise déjà connue très favorablement sur les questions de dépollution. Compte tenu des collaborations passées, la CRAM a fait part de son souhait de nous voir nous engager encore davantage sur ce métier nouveau. Au regard de l’utilité sociale de cette mission nouvelle, sur une problématique de santé publique, il n’y avait pas lieu d’hésiter.
Comment avez-vous appréhendé ce métier nouveau lors des premiers chantiers ?
E.V. : Nous avons commencé sur la base de deux prérequis incontournables : se former, et trouver un modèle économique à un métier nouveau. Nous avons pris le parti de la protection maximale, en fonction de ce que nous connaissions du danger amiante et des équipements disponibles.
Répondre à ces défis s’est avéré particulièrement motivant dans le contexte d’un métier nouveau, aux enjeux très importants. Pour le chef d’entreprise, la légitimité des efforts entrepris et de la « mission » reçue paraissait déjà indiscutable.
Comment s’est construit votre cursus de formation ? Quel fut le rôle joué par les pouvoirs publics au début du désamiantage ?
E.V. : Nous ne sommes pas partis d’une page blanche : la problématique de l’amiante était connue de longue date, aussi bien par les industriels que par les pouvoirs publics. Certains chantiers « pilotes » de désamiantage ont même été réalisés avant la rédaction des premières réglementations. Ils ont eu le grand mérite de poser un cadre informel initial et de définir les bases des « bonnes pratiques » à instaurer et partager.
La réglementation de 1996 est venue consolidée la profession grâce à un cadre juridique fort, tout en permettant d’organiser les premières formations institutionnelles sous l’égide des pouvoirs publics. Il s’agissait dans un premier temps de diffuser la réglementation, sensibiliser sur la dangerosité du produit, et instruire sur les méthodes pour s’en prémunir.
Quels dangers représente l’amiante pour un désamianteur ?
E.V. : Nous intervenons dans des environnements qui ne permettent pas le moindre relâchement dans la vigilance. Il n’y a pas de seuil d’innocuité de l’amiante, c’est un matériau complexe à appréhender et dangereux pour la santé quelles que soient les doses auxquelles un individu est exposé. C’est la raison pour laquelle une approche prudentielle du métier est impérative. Tout l’enjeu de notre métier est de ramener les risques le plus proche possible de zéro, en faisant preuve de la plus grande rigueur possible dans la création et la mise en œuvre de nos protocoles opérationnels. Nous suivons -et devançons parfois- une réglementation qui s’est considérablement améliorée ces 20 dernières années, notamment pour prendre en compte l’évolution de notre connaissance du risque amiante : les techniques de repérage et de comptage des fibres d’amiante, de même que la détection et le champ de recherche des fibres ont considérablement progressé. Les entreprises du désamiantage se sont adaptées en fonction de ces nouvelles données, agissant bien souvent avant même la retranscription de ces éléments dans la réglementation, dans notre cas.
Quelles sont vos obligations en termes de suivi de la santé de vos salariés ?
E.V. : Il est déjà impératif pour nous de connaitre les antécédents professionnels de nos salariés, afin de déterminer si une exposition à des produits toxiques a déjà eu lieu. A partir de là, nous travaillons en étroite collaboration avec la médecine du travail pour un suivi de santé individualisé, exhaustif et régulier. Parallèlement, nous réalisons une fiche d’exposition dans laquelle sont relatées toutes les expositions du salarié dans le cadre de son travail pour SET Environnement. Il s’agit de garantir une traçabilité complète des activités d’un salarié, restituée dans un dossier qui sera transmis obligatoirement à la médecine du travail, mais aussi au médecin traitant de toute personne qui en fait la demande. Par ailleurs, nous exerçons une veille permanente sur tous les sujets qui peuvent nous permettre d’améliorer nos outils ou nos process.
Que devient l’amiante retirée de vos chantiers ? Peut-on venir à bout d’une roche dangereuse même à l'état de poussière ?
E.V. : On ne pourra pas venir à bout de l’amiante naturelle ; c’est d’ailleurs tout le problème des affleurements naturel d’amiante que l’on trouve par exemple en Corse, avec tous les problèmes que l’on imagine lors des travaux de terrassement. Par contre il est possible de se débarrasser de l’amiante manufacturée, mais cela prendra encore un temps considérable. Dans le cas d’un bâtiment, cela suppose souvent d’aller au bout du cycle de vie complet, et d’attendre donc sa démolition, sachant que l’amiante peut avoir été utilisée dans des endroits aujourd’hui inaccessibles.
Pour ce qui est de l’amiante retirée, nous sommes la première étape d’une filière de retraitement des déchets amiantés, normées et règlementées par des directives européennes. Une fois que nous commençons à retirer de l’amiante, tous les déchets de chantier sont conditionnés spécifiquement et envoyés par transports sécurisés vers les centres de traitement, où nous nous assurons de leur bonne élimination. En France, il y a deux méthodes de traitement : le stockage en alvéoles sécurisées ou l’élimination par vitrification. Tout l’enjeu des années à venir sera de trouver des solutions pérennes pour une élimination définitive de quantités de plus en plus importantes d’amiante stockées. De nombreuses recherches sont en cours pour savoir par exemple si, une fois vitrifié, le déchet amianté ne peut pas être réutilisé sous une forme ou une autre. Mais il s’agit d’être sûr de son innocuité à long terme.
Les durcissements réglementaires successifs ne risquent-il pas de mettre en péril un jour l’équilibre économique de la profession ?
E.V. : La pression réglementaire s’exerce surtout sur les propriétaires immobiliers, qui ont l’obligation de diagnostiquer et de procéder le cas échéant au désamiantage de tout ou partie de leurs surfaces, lors d’une vente, ou désormais d’un simple chantier. C’est un investissement parfois très conséquent, mais la légitimité de telles exigences réglementaires est incontestable : il s’agit surtout et avant tout de protéger la santé des travailleurs et usagers des locaux amiantés. La législation est à mon sens équilibrée : elle impose la réalisation de diagnostics complets, mais elle n’impose pas (encore) de retirer l’intégralité de l’amiante : pour l’instant la législation n’impose que le retrait des matériaux amiantés présentant un risque avéré.
Il reste vrai que l’inflation des normes, et donc du coût induit de la mise aux normes, pousse des acteurs peu scrupuleux à les contourner. Sur ce point, je fais toute confiance aux pouvoirs publics mais aussi aux organismes de contrôle et de certification pour obliger au respect de la législation, et nous concernant, épurer notre profession des indésirables.
Quel regard portez-vous sur les évolutions de la prise en compte du risque sanitaire dans un cadre professionnel ? En fait-on trop ou pas assez ?
E.V. : Nous sommes dans une société qui fort heureusement accorde une place de plus en plus importante à l’humain. Compte tenu de notre connaissance des risques inhérents à l’amiante, il n’est plus admissible qu’un travailleur ou le simple usager de locaux amiantés mette sa santé en péril dans l’exercice de sa profession ou par le simple usage qu’il fait de locaux « empoisonnés ».
Mais il y a naturellement un équilibre à trouver dans le principe de précaution, qui peut être dévoyé en instrument de paralysie de l’activité. Dans le cas de l’amiante, mon expérience de chef d’entreprise m’incite à faire confiance aux pouvoirs publics et aux autorités de santé pour placer intelligemment le curseur. Vis-à-vis de nos salariés, c’est aussi là que notre politique RSE prend tout son sens : elle constitue le ciment de la confiance entre un travailleur et son employeur quant à leur condition de travail et à la protection qu’il est en droit d’attendre dans l’exercice de son métier.
Gardons simplement à l’esprit que l’amiante reste un sujet vivant, sur lequel notre connaissance progresse et à laquelle la réglementation devra s’adapter. J’encourage simplement à prendre le temps de la réflexion sur les évolutions à venir. Les décideurs ne doivent pas agir dans la précipitation et l’émotion que peut susciter parfois le traitement médiatique de l’amiante. Une fois passé au cran supérieur, il serait en effet très difficile de justifier a posteriori d’un abaissement des normes, si un jour celles-ci s’avéraient démesurées ou contre-productives par rapport à la menace.
Eric Vallée : A la fin des années 1990, s’est mise en place une réglementation nouvelle portant sur les spécificités des chantiers de désamiantage. Celle-ci a amené les représentants de la CRAM à se rapprocher de SET Environnement, entreprise déjà connue très favorablement sur les questions de dépollution. Compte tenu des collaborations passées, la CRAM a fait part de son souhait de nous voir nous engager encore davantage sur ce métier nouveau. Au regard de l’utilité sociale de cette mission nouvelle, sur une problématique de santé publique, il n’y avait pas lieu d’hésiter.
Comment avez-vous appréhendé ce métier nouveau lors des premiers chantiers ?
E.V. : Nous avons commencé sur la base de deux prérequis incontournables : se former, et trouver un modèle économique à un métier nouveau. Nous avons pris le parti de la protection maximale, en fonction de ce que nous connaissions du danger amiante et des équipements disponibles.
Répondre à ces défis s’est avéré particulièrement motivant dans le contexte d’un métier nouveau, aux enjeux très importants. Pour le chef d’entreprise, la légitimité des efforts entrepris et de la « mission » reçue paraissait déjà indiscutable.
Comment s’est construit votre cursus de formation ? Quel fut le rôle joué par les pouvoirs publics au début du désamiantage ?
E.V. : Nous ne sommes pas partis d’une page blanche : la problématique de l’amiante était connue de longue date, aussi bien par les industriels que par les pouvoirs publics. Certains chantiers « pilotes » de désamiantage ont même été réalisés avant la rédaction des premières réglementations. Ils ont eu le grand mérite de poser un cadre informel initial et de définir les bases des « bonnes pratiques » à instaurer et partager.
La réglementation de 1996 est venue consolidée la profession grâce à un cadre juridique fort, tout en permettant d’organiser les premières formations institutionnelles sous l’égide des pouvoirs publics. Il s’agissait dans un premier temps de diffuser la réglementation, sensibiliser sur la dangerosité du produit, et instruire sur les méthodes pour s’en prémunir.
Quels dangers représente l’amiante pour un désamianteur ?
E.V. : Nous intervenons dans des environnements qui ne permettent pas le moindre relâchement dans la vigilance. Il n’y a pas de seuil d’innocuité de l’amiante, c’est un matériau complexe à appréhender et dangereux pour la santé quelles que soient les doses auxquelles un individu est exposé. C’est la raison pour laquelle une approche prudentielle du métier est impérative. Tout l’enjeu de notre métier est de ramener les risques le plus proche possible de zéro, en faisant preuve de la plus grande rigueur possible dans la création et la mise en œuvre de nos protocoles opérationnels. Nous suivons -et devançons parfois- une réglementation qui s’est considérablement améliorée ces 20 dernières années, notamment pour prendre en compte l’évolution de notre connaissance du risque amiante : les techniques de repérage et de comptage des fibres d’amiante, de même que la détection et le champ de recherche des fibres ont considérablement progressé. Les entreprises du désamiantage se sont adaptées en fonction de ces nouvelles données, agissant bien souvent avant même la retranscription de ces éléments dans la réglementation, dans notre cas.
Quelles sont vos obligations en termes de suivi de la santé de vos salariés ?
E.V. : Il est déjà impératif pour nous de connaitre les antécédents professionnels de nos salariés, afin de déterminer si une exposition à des produits toxiques a déjà eu lieu. A partir de là, nous travaillons en étroite collaboration avec la médecine du travail pour un suivi de santé individualisé, exhaustif et régulier. Parallèlement, nous réalisons une fiche d’exposition dans laquelle sont relatées toutes les expositions du salarié dans le cadre de son travail pour SET Environnement. Il s’agit de garantir une traçabilité complète des activités d’un salarié, restituée dans un dossier qui sera transmis obligatoirement à la médecine du travail, mais aussi au médecin traitant de toute personne qui en fait la demande. Par ailleurs, nous exerçons une veille permanente sur tous les sujets qui peuvent nous permettre d’améliorer nos outils ou nos process.
Que devient l’amiante retirée de vos chantiers ? Peut-on venir à bout d’une roche dangereuse même à l'état de poussière ?
E.V. : On ne pourra pas venir à bout de l’amiante naturelle ; c’est d’ailleurs tout le problème des affleurements naturel d’amiante que l’on trouve par exemple en Corse, avec tous les problèmes que l’on imagine lors des travaux de terrassement. Par contre il est possible de se débarrasser de l’amiante manufacturée, mais cela prendra encore un temps considérable. Dans le cas d’un bâtiment, cela suppose souvent d’aller au bout du cycle de vie complet, et d’attendre donc sa démolition, sachant que l’amiante peut avoir été utilisée dans des endroits aujourd’hui inaccessibles.
Pour ce qui est de l’amiante retirée, nous sommes la première étape d’une filière de retraitement des déchets amiantés, normées et règlementées par des directives européennes. Une fois que nous commençons à retirer de l’amiante, tous les déchets de chantier sont conditionnés spécifiquement et envoyés par transports sécurisés vers les centres de traitement, où nous nous assurons de leur bonne élimination. En France, il y a deux méthodes de traitement : le stockage en alvéoles sécurisées ou l’élimination par vitrification. Tout l’enjeu des années à venir sera de trouver des solutions pérennes pour une élimination définitive de quantités de plus en plus importantes d’amiante stockées. De nombreuses recherches sont en cours pour savoir par exemple si, une fois vitrifié, le déchet amianté ne peut pas être réutilisé sous une forme ou une autre. Mais il s’agit d’être sûr de son innocuité à long terme.
Les durcissements réglementaires successifs ne risquent-il pas de mettre en péril un jour l’équilibre économique de la profession ?
E.V. : La pression réglementaire s’exerce surtout sur les propriétaires immobiliers, qui ont l’obligation de diagnostiquer et de procéder le cas échéant au désamiantage de tout ou partie de leurs surfaces, lors d’une vente, ou désormais d’un simple chantier. C’est un investissement parfois très conséquent, mais la légitimité de telles exigences réglementaires est incontestable : il s’agit surtout et avant tout de protéger la santé des travailleurs et usagers des locaux amiantés. La législation est à mon sens équilibrée : elle impose la réalisation de diagnostics complets, mais elle n’impose pas (encore) de retirer l’intégralité de l’amiante : pour l’instant la législation n’impose que le retrait des matériaux amiantés présentant un risque avéré.
Il reste vrai que l’inflation des normes, et donc du coût induit de la mise aux normes, pousse des acteurs peu scrupuleux à les contourner. Sur ce point, je fais toute confiance aux pouvoirs publics mais aussi aux organismes de contrôle et de certification pour obliger au respect de la législation, et nous concernant, épurer notre profession des indésirables.
Quel regard portez-vous sur les évolutions de la prise en compte du risque sanitaire dans un cadre professionnel ? En fait-on trop ou pas assez ?
E.V. : Nous sommes dans une société qui fort heureusement accorde une place de plus en plus importante à l’humain. Compte tenu de notre connaissance des risques inhérents à l’amiante, il n’est plus admissible qu’un travailleur ou le simple usager de locaux amiantés mette sa santé en péril dans l’exercice de sa profession ou par le simple usage qu’il fait de locaux « empoisonnés ».
Mais il y a naturellement un équilibre à trouver dans le principe de précaution, qui peut être dévoyé en instrument de paralysie de l’activité. Dans le cas de l’amiante, mon expérience de chef d’entreprise m’incite à faire confiance aux pouvoirs publics et aux autorités de santé pour placer intelligemment le curseur. Vis-à-vis de nos salariés, c’est aussi là que notre politique RSE prend tout son sens : elle constitue le ciment de la confiance entre un travailleur et son employeur quant à leur condition de travail et à la protection qu’il est en droit d’attendre dans l’exercice de son métier.
Gardons simplement à l’esprit que l’amiante reste un sujet vivant, sur lequel notre connaissance progresse et à laquelle la réglementation devra s’adapter. J’encourage simplement à prendre le temps de la réflexion sur les évolutions à venir. Les décideurs ne doivent pas agir dans la précipitation et l’émotion que peut susciter parfois le traitement médiatique de l’amiante. Une fois passé au cran supérieur, il serait en effet très difficile de justifier a posteriori d’un abaissement des normes, si un jour celles-ci s’avéraient démesurées ou contre-productives par rapport à la menace.