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Herbert Simon et la rationalité limitée

17/01/2020



Le concept de "bounded rationality" ou "rationalité limitée" a été théorisé par Herbert Simon, chercheur américain (1916-2001) qui s’est intéressé à l'analyse des problèmes de la décision et leurs conséquences. Ce concept lui a valu le Prix Nobel d’économie en 1978 et est aujourd'hui utilisé en sociologie, psychologie, microéconomie et philosophie politique. Ses travaux sur la prise de décision préconisent l’abandon des postulats classiques d’optimisation et de maximisation au profit de l’idée de satisfaction.



Collection of Carnegie Mellon University: Herbert A. Simon - commissioned portrait (CC - Richard Rappaport / Wikimedia)
Collection of Carnegie Mellon University: Herbert A. Simon - commissioned portrait (CC - Richard Rappaport / Wikimedia)

De la rationalité parfaite et objective

La rationalité au sens large fait référence à la façon dont l'individu, soumis à certaines conditions et contraintes, va analyser et agir pour atteindre son objectif. Pour les économistes classiques, la rationalité ne peut se voir que d'une seule façon: la rationalité pure et parfaite. Dans la théorie classique, les choix se font en effet en situation d'informations complètes et objectives (omniscience du décideur), et sont censés aboutir à une logique d'utilité ou de profit maximal(e). La décision est donc prise , suite à une période d'analyse approfondie, et ne relève en aucun cas du hasard ou des circonstances.

Les théories classiques reposent sur plusieurs hypothèses:
-  la possibilité d'identifier l'ensemble des options,
 - la capacité à appréhender les conséquences de ses choix,
-  la certitude de pouvoir évaluer l'impact de ces choix,
-  la capacité à établir des comparaisons à travers un indicateur unique.

Selon cette conception, l'individu cherche à maximiser ses gains, en s'appuyant sur une information complète et pertinente (homo oeconomicus), à laquelle il a accès sans restriction. Il peut ainsi prendre des décisions optimales. La vision néoclassique fait donc de la prise de décision, le résultat d'un calcul. Le décideur est pleinement rationnel au niveau de sa décision (omniscience).

A la rationalité limitée

Herbert Simon va confronter les hypothèses de la théorie classique à la réalité, en tenant compte des capacités limitées du décideur. Il va décomposer le processus de décision en  étapes clés (identification du problème, choix et évaluation des solutions). Or un tel processus est influencé par de multiples facteurs personnels, organisationnels et environnementaux, qui peuvent influencer la prise de décision. La capacité de décision peut en effet être altérée par un ensemble de contraintes comme l'absence d'informations, des biais cognitifs ou encore le manque de temps. Une telle incertitude explique l'impossibilité de prendre une décision parfaitement rationnelle et objective.

Pour H. Simon, le décideur est par conséquent doté d'une rationalité limitée, en raison de son incapacité à saisir l'ensemble des éléments relatifs à la décision. Soumis à de multiples contraintes, il va donc avoir tendance à choisir des solutions satisfaisantes plutôt qu'optimales.

Ainsi, dans un processus de décision, le décideur ne va pas chercher la solution optimale. Il va s’arrêter à la première solution qu’il juge satisfaisante. Selon cette perspective, la recherche d'un niveau d'aspiration suffisant va se substituer à celle d'utilité maximale (optimum). Contrairement à la théorie classique, H. Simon va donc insister sur les facteurs personnels et intuitifs (délibération et invention) dans la prise de décision. Il place ainsi l'individu face aux exigences de la situation, dans lesquelles les capacités de calcul et d'analyse  se révèlent insuffisantes, le conduisant à un choix acceptable et non optimal.

Conclusion

En introduisant le concept de rationalité limité, Herbert Simon inscrit la prise de décision dans une vison processuelle et réaliste, en remettant en cause l'idée d'objectifs clairement définis et la capacité des acteurs à appréhender l'ensemble des contraintes. La recherche d'optimum ne peut donc être atteinte, lorsqu'on confronte l'individu au domaine des faits. En revanche, le processus suivi par les acteurs lors de la prise de décision, doit permettre de prendre des décisions satisfaisantes, à travers une délibération appropriée. La rationalité est donc procédurale (recherche d'une méthode acceptable) et non substantive (logique optimale). L'individu ne peut s'apparenter à un mode de calcul (rationalité absolue). Ses capacités réduites le conduisent à des actions raisonnables (stratégies, coordination, heuristiques), capables de résoudre un problème de façon adéquate (rationalité limitée). L'analyse de H. Simon s'inscrit ainsi dans les thèses sur l'analyse des comportements et des organisations, en soulignant la nécessaire adaptation organisationnelle des agents économiques (ressources, disponibilités, informations) en situation d'incertitude. Elle a également contribué à faire évoluer la pensée économique, en faisant émerger de nouvelles approches (contrats implicites, théorie de l'agence, coûts de transaction) comme éléments de réponse aux imperfections de régulation par les marchés.

Pour aller plus loin

Simon H.A.,  "A behavioral model of rational choice",  Quaterly Journal of Economics, n°69, 1955, p.99-118.
Simon H.A.,  " Motivational and emotional controls of cognition",  Psychological Review, n°74, 1967, p.29-39.
Simon H.A., "Theories of bounded rationality" in Decisions and Organizations, C.B McGuire  and R. Radner (Eds), North Holland, Amsterdam, 1972, p.161-176.
Simon H.A.,  "From Substantive to Procedural Rationality" in Methods and Appraisal in Economics, SJ Latsis (Eds), Cambridge University Press, NY, 1976, p.129-148.
Meier O., Décisions et comportements dans les organisations, Cahier Dever Research, 2018.
Meier O., Barabel M., Manageor, Dunod, 2015.

Note:








1.Posté par daphné le 26/01/2020 17:28
La « rationalité limitée » aboutit aussi à des décisions non optimales en matière de prévention, avec des attitudes suscitées plus par l’émotion que par la réflexion, amenant à des craintes excessives ou au contraire à un déni des dangers et à une trop grande confiance et une banalisation, à l’origine soit de surprotection inutile, soit de sous-protection néfaste.
Limiter l’influence des biais cognitifs implique des changements comportementaux vis-à-vis de la sécurité au travail : le développement d’une conscientisation des risques, la formation et l’établissement de consignes claires et partagées, la sanction ou la récompense ...
Il existe aussi une méthode d'influence des comportements tirant parti de la rationalité limitée : le « nudge » (coup de pouce) qui est une incitation comportementale à la sécurité : http://www.officiel-prevention.com/formation/conseils/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=183&dossid=587

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