Du temps et de la Turbulence
Phénomène hydrodynamique des plus familiers ; tourbillon dans un sillage de bateau, vortex dans le siphon d’une canalisation, photographie de l’atmosphère…
Et pourtant, comment expliquer les origines de la turbulence et les mécanismes de son développement.
Jusqu’en 1971, la première théorie de la turbulence de Landau-Hoft (1944), définit celle-ci, du point de vue de la Physique, comme étant la façon dont un écoulement (une diffusion) de fluide devient agité.
Suivant cette théorie, ce désordre apparent, turbulent, serait dû au très grand nombre de perturbations pouvant se développer indépendamment les unes des autres (degré de liberté) en différents points du fluide.
Observons le cours d’une rivière calme.
Le trajet qu’effectue une feuille, morte entraînée sur son lit, peut nous donner une idée du mouvement de cette eau.
Ce mouvement est rectiligne et uniforme.
Toutes les feuilles passant dans cette zone sont animées de la même vitesse et leur comportement est toujours à peu près le même.
Le fait de connaître le mouvement de la feuille et donc de l’eau à un instant t et à un point X donné permet de prévoir ce mouvement à n’importe quel instant ultérieur.
Il en est tout autrement dans le cadre d’un torrent tumultueux.
La vitesse à un instant donné peut alors varier de façon importante et imprévisible pour des points rapprochés.
Ce transfert de matière s’effectue dans des directions différentes de la direction moyenne d’écoulement.
La connaissance de ce mouvement, en un instant et à un endroit donné, ne permet absolument pas de prévoir ce qui se passera.
Deux feuilles passant l’une juste après l’autre, au même endroit, auront des trajectoires sensiblement proches, du moins au début, puis plus l’espace-temps les séparant sera grand, plus les trajectoires n’auront plus aucune similitude.
À partir de cette observation des mouvements chaotiques des feuilles mortes illustrant les mouvements de l’eau d’un torrent, nous déduisons par analogie deux manières de décrire qualitativement un écoulement turbulent.
La turbulence : perte de mémoire et tourbillons.
Premier essai de définition :
Ensemble de trajectoires imprévisibles et imprédictibles.
Deuxième essai, plus subtil :
Sensibilité extrême des trajectoires aux conditions initiales.
En effet, lorsque nous considérons deux feuilles passant pratiquement au même moment en un point t, initialement leurs trajectoires seront très semblables, puis avec le temps, celles-ci s’éloignent petit à petit l’une de l’autre et deviennent totalement indépendantes au bout d’un temps certain.
Cette observation révèle le fait que la turbulence fait perdre la mémoire des conditions initiales.
Ainsi, au début, les évolutions temporelles étaient très proches et presque confondues; au bout d’un temps certain, il ne reste aucun souvenir de cette situation particulière.
Un très léger décalage des conditions initiales a provoqué des conséquences catastrophiques sur les évolutions à long terme.
Avant d’abandonner notre torrent, une autre constatation peut être faite.
La complexité des trajectoires des feuilles.
Celle-ci décrit tantôt des lignes à grand rayon de courbure et tantôt au contraire des boucles de très petit rayon traduisant ainsi la coexistence en écoulement de « tourbillons » de tailles très différentes au sein de l’eau.
Ainsi, la turbulence nous apparaît, par sa manifestation désordonnée, comme la perte de corrélation qualitative dans les mouvements d’un fluide.
En Sciences physiques et en Mécaniques des fluides, l’absence de corrélation a longtemps paru aller de soi. Puis diverses théories de la « Turbulence », dites « statistiques » ont été imaginées avec un pouvoir prédictif assez limité pour ne pas dire nul.
Ruelle et Takens (1) nomment bifurcation le point où une faible variation d’un paramètre induit un changement qualitatif de la solution d’une équation.
Ils montrent qu’un tout petit nombre de bifurcations suffit à produire un comportement chaotique et donc à engendrer la turbulence.
En 1975, l’étude expérimentale d’un fluide en rotation par les physiciens Jerry Gollub et Harry Swinnay, du City College de New York, montrera que l’apparition de la turbulence suit bien dans ce cas la description de Ruelle et Takens.
Depuis, le concept de chaos déterministe sera appliqué à l’étude de phénomènes dans divers domaines scientifiques, de la physique à la biologie.
Turbulence et Gestion de l’Incertitude
Nous concernant, pour ce qui touche à la gestion de crise, nous considérons que la nature même d’un système vivant est instabilité .
Cette stabilité/instabilité propre à tout système vivant évolue au gré des points de perturbation et des turbulences qui y sont associées.
Nous prenons appui, par analogie, sur les travaux d’Ilya Prigogine concernant les structures dissipatives. Dès lors, il est pour nous, incontournable aujourd’hui d’intégrer la non-linéarité dans nos actes de gestion.
Nous devons gérer des systèmes complexes, vivants, instables, hors de l’équilibre, dont la flèche du temps impose une évolution aléatoire, imprévisible et irréversible.
« Rien n’est plus certain que l’Incertain. »
J. Defrenne (2)
Ann Defrenne-Parent
ENTRORGER
Note 1 - Ruelle D., TAKENS F., On the nature of turbulence, Communications in Mahematical Physics, 1971.
Note 2 - J. Defrenne, Erratique. Et l'Incertitude se mit à dire..., Bruxelles, Editions Daniel Castelain Université, 1996.
Phénomène hydrodynamique des plus familiers ; tourbillon dans un sillage de bateau, vortex dans le siphon d’une canalisation, photographie de l’atmosphère…
Et pourtant, comment expliquer les origines de la turbulence et les mécanismes de son développement.
Jusqu’en 1971, la première théorie de la turbulence de Landau-Hoft (1944), définit celle-ci, du point de vue de la Physique, comme étant la façon dont un écoulement (une diffusion) de fluide devient agité.
Suivant cette théorie, ce désordre apparent, turbulent, serait dû au très grand nombre de perturbations pouvant se développer indépendamment les unes des autres (degré de liberté) en différents points du fluide.
Observons le cours d’une rivière calme.
Le trajet qu’effectue une feuille, morte entraînée sur son lit, peut nous donner une idée du mouvement de cette eau.
Ce mouvement est rectiligne et uniforme.
Toutes les feuilles passant dans cette zone sont animées de la même vitesse et leur comportement est toujours à peu près le même.
Le fait de connaître le mouvement de la feuille et donc de l’eau à un instant t et à un point X donné permet de prévoir ce mouvement à n’importe quel instant ultérieur.
Il en est tout autrement dans le cadre d’un torrent tumultueux.
La vitesse à un instant donné peut alors varier de façon importante et imprévisible pour des points rapprochés.
Ce transfert de matière s’effectue dans des directions différentes de la direction moyenne d’écoulement.
La connaissance de ce mouvement, en un instant et à un endroit donné, ne permet absolument pas de prévoir ce qui se passera.
Deux feuilles passant l’une juste après l’autre, au même endroit, auront des trajectoires sensiblement proches, du moins au début, puis plus l’espace-temps les séparant sera grand, plus les trajectoires n’auront plus aucune similitude.
À partir de cette observation des mouvements chaotiques des feuilles mortes illustrant les mouvements de l’eau d’un torrent, nous déduisons par analogie deux manières de décrire qualitativement un écoulement turbulent.
La turbulence : perte de mémoire et tourbillons.
Premier essai de définition :
Ensemble de trajectoires imprévisibles et imprédictibles.
Deuxième essai, plus subtil :
Sensibilité extrême des trajectoires aux conditions initiales.
En effet, lorsque nous considérons deux feuilles passant pratiquement au même moment en un point t, initialement leurs trajectoires seront très semblables, puis avec le temps, celles-ci s’éloignent petit à petit l’une de l’autre et deviennent totalement indépendantes au bout d’un temps certain.
Cette observation révèle le fait que la turbulence fait perdre la mémoire des conditions initiales.
Ainsi, au début, les évolutions temporelles étaient très proches et presque confondues; au bout d’un temps certain, il ne reste aucun souvenir de cette situation particulière.
Un très léger décalage des conditions initiales a provoqué des conséquences catastrophiques sur les évolutions à long terme.
Avant d’abandonner notre torrent, une autre constatation peut être faite.
La complexité des trajectoires des feuilles.
Celle-ci décrit tantôt des lignes à grand rayon de courbure et tantôt au contraire des boucles de très petit rayon traduisant ainsi la coexistence en écoulement de « tourbillons » de tailles très différentes au sein de l’eau.
Ainsi, la turbulence nous apparaît, par sa manifestation désordonnée, comme la perte de corrélation qualitative dans les mouvements d’un fluide.
En Sciences physiques et en Mécaniques des fluides, l’absence de corrélation a longtemps paru aller de soi. Puis diverses théories de la « Turbulence », dites « statistiques » ont été imaginées avec un pouvoir prédictif assez limité pour ne pas dire nul.
Ruelle et Takens (1) nomment bifurcation le point où une faible variation d’un paramètre induit un changement qualitatif de la solution d’une équation.
Ils montrent qu’un tout petit nombre de bifurcations suffit à produire un comportement chaotique et donc à engendrer la turbulence.
En 1975, l’étude expérimentale d’un fluide en rotation par les physiciens Jerry Gollub et Harry Swinnay, du City College de New York, montrera que l’apparition de la turbulence suit bien dans ce cas la description de Ruelle et Takens.
Depuis, le concept de chaos déterministe sera appliqué à l’étude de phénomènes dans divers domaines scientifiques, de la physique à la biologie.
Turbulence et Gestion de l’Incertitude
Nous concernant, pour ce qui touche à la gestion de crise, nous considérons que la nature même d’un système vivant est instabilité .
Cette stabilité/instabilité propre à tout système vivant évolue au gré des points de perturbation et des turbulences qui y sont associées.
Nous prenons appui, par analogie, sur les travaux d’Ilya Prigogine concernant les structures dissipatives. Dès lors, il est pour nous, incontournable aujourd’hui d’intégrer la non-linéarité dans nos actes de gestion.
Nous devons gérer des systèmes complexes, vivants, instables, hors de l’équilibre, dont la flèche du temps impose une évolution aléatoire, imprévisible et irréversible.
« Rien n’est plus certain que l’Incertain. »
J. Defrenne (2)
Ann Defrenne-Parent
ENTRORGER
Note 1 - Ruelle D., TAKENS F., On the nature of turbulence, Communications in Mahematical Physics, 1971.
Note 2 - J. Defrenne, Erratique. Et l'Incertitude se mit à dire..., Bruxelles, Editions Daniel Castelain Université, 1996.