Serge Orru
RSE Magazine: D'abord encensée par les pouvoirs publics, la notion de développement durable semble aujourd'hui reléguée au rang d'option politique. A-t-elle été galvaudée par une forme de clientélisme électoral ? La crise est-elle vraiment coupable ?
Serge Orru : La grande cause d’aujourd’hui est la métamorphose de notre humanité. Mais je ne pense pas que la cause du développement durable soit mise en sommeil par la crise. Bien au contraire, cet évènement constitue à bien des égards un révélateur de la pertinence des thèses défendant un modèle de développement plus durable tant sur le plan social qu’environnemental. Quant à son appropriation par le politique, je suis enclin à faire preuve d’optimisme. Certes, le développement durable, concept inventé en 1992, a pâti en France d’une traduction approximative qui empêche sa compréhension immédiate. Parlons de développement soutenable, ou humainement durable, car c’est bien là qu’est l’enjeu de cette idée : permettre un développement respectueux de l’homme et de son environnement.
En dépit de ces considérations sémantiques, la France a su monter dans le train du développement durable en s’engageant dans le processus du Grenelle de l’environnement. Ce processus est le fruit d’une volonté politique des ONG et d’un gouvernement dans une concertation nationale qui restera une référence. Quand bien même, le gouvernement de Nicolas Sarkozy n’est, hélas, pas allé au bout de la logique du moindre impact sur l’environnement. La France demeure en retard sur ce sujet et doit faire le bond créatif, technologique et philosophique indispensable à une relance écologique.
En dépit de ces considérations sémantiques, la France a su monter dans le train du développement durable en s’engageant dans le processus du Grenelle de l’environnement. Ce processus est le fruit d’une volonté politique des ONG et d’un gouvernement dans une concertation nationale qui restera une référence. Quand bien même, le gouvernement de Nicolas Sarkozy n’est, hélas, pas allé au bout de la logique du moindre impact sur l’environnement. La France demeure en retard sur ce sujet et doit faire le bond créatif, technologique et philosophique indispensable à une relance écologique.
Le “made in France”, au-delà des vertus économiques qu'on lui prête, est-il selon vous garant d'une empreinte écologique plus raisonnable ?
Il faut se méfier des recettes toutes faites qui sont présentées comme une panacée pour traiter les problèmes économiques et environnementaux. Que signifie consommer “made in France” aujourd’hui ? Tout au mieux s’agit-il d’acheter un produit dont l’assemblage a été réalisé en France et dont les matériaux et de composants proviennent des quatre coins du monde. Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une garantie écologique significative. Mais développer un outil industriel vert, une chimie verte, une industrie de la mobilité verte, une agriculture verte, des villes vertes est indispensable en France et en Europe. Cela doit-être une priorité ! Notre niveau social en dépend.
À l'heure où l'on ne parle que de compétitivité et de productivité, le développement durable est-il menacé par la conjoncture ?
Pour les entreprises, le développement durable est une opportunité économique. La crise et la raréfaction des ressources financières qu’elle entraîne accroissent bien sûr le nombre d’obstacles qui se posent aux entreprises soucieuses de s’inscrire dans une dynamique durable. Mais il me semble plus intéressant d’explorer les promesses avancées par le développement durable en temps de crise. Pensons au traitement des déchets : laquelle de la filière de l’incinération ou de celle du recyclage est-elle intense en main-d’œuvre ? À l’heure où nous peinons à créer de l’emploi, il me semble qu’il y a ici un chantier tout trouvé ! Et lutter contre l’obsolescence programmée en imposant une garantie de 10 ans de nos biens de consommation permettra l’allègement de notre empreinte écologique et favorisera l’emploi dans les services.
L'écologie industrielle permet à l'entreprise de réduire certains coûts, mais exige des investissements de départ parfois considérables. Doit-on davantage l'encourager fiscalement ?
L’incitation fiscale passée a eu des effets favorables, et que je considère nocifs pour l’environnement, sur l’achat des automobiles fonctionnant au diesel. Aujourd’hui, cette technologie représente une partie majoritaire du parc français de l’automobile. Il n’y a aucune raison de penser que ce mécanisme qui a profité au développement de technologies polluantes ne profite pas aujourd’hui à des technologies respectueuses des hommes et de l’environnement. De mon point de vue toutefois, ce genre de mécanisme incitatif ne prendrait de sens qu’à l’échelle européenne. Comment peut-on espérer influencer les entreprises en France s’il leur est possible d’échapper aux mesures d’incitation du gouvernement français en s’installant à moindre cout dans un pays voisin ? L’Europe a les moyens d’enrayer cette dynamique du chacun pour soi. À l’échelle des 27 pays, elle peut impulser un changement considérable avec une harmonisation écologique, sociale et fiscale sur l’ensemble du territoire européen.
Les salariés sont, au quotidien, parties prenantes au défi de l'écologie, à travers l'utilisation de consommables ou leurs déplacements par exemple. Y sont-ils suffisamment sensibilisés par leur hiérarchie ? Les fonctions achats, logistique ou RH des entreprises sont-elles réellement engagées dans cette voie ?
Pas suffisamment. Une certaine inertie s’exerce sur l’évolution des comportements. Elle est à mon sens largement imputable à un déficit d’éducation et de sensibilisation aux enjeux de l’écologie et de leurs liens avec la consommation. Je crois néanmoins que la conscience des femmes et des hommes à ce sujet s’est étendue et continue de s’étendre aujourd’hui. C’est la dynamique de l’économie légère, chère au regretté Thierry Kazazian, qu’il faut entretenir. Il en va de notre capacité à relever les défis du développement qui ne saccage pas l’avenir des générations futures.
Vous vous êtes très tôt impliqué aux côtés de précurseurs de l’écoconception. Mais on a le sentiment qu'on n'a jamais autant gaspillé qu'à notre époque. Comment l'expliquez-vous ?
Il y a aujourd’hui une cohabitation paradoxale entre des modes de consommation extrêmement gourmands en ressources, et des thèses qui en contestent la légitimité même. Les premiers sont hérités d’un modèle de développement vieux de plus de cinquante ans maintenant, tandis que les secondes ne sont que très récentes. Leur cohabitation n’est donc pas si surprenante. L’écoconception fait partie de ces concepts nouveaux. Ils décrivent un mode de production qui pense à l’utilité et l’usage et à la fin de vie du produit. Développons une économie circulaire où les déchets d’une unité de production sont utilisés par une seconde unité de production qui à son tour génère des déchets ou plutôt matières valorisables, utilisables pour une autre. À l’heure où l’on produit encore de l’essuie-tout à partir de papier non recyclé, et où une faible proportion des ampoules et piles, des bouteilles en plastique, du papier sont triés et recyclés , l’économie circulaire prend tout son sens. Mais il faudra du temps pour que ces concepts fassent référence, car... ils doivent s’imposer face à soixante ans de consommation de masse et de gaspillage.
L'agriculture, en première ligne des combats environnementaux, est aussi l'un des secteurs les plus vulnérables économiquement... La crise aura-t-elle raison de l'agriculture raisonnée ?
L’agriculture intensive est en cause dans la destruction des écosystèmes. Mais en France aujourd’hui, beaucoup de régions en sont encore dépendantes. C’est le cas de Bretagne, où l’élevage porcin a permis de maîtriser l’exode des populations dans les années 1950. Mais il y a aussi généré une pollution aux nitrates extrêmement lourde. Il faut donc réformer l’agriculture. L’année 2013 s’annonce comme une année cruciale à cet égard, car la PAC y sera annoncée. Les orientations qui seront alors décidées auront, bien plus que la crise, un effet durable sur les développements futurs de l’agriculture, car ce secteur était en grande difficulté et l’idée d’un pacte agricole, grande négociation nationale sur l’agriculture doit voir le jour rapidement.
Le développement des énergies renouvelables : un luxe en temps de crise ?
Lorsque nous constatons la situation qui prévaut dans les pays du nord, nous ne pouvons que croire à la sobriété et l’efficacité énergétique. Regardons ce qui se fait du côté des pays scandinaves, ou encore plus près de chez nous : l’Allemagne consomme moins d’énergie que nous et il y fait plus froid que chez nous ! Ce constat cache un vivier d’emploi et des industries nouvelles. Les énergies renouvelables pourraient aujourd’hui représenter en France le même espoir de souveraineté énergétique que le nucléaire en son temps. Mais cela ne se fera pas sans une volonté politique forte. Je souhaite pour ma part que l’Europe prenne les devants sur ce sujet. Pour quoi ne pas envisager une EADS des énergies renouvelables, de l’énergie verte ? Il me semble qu’une telle entreprise aurait tout son sens dans un domaine aussi stratégique que celui de l’énergie.
A-t-on une idée précise du coût de la pollution en terme de santé publique ?
Il est énorme. L’OMS avance le chiffre de 42 000 morts prématurés en France en raison de la qualité de l’air. Cette information montre que nous payons déjà au prix fort les déséquilibres de notre modèle de production et de consommation. Mais il serait réducteur d’aborder la question de la santé publique à travers le seul prisme de l’énergie. La santé publique pâtit aussi de la pollution industrielle, chimique agricole, domestique et celles-ci recouvrent une réalité extrêmement diverse. Nous contribuons tous à ce phénomène d’autopollution. Et c’est un paradoxe délétère qu’il faut nous faut impérativement résoudre dans un effort collectif. C’est de notre responsabilité de passager de la Terre. On ne peut vivre en bonne santé sur une planète malade.
Quel regard portez-vous sur l'argument de la décroissance, brandi par certains comme une condition de sortie de crise économique et écologique ?
On ne peut pas satisfaire nos besoins en mettant en place tous les éléments du déclin et de l’effondrement. Passer de la société du jetable à celle du durable en gaspillant moins est évidemment urgent. Notre mode de consommation actuel n’est pas l’avenir. Produire moins revient à supprimer des emplois. Or notre société et les individus qui la composent ont besoin de ces emplois ; il s’agit de notre ciment social. La question que nous devons tous nous poser et résoudre, c’est : comment produire autrement, dans le respect de critères d’utilité sociale et de conditions environnementales soutenables ?
Le Festival du Vent, que vous avez créé avec votre épouse, fête cette année ses 20 ans. Quel bilan tirez-vous de cet engagement ? Avez-vous constaté une évolution des mentalités depuis toutes ces années ?
Chez les jeunes oui. La prise de conscience est réelle. C’est un phénomène générationnel. C’est, dans un sens, à la fois normal et souhaitable, car c’est eux qui feront leur futur. Nous devons donc leur faire confiance, car ils ont les atouts pour faire changer l’Humanité et l’emmener avec bienveillance vers plus de diversité, de respect, et d’égalité envers notre planète et tous les humains.