RSE Mag: Avec le dernier recensement de la population, la question de l’esclavage a réapparu en Mauritanie. Comment un tel phénomène est-il possible en 2012 ?
Pascal Chaigneau: Il faut avoir à l’esprit que la Mauritanie est historiquement le dernier État à avoir supprimé juridiquement l’esclavage en 1981. La communauté noire y est donc extrêmement réactive. Ce, d’autant plus que l’esclavage n’a été réprimé qu’après une loi de mars 2007. Dans le contexte, le recensement de la population qui faisait apparaître la catégorie ethnique a réactivé la vieille fracture entre noirs et arabes au sein de la population.
Comment expliquer une telle fracture à l’intérieur d’un même pays ?
En fait, grande comme deux fois la France mais peuplée de moins de quatre millions d’habitants, la Mauritanie symbolise la ligne de fracture entre l’Afrique blanche arabisée et islamisée à partir du VIIIème siècle et une Afrique noire traditionnelle. Si vous ajoutez à cela que les populations d’origine arabe ont largement dominé la vie politique de ce pays qui détient le record des coups d’État sur le continent, vous situez le contexte sociopolitique très particulier de ce pays. Les Maures arabo-berbères blancs, les « Beydanes » ont pratiqué la domination des Peuls, Solinkés, Wolofs et Horatines appelés les « négro-mauritaniens ».
Comment expliquez-vous dès lors ce type de maladresse de la part des autorités ?
En fait, le régime de Nouakchott redoute un « printemps » mauritanien alors que la fragilité du Sahel, à commencer par le Mali voisin, est chaque jour plus inquiétante. Afin de préparer des élections, le Président Ould Abdelaziz a fait effectuer ce recensement mais doit aujourd’hui composer avec la réaction d’une grande partie de la population noire du pays. Le phénomène est d’autant plus sensible qu’un esclavage traditionnel subsiste du fait des inerties culturelles, éducatives et sociologiques.
Quels enjeux se préparent derrière le cas mauritanien ?
La Mauritanie est désormais un producteur de pétrole situé dans le polygone de crises du Sahel. La fragilisation du pays serait redoutable car il est devenu l’un des acteurs les plus efficaces contre les mouvements islamistes de la région.
Le cas mauritanien est-il une exception ?
En fait, à la hauteur du 20ème parallèle, l’Afrique est coupée entre le Nord arabe et musulman et le Sud noir et christianisé. Ainsi, à l’autre extrémité du continent, le Soudan a connu une sécession l’an passé entre Nord qui se vit comme appartenant au monde arabo-musulman et le Sud composé d’ethnies africaines traditionnelles et de religion chrétienne. Quand le pétrole s’ajoute à la fracture ethno-religieuse que nous venons d’évoquer les pires scénarios sont souvent à redouter.