Vous affirmez que le vote est insuffisant pour faire pencher la balance, qu’il faut s’investir davantage. Ne craignez-vous pas que cela puisse démotiver les personnes qui ne souhaitent pas faire plus que se rendre aux urnes ?
Je suis convaincu que confronter quelqu’un à la vérité factuelle tout en lui donnant des clés pour agir face à cette vérité quand elle est désagréable est la meilleure façon de donner envie à cette personne de passer à l’action. C’est d’ailleurs ce que je fais dans mon autre métier en tant qu’animateur de la Fresque du Climat, un outil de pédagogie sur l’urgence climatique. Et, c’est un fait, quand on se contente d’être un vote parmi 44 millions, l’impact est marginal. Si on se met à militer, on peut recruter en quelques semaines dix, vingt, cinquante nouveaux militants qui ramèneront chacun dix, cinquante, cent voix de plus. 50 000 militants ont alors une « puissance de vote » potentielle de 5 millions. L’impact est significatif. Mon but est donc de créer le déclic chez les lecteurs et lectrices qui votent encore pour qu’ils passent à l’action. Un des enjeux majeurs de 2022 est de ramener les abstentionnistes au vote. Pour cela, au lieu de leur taper sur la tête, de leur faire la morale et de les traiter d’irresponsables comme le font certains, il faut que celles et ceux qui votent encore franchissent le pas de devenir militant durant quelques semaines ou mois. Pour influer sur le résultat de 2022, chacun va devoir faire un pas de plus.
Au-delà des partis et des personnalités politiques, serait-il utile de militer pour inciter la population à aller voter ?
Voter pour voter, honnêtement, je ne suis pas certain. L’argument selon lequel « le vote est un droit durement acquis, il faut le défendre en l’utilisant » apparait comme trop théorique aujourd’hui pour beaucoup de ceux qui l’ont abandonné. D’autant plus quand le pouvoir est exercé avec un manque d’écoute certain de la population comme on l’a vu ces dernières années. Militer pour inciter les gens à aller voter c’est prendre le risque de s’entendre rétorquer « à quoi bon ? même quand on vote, ils ne nous écoutent pas. » À cet égard, le non-respect, via le traité de Lisbonne, du résultat du référendum sur le traité européen de 2005 reste un coup de couteau inexcusable dans le pacte démocratique. La manière dont le parlement est transformé sous Macron en chambre d’enregistrement des décisions du Président de la République également. Évidemment, il faut militer pour inciter la population à aller voter mais je crois qu’il faut également trouver des incitations avant et après le vote. Faire que le vote ne soit qu’une des étapes vers le réengagement politique, plutôt que l’étape unique et ultime d’une campagne.
Il y a donc un enjeu à militer pour inciter une partie de la population à d’autres actions qui précèdent le vote, afin d’être assez nombreux pour réussir à inciter la population à aller voter. Et inciter celles et ceux qui votent à continuer à s’engager dans la foulée du vote pour, quel que soit le résultat de l’élection, mettre la pression sur les dirigeants pour mettre en place les réformes attendues. C’est ce qui s’est passé en 1936 quand, après la victoire du Front populaire, le front syndical s’est immédiatement mobilisé pour obtenir les congés payés… qui n’étaient pas à l’origine dans le programme du Front Populaire de Léon Blum ! Rien ne s’arrête à l’élection, rien ne s’arrête au vote.
Il y a donc un enjeu à militer pour inciter une partie de la population à d’autres actions qui précèdent le vote, afin d’être assez nombreux pour réussir à inciter la population à aller voter. Et inciter celles et ceux qui votent à continuer à s’engager dans la foulée du vote pour, quel que soit le résultat de l’élection, mettre la pression sur les dirigeants pour mettre en place les réformes attendues. C’est ce qui s’est passé en 1936 quand, après la victoire du Front populaire, le front syndical s’est immédiatement mobilisé pour obtenir les congés payés… qui n’étaient pas à l’origine dans le programme du Front Populaire de Léon Blum ! Rien ne s’arrête à l’élection, rien ne s’arrête au vote.
À juste titre vous nous mettez en garde face aux pronostics. Pensez-vous qu’une meilleure prévention devrait être mise en place afin qu’ils n’influencent pas trop les électeurs ?
[Rire]. Qui pourrait bien faire cette prévention ? Les mêmes médias qui passent leur temps à commenter les sondages et traitent l’élection comme une course de petits chevaux ? Ce serait schizophrène. Sean King, écrivain américain, et militant des droits civiques expliquait en 2016 : « Faire des sondages est une excuse pour ne pas parler des programmes. Les courses de chevaux, c’est pour les pages sportives du journal ! Seuls deux types de sondages sont importants pour les médias indépendants : les sondages en sortie des urnes, et les sondages d’opinion concernant l’importance des différents sujets dans l’opinion. » La seule position qui vaille pour un média selon moi serait de refuser de commenter les sondages qui comparent les candidats et de mener des sondages sur les enjeux, les propositions politiques et non les candidats, ou de mener des sondages qui permettent des réponses plus qualitatives. À cet égard le sondage en jugement majoritaire comme le fait l’association « Mieux Voter » est significativement plus pertinent que ce qu’on nous propose. Il s’agit aussi de prendre conscience de ce qui fait que les médias sont à ce point drogués aux sondages. Ma conviction à ce sujet c’est que c’est lié à la précarisation du métier de journaliste et le remplacement progressif de l’analyse journalistique par du commentaire d’opinion d’éditorialistes qui prennent toute la place. Manquant de temps et de moyens pour faire du fond, les journalistes se retrouvent donc à commenter l’écume des sondages.
Face à la capacité d’influence des grands médias, pouvons-nous faire une réelle différence en tant que simple citoyen ?
Oui, mais pour cela il faut oser sortir de sa zone de confort. Pour diffuser ses idées de manière virale, il ne faut pas espérer et attendre le buzz, il faut le construire. Et cela passe par la conversation individuelle de personne à personne. C’est finalement assez similaire à la manière dont se propage un virus, sauf que l’on reste contagieux aussi longtemps qu’on veut et que militer fait qu’on se sent plus vivant ! Pour y arriver, un des premiers défis est de se libérer d’une croyance limitante selon laquelle « parler politique, c’est impoli », qu’on ne devrait pas parler politique aux repas de famille, ou à des inconnus. Cette idée reçue sert le statu quo. C’est un peu comme quand votre boss vous fait croire que c’est impoli de parler de niveaux de rémunérations entre collègues. Cette élection de 2022 déterminera en partie les conditions d’habitabilité de notre unique planète, c’est 2022 ou jamais alors halte à la pudeur ! Cela ne veut pas dire qu’il faut parler tout le temps politique, mais interroger les gens et poser des questions aux gens pour qu’ils expriment leurs attentes politiques et se libérer du carcan dont il voudrait que l’on n’en parle jamais.
Par ailleurs, il est crucial que les personnes engagées soutiennent les médias qui osent traiter l’information avec rigueur et différemment des médias traditionnels, avec des dons ou adhésions et des partages sur les réseaux.
Clément Pairot est l'auteur de N'allez plus seulement voter
Par ailleurs, il est crucial que les personnes engagées soutiennent les médias qui osent traiter l’information avec rigueur et différemment des médias traditionnels, avec des dons ou adhésions et des partages sur les réseaux.
Clément Pairot est l'auteur de N'allez plus seulement voter