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L’agribashing, ce cheval de Troie.

La rédaction
12/10/2021



Désireux d’éveiller les consciences, Alexandre Baumann s’est plongé dans les coulisses de l’agribashing, cette tendance au dénigrement de l'agriculture et de ses acteurs. Dans son ouvrage « Agribashing, Une violence qui s’ignore », il nous alerte sur la réalité et les dangers de l’agribashing. Face aux problématiques actuelles, Alexandre Baumann nous explique dans cette interview en quoi les agribashistes se trompent.



Dans votre ouvrage « Agribashing », vous semblez questionner la volonté sociale et gouvernementale tendant à une agriculture respectueuse de l’environnement. Pourquoi cette tendance ne serait-elle pas viable d’après vous ?

Il y a une différence entre ce qu’on prétend faire et ce qu’on fait vraiment et entre ce qu’on pense vouloir et ce qu’on veut vraiment. La volonté sociale et gouvernementale est très loin de tendre à « une agriculture respectueuse de l’environnement ». Toutes les mesures présentées comme allant en ce sens, comme le développement du bio, l’interdiction des NNI sur cultures non-mellifères et du glyphosate, n’ont en fait rien d’écologique et tout de politique. Il s’agit surtout de se donner bonne conscience et de flatter les électeurs. Cette citation résume bien le problème : « Les solutions simples, en agriculture, ça n’existe pas. » (p.39)
Ce sujet demanderait de longs développements, le mieux que vous puissiez faire est de parler aux agriculteurs et aux agronomes (@fragritwittos / @agridemain sur Twitter).

Dès janvier 2022 l’abattage des poussins mâles sera interdit en France. Comment les agriculteurs vont-ils faire face aux dépenses pour l’achat des nouvelles technologies nécessaires ? À quel point l’État doit-il s’impliquer ?

N’ayant pas d’éléments, je suis allé demander à Lucie, une éleveuse de poules pondeuses en transition vers le bio qui prépare d’ailleurs un parc grandiose pour ses volailles (@JoliesRousses). Il y aurait deux méthodes, « l’une à environ 1 € de la poule et l’autre à plus de 3 € de la poule ». L’aide accordée par l’État serait infime et les éleveurs ne pourraient pas assumer ce surcoût. Elle questionne : « Donc qui doit assumer ? »
C’est également ce que décrivent les éleveurs interviewés dans ces articles de Ouest-France et du Point (https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/avec-l-interdiction-du-broyage-des-poussins-les-producteurs-s-inquietent-pour-l-ovo-sexage-3ebd3f4e-1190-11ec-a427-1475d4e997d1  ; https://www.lepoint.fr/economie/fin-du-broyage-des-poussins-qui-va-payer-06-09-2021-2441636_28.php ).
On retrouve une société qui fait peser sur les éleveurs le poids de ses propres contradictions. Si la population voulait réellement mettre fin au broyage, une filière se serait mise en place et un marché « œuf produit sans broyage de poussin » aurait émergé, comme des filières « plein air » et « bio » ont émergé. Là, on a une mesure qui ressemble simplement à une charge imposée sans contrepartie aux éleveurs.
Je ne comprends pas que l’État se permette de prendre ce genre de mesures, qui n’apportent rien à la société (à part de donner le sentiment à quelques militants d’avoir fait quelque chose d’« utile », sans doute pour les calmer deux minutes, avant qu’ils aient une autre idée absurde) et endommagent un pan de son économie. Vraiment pour rien d’ailleurs, parce que ce qui ne se produit pas ici se produira ailleurs.
D’ailleurs, c’est déjà de plus en plus le cas. Alors qu’en 1995, nos exportations de viande de volaille étaient plus de 400 000tec (tonnes équivalent carcasse) supérieures à ce que nous importions, en 2019, c’était l’inverse : nos importations dépassaient nos exportations de plus de 200 000tec…[1]
 

Des agriculteurs passent volontiers à un nouveau modèle agricole engagé. Pensez-vous que ce choix résulte plus d’une conviction personnelle ou d’une contrainte sociale ?

Tout d’abord, il faut noter que l’idée qu’il y aurait un nouveau « modèle agricole » vers lequel il faudrait transiter est un des aspects de l’agribashing. Cela permet de donner une vision réductrice de l’agriculture, qu’il est ensuite plus facile de « s’approprier » et de manipuler. Il n’y a pas vraiment « un » modèle agricole, il y a de nombreuses agricultures. Vous pouvez être un agriculteur bio avec peu de logiques agronomiques, une rotation courte et des circuits longs comme un agriculteur conventionnel utilisant très peu d’intrants et avec une rotation longue et distribuant en circuit court, et cela avec des petites ou grandes fermes… Je ne sais pas si le « modèle agricole » dont on parle tant existe ailleurs que dans l’esprit de ceux qui l’évoquent.
L’agriculture peut devenir plus durable, c’est d’ailleurs ce qu’elle fait depuis des dizaines d’années, grâce aux agriculteurs et aux agronomes, et ce qu’elle continue à faire. Il faut penser l’agriculture en termes d’évolution et pas de révolution.
Ensuite, presque tous les agriculteurs que j’ai interrogés m’ont décrit des pratiques agronomiques élaborées pour réduire l’utilisation de phytosanitaires. Ils arrivent à réduire drastiquement leur consommation, tout simplement parce qu’ils veulent récolter plus en dépensant moins et qu’ils ont une vision long-terme de leurs champs. Je n’ai pas vu émerger de logique de conviction, le pragmatisme est suffisant pour motiver l’adoption de pratiques vertueuses. C’est pour cela qu’ils étaient quasiment tous à le faire… (et quand je dis « quasiment », c’est probablement parce que je n’ai pas assez approfondi)
Ils ne m’ont pas évoqué de « contrainte sociale » sous cet angle. Au contraire, on m’a parlé de l’agribashing comme une source de démotivation pour les anciens et de dissuasion pour les jeunes.

Comment faut-il sensibiliser le grand public aux conséquences de l’agribashing ?

D’une manière générale, l’agribashing repose lourdement sur le tissu d’illusions dont il a entouré l’agriculture. Le meilleur moyen de lutter contre est simplement de donner à voir la réalité qu’il dissimule, ce que font déjà beaucoup les agriculteurs, notamment sur Twitter (@agridemain et @fragritwittos) et sur YouTube. La première chose pour agir à son échelle est, je pense, de mettre à jour tous les mythes agribashistes auxquels on a adhéré, poser des questions aux agriculteurs, apprendre à découvrir l’agriculture, puis d’en parler autour de soi.
Je ne pense pas qu’une communication autour des conséquences de l’agribashing soit efficace. Les gens peuvent se permettre les pires atrocités s’ils pensent qu’ils ont raison. C’est le récit agribashiste et ses mensonges qui sont le cœur du problème.
En outre, avant de sensibiliser sur un sujet, il faut le connaître. Or, je n’ai fait que poser les fondations du champ de recherche. Il faudrait un travail plus important pour définir et identifier précisément les différents éléments et contours de l’agribashing.

[1]      Rapport « Compétitivité de la filière française volaille », FranceAgriMer, 25 juin 2021