Le management moderniste et ses limites
Jean-Pierre Le Goff a choisi de s’intéresser à la partie du management qui concerne l’encadrement d’équipes de travail au sein des services, des ateliers et des bureaux. Son objectif est de poser quelques repères et rendre compte de l’activité du management dans le domaine de la gestion de la ressource humaine. Etayé de nombreux témoignages (cadres, ingénieurs, formateurs…), l’auteur souhaite rompre avec une conception moderniste et idéologique du management, qui entend faire de l’entreprise une entité économique, citoyenne et consensuelle (fusion des individus dans l’organisation), où les relations de domination sont minimisées. Le management moderniste s'acharne désespérément à chercher des méthodes managériales miracles et universelles pour répondre à toutes situations ainsi qu'à employer un vocabulaire faussement savant qui freine la résolution des problèmes. De même, le sociologue alerte sur le danger de l’utilisation de techniques et outils de gestion qui tendent se développer au détriment des qualités humaines et du bon sens. L’entreprise moderne est présentée ici comme un « tout » organisé et unifié qui fédère l’ensemble des énergies pour répondre aux exigences de productivité. La conception moderniste du management cherche ainsi à poser des principes universels, inspirés de lois technico-économiques, en établissant un système de cohérence qui se veut totalement englobant, que l’on cherche à justifier au nom de la performance.
Le sociologue fait ainsi part de ses réserves concernant ce management moderniste, dit « participatif », qu’il juge en crise. Le management moderniste cherche à réconcilier l’économique, le social, et le culturel, de façon arbitraire et abstraite, en une synthèse harmonieuse . Il entend faire en sorte que les objectifs de l’entreprise moderne soient partagés par tous (participation et mobilisation de tous), en niant la réalité économique, sociale et culturelle propre à chaque personne (négation des écarts entre dirigeants et dirigés). Une telle vision pourrait à première vue sembler positive. Mais elle repose dans les faits sur une forme d’idéologie qui consiste à voir dans l’entreprise, un système technico-économique homogène et performant, géré par des spécialistes. Or beaucoup de ces spécialistes sont inexpérimentés. Ils ne connaissent pas le terrain, ce qui rend leurs discours inappropriés et les éloignent de la vérité. Le management moderniste s'engouffre alors vers un formalisme applicable à tous les domaines et utilisable uniquement par les initiés (termes pseudo-techniques, langage convenu...). Ainsi, quand surviennent des dysfonctionnements, ceux-ci sont analysés rationnellement. On cherche avant tout à se ramener à une situation rationnelle, où on applique des méthodes, on utilise des outils qui seraient adaptés à un univers "idéal", sans prendre en compte la réalité du terrain (contexte).
Pour un management humain, direct et ouvert
Or, pour Jean-Pierre Le Goff, ceci relève de l’idéologie : le management ne doit pas se voir comme un ensemble de compétences opérationnelles, auto-organisées. Il prône un retour au bon sens et à la pratique et rejette toutes tentatives visant à altérer ou dénaturer la réalité des organisations. Le management est avant tout un « art » qui implique une grande habileté, un savoir-faire qui s’acquiert sur le terrain et qui doit miser avant tout sur le facteur humain (motivation, implication, reconnaissance), pour répondre à la diversité des situations et à l’angoisse des collaborateurs. Il est illusoire de vouloir gérer les hommes, comme des êtres « sans intérieurs », pouvant agir à travers des mécanismes élémentaires. La motivation par exemple n’est pas un état que l’on peut manipuler ou contrôler, elle met en jeu de multiples facteurs dont on ne serait se rendre maître.
Il n’y a pas d’outil miracles ou de modèle de performance sans faille, mais une réalité économique et sociale qu’il s’agit d’analyser, de comprendre et de gérer au mieux. Pour J-P Le Goff, la complexité du management réside en ce qu'il n'est ni une science, ni une technique mais plutôt une autorité qui s'acquiert par l'intermédiaire des diverses situations au travail (expérience terrain). Le management doit par conséquent accepter le rôle économique de l’entreprise (profit), prendre en compte la diversité des situations, accepter les échecs, reconnaître les différences, assumer les tensions qui surviennent dans les organisations.
L’activité managériale n’a en effet de sens que si elle s’inscrit dans une compréhension directe et concrète des situations que vivent les salariés, en cherchant de façon modeste mais réelle à répondre aux sollicitations des équipes de travail.
L’activité managériale n’a en effet de sens que si elle s’inscrit dans une compréhension directe et concrète des situations que vivent les salariés, en cherchant de façon modeste mais réelle à répondre aux sollicitations des équipes de travail.
Les qualités de base requises pour l’activité de management doivent donc porter sur les qualités humaines. Le manager doit savoir écouter mais il doit surtout savoir décider en expliquant et en évaluant la portée de ses décisions. Il doit aussi maîtriser la forme, en intégrant l’ambiguïté potentielle du vocabulaire, la nécessité d’adapter son discours à l’auditoire, ce qui relève plus de l’intelligence de situation, de la capacité à s’adapter au contexte, que d'une connaissance particulière. Le manager doit également montrer sa capacité à concilier et négocier, pour éviter le recours à la force. De même, il importe de savoir observer le travail produit et les interactions qui en découlent, pour connaître avec précision les hommes et leurs compétences. Sur le plan relationnel, avoir du tact peut se révéler précieux, en sachant choisir le "bon moment" et les "bons mots".
Intuition, empathie et ressenti peuvent aussi contribuer à humaniser les rapports de travail, en repérant les tensions et les difficultés extérieures. Enfin, le manager doit être capable de cerner rapidement les déterminants du problème posé, envisager les hypothèses, anticiper les effets . Il doit connaître ses marges de manoeuvre d'un point de vue juridique, technique et organisationnel pour pouvoir agir efficacement. Il doit enfin être en mesure de formuler explicitement ses choix, pour susciter l'adhésion et l'engagement.
De façon générale, un manager efficace doit savoir gérer, avec calme et discernement, le triptyque « qualité, coût, délai » et la culture du "changement permanent". Il doit résister aux pressions et redonner du sens à la valeur travail et à la culture du métier, fondement de l’autorité professionnelle. Pour ce faire, il doit réussir à se décentrer et privilégier un management de proximité souple et ouvert. Il doit retrouver une éthique personnelle, en rétablissant une cohérence entre les paroles et les actes, et faire preuve de courage, quand les circonstances l’exigent.
De façon générale, un manager efficace doit savoir gérer, avec calme et discernement, le triptyque « qualité, coût, délai » et la culture du "changement permanent". Il doit résister aux pressions et redonner du sens à la valeur travail et à la culture du métier, fondement de l’autorité professionnelle. Pour ce faire, il doit réussir à se décentrer et privilégier un management de proximité souple et ouvert. Il doit retrouver une éthique personnelle, en rétablissant une cohérence entre les paroles et les actes, et faire preuve de courage, quand les circonstances l’exigent.
Conclusion
En donnant la parole aux acteurs (témoignages, récits), Jean pierre Le Goff nous montre les limites d’un management moderniste fondé sur des méthodes managériales miracles et universelles, gérées par des spécialistes peu en prise avec le terrain. Or Le management ne peut se résumer à de la technique, à la maîtrise d’outils. Il doit se voir comme un « art », une manière de cerner la diversité des contextes, de combiner habilement les attentes et préoccupations de chacun. Pour ce faire, il convient de repenser les formes de l'autorité , qui ne peuvent trouver leur légitimité que dans un élargissement du champ des connaissances (culture générale), la capacité à gérer des expériences inédites et développer un comportement éthique au travail (humilité, modestie, pragmatisme).
Pour aller plus loin
Le Goff J-P, Les illusions du Management, La découverte, 2003.
Le Goff J-P, Le mythe de l'entreprise, La découverte, 1996.
Le Goff J-P, La barbarie douce, La découverte, 1999.
Le Goff J-P, Le mythe de l'entreprise, La découverte, 1996.
Le Goff J-P, La barbarie douce, La découverte, 1999.