Jean-Noël Chaintreuil, vous décrivez dans votre ouvrage, écrit avec Carole Ballereau, Camille Barbry, Benjamin Fouks, « RH et transformations », le nouveau contexte du travail aujourd’hui. Pouvez-vous nous décrire cette transformation ?
Bien sûr. Sur ces dernières années, entre les crises sanitaires, économiques et sociales, le monde de travail a été chahuté et profondément bouleversé. Pour mieux comprendre cette transformation, regardons selon les 2 aspects : endogène et exogène de ce monde.
Pour l’endogène, on parle bien entendu du télétravail, du WFH (Work From Home), des modèles hybrides et des changements d’environnement de travail. Mais également des transformations technologiques (tant sur les devices et leur omniprésence que les plateformes sociales et la chasse à l’attention), de la prise en compte de l’algorithmisation (via les données et l’intelligence artificielle) et de l’automatisation du travail.
Pour l’exogène, prenons les attentes des nouvelles générations sur la dimension environnementale, les critères ESG, l’impact carbone attendu ainsi que leurs demandes en termes de quête de sens. Ces nouvelles générations défendent aussi fortement leurs valeurs (diversité, inclusion, santé mentale, etc.) et demandent à l’entreprise de les partager également pour pouvoir pleinement s’engager.
Le tout, avec une transformation des métiers qui demande une transformation des compétences – selon Gartner, 58 % des employés tous secteurs confondus devront acquérir des compétences nouvelles pour exercer leur métier dans le monde de demain. Ce qui implique de repenser les mécanismes d’apprentissage ainsi que la gouvernance pour devenir une entreprise apprenante.
Cette transformation sociétale qui induit une transformation des sociétés et donc du monde du travail ne peut être que continue et ascendante. Il n’y aura pas de retour arrière – et c’est tant mieux ! - sur ces avancées sociétales, mais il est urgent de prendre le temps pour accompagner au mieux les employés à ces changements, dans cet environnement particulièrement incertain et complexe.
On assiste aujourd’hui à une véritable guerre des talents. Cela est-il relié à cette transformation ou simplement conjoncturel ?
Cette guerre des talents existe et perdure depuis des années. Elle est bien sûr liée à la transformation des métiers et des compétences et elle continue d’évoluer avec les crises sociales et climatiques, amplifiée par la mondialisation.
Il y a donc pour les entreprises de vraies difficultés à recruter les talents voire même à comprendre les talents et les compétences qui lui sont nécessaires pour mener ces transformations et prendre pied dans le futur du travail.
On parle actuellement beaucoup de web3 et de métaverses, par exemple. Bon nombre d’entreprises s’interrogent sur comment recruter ces profils spécifiques pour expérimenter et ne pas passer à côté des innovations potentielles. Et c’est là, où le bât blesse : ces profils ne veulent pas rejoindre ces entreprises ? Ils ne sentent pas compris ni reconnus dans leur entièreté ; ils préfèrent leurs libertés d’action et leurs engagements personnels aux engagements projetés par l’entreprise.
Et pour pallier ce manque, il est donc essentiel pour les entreprises de travailler sur leur marque employeur tant en attraction qu’en fidélisation et de bien mettre en avant leurs valeurs et leurs capacités à comprendre la culture de ces talents.
Il faut également préciser qu’à la fin de 2020, les médias, politiques et entreprises se sont accordés à dire que le monde s’engageait vers un “monde d’après”. Deux ans après, le monde est quasi-similaire et pourtant, les collaborateurs avaient exprimé clairement leurs envies, choix et opinions sur l’environnement de travail qu’ils souhaitaient.
Quand on voit les exemples, aux États-Unis, avec les patrons des grandes banques poussant les collaborateurs à revenir au bureau ou dans les grandes sociétés technologiques où le WFH (Work From Home) complet semblent vivre ses derniers mois et en France, dans les secteurs de la restauration, du conseil et dans bien d’autres, il y a bien plus de difficultés à recruter qu’auparavant. Est-ce que l’on arrivera à la même situation qu’aux US où des primes à l’embauche sont versées voire même une prime pour venir à l’entretien.
Les entreprises sont vraisemblablement en train de perdre la guerre des talents qu’elles ont elles-mêmes nourrie.
En quoi le RH est-il la personne clé dans cet environnement ?
Lorsque l’on parle de transformations pour les entreprises, c’est avant tout une transformation culturelle des collaborateurs de ces entreprises. Et pour accompagner la transformation des collaborateurs, il faut agir sur les connaissances, les compétences et les comportements de ces collaborateurs, pour les préparer au monde du travail de demain. Et qui de mieux que les RH pour créer les conditions nécessaires à ces changements ?
Le RH est la personne clé pour prendre en compte le cycle de vie complet du collaborateur – de l’environnement de travail, à la flexibilité des horaires, aux packages de rémunération voire aux programmes d’accompagnement sur la santé mentale – ainsi que la notion d’expériences collaborateur, avoir une vision holistique de sa transformation et relier les besoins en compétences (réels et projetés) à la stratégie de l’entreprise.
Et bien entendu, il faut nuancer, car il n’est pas envisageable de faire porter la transformation et les actions qui en découlent par une seule personne. L’une des clés du succès réside dans la mise en place de combinaisons ou de tandem de profils et de fonctions, e.g. DG et RH ; Manager et RH ; Collaborateur et RH ; etc.
Que ce soit au niveau opérationnel ou stratégique, le RH se positionne en complémentarité avec les collaborateurs, managers et dirigeants.
L’objectif est bien de soutenir les ambitions stratégiques de l’entreprise, tout en apportant un éclairage sur les réalités terrain et défendre une politique humaine, sociale et responsable, en cohérence avec les valeurs et les attentes des collaborateurs.
Dans la mutation de la relation au travail et à l’entreprise que vous décrivez quelle doit être également la mutation de la fonction RH ?
Un peu comme le paradoxe de l’œuf et de la poule, il existe un paradoxe RH : est-ce que la fonction RH doit se transformer en priorité pour accompagner les transformations de l’entreprise ou l’entreprise doit d’abord se transformer pour que la fonction RH puisse trouver sa place et être en transformation ?
Et les chantiers sont nombreux : s’acculturer à la data, s’ouvrir à la prise en compte des santés (physique et mentale) des collaborateurs, cartographier les compétences de demain, proposer des expériences immersives d’apprentissage, comprendre les crises climatiques et projeter les évolutions afférentes, etc.
Imaginez-vous à quel point les entreprises ont besoin de faire évoluer leur population RH ? Quand on voit la crise ukrainienne et la sollicitation des RH pour faire face à de nombreux problèmes certes classiques, mais des facteurs d’urgence et d’impact bien plus forts : gestion de l’urgence immédiate en communicant auprès des collaborateurs sur place et ceux à distance, relocalisation, package de rémunération, plan de succession, etc.
Quel que soit l’ordre de transformation, il est évident que la fonction RH est en pleine mutation et ce n’est pas prêt de s’arrêter, au vu de la complexité croissante du monde.
Bien sûr. Sur ces dernières années, entre les crises sanitaires, économiques et sociales, le monde de travail a été chahuté et profondément bouleversé. Pour mieux comprendre cette transformation, regardons selon les 2 aspects : endogène et exogène de ce monde.
Pour l’endogène, on parle bien entendu du télétravail, du WFH (Work From Home), des modèles hybrides et des changements d’environnement de travail. Mais également des transformations technologiques (tant sur les devices et leur omniprésence que les plateformes sociales et la chasse à l’attention), de la prise en compte de l’algorithmisation (via les données et l’intelligence artificielle) et de l’automatisation du travail.
Pour l’exogène, prenons les attentes des nouvelles générations sur la dimension environnementale, les critères ESG, l’impact carbone attendu ainsi que leurs demandes en termes de quête de sens. Ces nouvelles générations défendent aussi fortement leurs valeurs (diversité, inclusion, santé mentale, etc.) et demandent à l’entreprise de les partager également pour pouvoir pleinement s’engager.
Le tout, avec une transformation des métiers qui demande une transformation des compétences – selon Gartner, 58 % des employés tous secteurs confondus devront acquérir des compétences nouvelles pour exercer leur métier dans le monde de demain. Ce qui implique de repenser les mécanismes d’apprentissage ainsi que la gouvernance pour devenir une entreprise apprenante.
Cette transformation sociétale qui induit une transformation des sociétés et donc du monde du travail ne peut être que continue et ascendante. Il n’y aura pas de retour arrière – et c’est tant mieux ! - sur ces avancées sociétales, mais il est urgent de prendre le temps pour accompagner au mieux les employés à ces changements, dans cet environnement particulièrement incertain et complexe.
On assiste aujourd’hui à une véritable guerre des talents. Cela est-il relié à cette transformation ou simplement conjoncturel ?
Cette guerre des talents existe et perdure depuis des années. Elle est bien sûr liée à la transformation des métiers et des compétences et elle continue d’évoluer avec les crises sociales et climatiques, amplifiée par la mondialisation.
Il y a donc pour les entreprises de vraies difficultés à recruter les talents voire même à comprendre les talents et les compétences qui lui sont nécessaires pour mener ces transformations et prendre pied dans le futur du travail.
On parle actuellement beaucoup de web3 et de métaverses, par exemple. Bon nombre d’entreprises s’interrogent sur comment recruter ces profils spécifiques pour expérimenter et ne pas passer à côté des innovations potentielles. Et c’est là, où le bât blesse : ces profils ne veulent pas rejoindre ces entreprises ? Ils ne sentent pas compris ni reconnus dans leur entièreté ; ils préfèrent leurs libertés d’action et leurs engagements personnels aux engagements projetés par l’entreprise.
Et pour pallier ce manque, il est donc essentiel pour les entreprises de travailler sur leur marque employeur tant en attraction qu’en fidélisation et de bien mettre en avant leurs valeurs et leurs capacités à comprendre la culture de ces talents.
Il faut également préciser qu’à la fin de 2020, les médias, politiques et entreprises se sont accordés à dire que le monde s’engageait vers un “monde d’après”. Deux ans après, le monde est quasi-similaire et pourtant, les collaborateurs avaient exprimé clairement leurs envies, choix et opinions sur l’environnement de travail qu’ils souhaitaient.
Quand on voit les exemples, aux États-Unis, avec les patrons des grandes banques poussant les collaborateurs à revenir au bureau ou dans les grandes sociétés technologiques où le WFH (Work From Home) complet semblent vivre ses derniers mois et en France, dans les secteurs de la restauration, du conseil et dans bien d’autres, il y a bien plus de difficultés à recruter qu’auparavant. Est-ce que l’on arrivera à la même situation qu’aux US où des primes à l’embauche sont versées voire même une prime pour venir à l’entretien.
Les entreprises sont vraisemblablement en train de perdre la guerre des talents qu’elles ont elles-mêmes nourrie.
En quoi le RH est-il la personne clé dans cet environnement ?
Lorsque l’on parle de transformations pour les entreprises, c’est avant tout une transformation culturelle des collaborateurs de ces entreprises. Et pour accompagner la transformation des collaborateurs, il faut agir sur les connaissances, les compétences et les comportements de ces collaborateurs, pour les préparer au monde du travail de demain. Et qui de mieux que les RH pour créer les conditions nécessaires à ces changements ?
Le RH est la personne clé pour prendre en compte le cycle de vie complet du collaborateur – de l’environnement de travail, à la flexibilité des horaires, aux packages de rémunération voire aux programmes d’accompagnement sur la santé mentale – ainsi que la notion d’expériences collaborateur, avoir une vision holistique de sa transformation et relier les besoins en compétences (réels et projetés) à la stratégie de l’entreprise.
Et bien entendu, il faut nuancer, car il n’est pas envisageable de faire porter la transformation et les actions qui en découlent par une seule personne. L’une des clés du succès réside dans la mise en place de combinaisons ou de tandem de profils et de fonctions, e.g. DG et RH ; Manager et RH ; Collaborateur et RH ; etc.
Que ce soit au niveau opérationnel ou stratégique, le RH se positionne en complémentarité avec les collaborateurs, managers et dirigeants.
L’objectif est bien de soutenir les ambitions stratégiques de l’entreprise, tout en apportant un éclairage sur les réalités terrain et défendre une politique humaine, sociale et responsable, en cohérence avec les valeurs et les attentes des collaborateurs.
Dans la mutation de la relation au travail et à l’entreprise que vous décrivez quelle doit être également la mutation de la fonction RH ?
Un peu comme le paradoxe de l’œuf et de la poule, il existe un paradoxe RH : est-ce que la fonction RH doit se transformer en priorité pour accompagner les transformations de l’entreprise ou l’entreprise doit d’abord se transformer pour que la fonction RH puisse trouver sa place et être en transformation ?
Et les chantiers sont nombreux : s’acculturer à la data, s’ouvrir à la prise en compte des santés (physique et mentale) des collaborateurs, cartographier les compétences de demain, proposer des expériences immersives d’apprentissage, comprendre les crises climatiques et projeter les évolutions afférentes, etc.
Imaginez-vous à quel point les entreprises ont besoin de faire évoluer leur population RH ? Quand on voit la crise ukrainienne et la sollicitation des RH pour faire face à de nombreux problèmes certes classiques, mais des facteurs d’urgence et d’impact bien plus forts : gestion de l’urgence immédiate en communicant auprès des collaborateurs sur place et ceux à distance, relocalisation, package de rémunération, plan de succession, etc.
Quel que soit l’ordre de transformation, il est évident que la fonction RH est en pleine mutation et ce n’est pas prêt de s’arrêter, au vu de la complexité croissante du monde.