Dominique Méda, Dans votre nouvel ouvrage « Une autre voie est possible », vous et vos coauteurs soulignez « les disparités internes à notre société » et les risques sociaux qu’elles comportent. Pouvez-vous nous indiquer les principaux enjeux de cette situation pour la France et l’Europe ?
Oui, nous mettons l’accent sur l’accentuation des diverses formes d’inégalités dans notre pays. Inégalités de revenus et de patrimoine bien sûr, mais également inégalités territoriales, inégalités dans l’accès à l’éducation et dans l’accès à l’emploi. Le chômage et la façon très sélective dont il frappe les populations – avec notamment de fortes discriminations selon l’origine et le lieu de résidence – est extrêmement problématique.
Mais comme nous le développons dans la préface de notre ouvrage, la crise sanitaire a également rendu visibles et exacerbé ces inégalités. Les études de l’Office National Statistique britannique ont permis de mettre en évidence que certaines professions avaient été particulièrement touchées par le Covid : métiers du care, chauffeurs de taxi et de bus, personnels de la vente, mais aussi que les personnes de couleur et les personnes à faibles revenus étaient surreprésentées parmi les décédés du Covid. Sans aller aussi loin, les études françaises ont montré des résultats équivalents : la crise du Covid a particulièrement frappé les classes populaires.
L’épidémie a mis en évidence la fragilité et la vulnérabilité de certaines catégories de la population qui trop souvent renoncent aux soins ou développent des co-morbidités en raison de conditions de vie de mauvaise qualité. Notre réponse est qu’il faut investir : dans nos infrastructures, dans la santé, dans l’éducation, dans la reconversion écologique de nos sociétés pour rendre celles-ci plus résistantes aux futures crises, notamment écologiques, qui ont déjà commencé mais qui risquent de se développer.
Peut-on parler d’une disparition possible des classes moyennes selon vous ?
Peut-être faut-il d’abord préciser de quoi on parle. Je reprends la définition de Thomas Amossé [1] pour qui les classes moyennes rassemblent les exploitants-agricoles, les artisans-commerçants et les professions intermédiaires, ce qui représente à peu près un tiers de la population active, neuf millions de personnes. Alors qu’on annonce depuis des décennies, tantôt que ce large groupe va absorber l’ensemble de la population active, tantôt qu’il va disparaître, Amossé montre au contraire sa grande stabilité.
Certes, une partie de ce groupe se sent menacée et craint le déclassement dû à la fois à l’augmentation générale du niveau d’éducation (les classes moyennes se sentent rattrapées) et en même temps à la déstabilisation de l’emploi stable. Mais il n’y a pas de raison qu’elles disparaissent, ni sous le coup de l’automatisation – ce sont plutôt les classes populaires qui sont touchées -, ni de la précarité car une partie de ce groupe social travaille dans le secteur public. En revanche oui, certaines fractions de ce groupe social sont menacées par les effets de la crise sanitaire qui risque d’entraîner de nombreuses faillites et ruptures de contrat, qu’il s’agisse du secteur du commerce ou de la culture.
Y aurait-il de nouvelles manières, en rupture avec ce que nous connaissons, de penser l’économie et la redistribution des richesses ?
Je crois qu’il nous faut repenser profondément la discipline économique et le fonctionnement de notre économie. Il nous faut réencastrer l’ensemble des processus économiques dans la biosphère, penser en termes physiques, de flux de matière et d’énergie car la principale menace sur la viabilité de nos sociétés c’est désormais le changement climatique et plus généralement la dégradation écologique.
Il faut donc que nos sociétés s’engagent au plus vite dans ce que j’appelle la reconversion écologique, investissent massivement dans celle-ci (nous expliquons comment dans l’ouvrage) et adoptent aussi de nouvelles pratiques de sobriété. Cela ne peut pas se faire sans immense changement et sans un effort massif de redistribution tant des revenus que des accès à l‘éducation et à l’emploi. Nous plaidons dans notre ouvrage pour une forte augmentation des minima sociaux - qu’il faut ouvrir aux jeunes -, un resserrement fort de l’écart des rémunérations, la revalorisation des métiers essentiels, une augmentation de la fiscalité pesant sur les plus aisés, la mise en œuvre d’une forme de garantie de l’emploi.
La sauvegarde de notre cohésion sociale est à cette condition. Avant la crise sanitaire notre principale proposition était déjà de consentir un investissement public supplémentaire dans la transition écologique et dans la recherche de vingt milliards d’euros par an pendant plus de dix ans. Cette proposition est plus actuelle que jamais aujourd’hui et malheureusement le plan de relance n’y correspond qu’en partie.
Oui, nous mettons l’accent sur l’accentuation des diverses formes d’inégalités dans notre pays. Inégalités de revenus et de patrimoine bien sûr, mais également inégalités territoriales, inégalités dans l’accès à l’éducation et dans l’accès à l’emploi. Le chômage et la façon très sélective dont il frappe les populations – avec notamment de fortes discriminations selon l’origine et le lieu de résidence – est extrêmement problématique.
Mais comme nous le développons dans la préface de notre ouvrage, la crise sanitaire a également rendu visibles et exacerbé ces inégalités. Les études de l’Office National Statistique britannique ont permis de mettre en évidence que certaines professions avaient été particulièrement touchées par le Covid : métiers du care, chauffeurs de taxi et de bus, personnels de la vente, mais aussi que les personnes de couleur et les personnes à faibles revenus étaient surreprésentées parmi les décédés du Covid. Sans aller aussi loin, les études françaises ont montré des résultats équivalents : la crise du Covid a particulièrement frappé les classes populaires.
L’épidémie a mis en évidence la fragilité et la vulnérabilité de certaines catégories de la population qui trop souvent renoncent aux soins ou développent des co-morbidités en raison de conditions de vie de mauvaise qualité. Notre réponse est qu’il faut investir : dans nos infrastructures, dans la santé, dans l’éducation, dans la reconversion écologique de nos sociétés pour rendre celles-ci plus résistantes aux futures crises, notamment écologiques, qui ont déjà commencé mais qui risquent de se développer.
Peut-on parler d’une disparition possible des classes moyennes selon vous ?
Peut-être faut-il d’abord préciser de quoi on parle. Je reprends la définition de Thomas Amossé [1] pour qui les classes moyennes rassemblent les exploitants-agricoles, les artisans-commerçants et les professions intermédiaires, ce qui représente à peu près un tiers de la population active, neuf millions de personnes. Alors qu’on annonce depuis des décennies, tantôt que ce large groupe va absorber l’ensemble de la population active, tantôt qu’il va disparaître, Amossé montre au contraire sa grande stabilité.
Certes, une partie de ce groupe se sent menacée et craint le déclassement dû à la fois à l’augmentation générale du niveau d’éducation (les classes moyennes se sentent rattrapées) et en même temps à la déstabilisation de l’emploi stable. Mais il n’y a pas de raison qu’elles disparaissent, ni sous le coup de l’automatisation – ce sont plutôt les classes populaires qui sont touchées -, ni de la précarité car une partie de ce groupe social travaille dans le secteur public. En revanche oui, certaines fractions de ce groupe social sont menacées par les effets de la crise sanitaire qui risque d’entraîner de nombreuses faillites et ruptures de contrat, qu’il s’agisse du secteur du commerce ou de la culture.
Y aurait-il de nouvelles manières, en rupture avec ce que nous connaissons, de penser l’économie et la redistribution des richesses ?
Je crois qu’il nous faut repenser profondément la discipline économique et le fonctionnement de notre économie. Il nous faut réencastrer l’ensemble des processus économiques dans la biosphère, penser en termes physiques, de flux de matière et d’énergie car la principale menace sur la viabilité de nos sociétés c’est désormais le changement climatique et plus généralement la dégradation écologique.
Il faut donc que nos sociétés s’engagent au plus vite dans ce que j’appelle la reconversion écologique, investissent massivement dans celle-ci (nous expliquons comment dans l’ouvrage) et adoptent aussi de nouvelles pratiques de sobriété. Cela ne peut pas se faire sans immense changement et sans un effort massif de redistribution tant des revenus que des accès à l‘éducation et à l’emploi. Nous plaidons dans notre ouvrage pour une forte augmentation des minima sociaux - qu’il faut ouvrir aux jeunes -, un resserrement fort de l’écart des rémunérations, la revalorisation des métiers essentiels, une augmentation de la fiscalité pesant sur les plus aisés, la mise en œuvre d’une forme de garantie de l’emploi.
La sauvegarde de notre cohésion sociale est à cette condition. Avant la crise sanitaire notre principale proposition était déjà de consentir un investissement public supplémentaire dans la transition écologique et dans la recherche de vingt milliards d’euros par an pendant plus de dix ans. Cette proposition est plus actuelle que jamais aujourd’hui et malheureusement le plan de relance n’y correspond qu’en partie.
[1] Thomas Amossé, « Classes moyennes. L’ambivalence d’une progression sociale », in Savoir/agir, 2019/2 N° 48 | pages 17 à 26