Didier Durandy et Hugues de Poncins
Didier Durandy, vous évoquez dans votre ouvrage, écrit avec Hugues de Poncins, « Réussir sa prise de poste en 7 étapes », les difficultés récurrentes qui sont souvent une cause d’échec. Pouvez-vous nous dresser un panorama de ces difficultés ?
Disons que les difficultés que nous avons été témoins, ou que nous avons expérimentées nous-mêmes (soit à titre personnel, soit auprès de nos clients), se constatent à 2 moments différents :
· Le 1er jour : accueil inexistant ; priorités imprévues ; collaborateurs de la nouvelle recrue indisponibles pour raisons diverses ; équipe dirigeante pensant que la nouvelle recrue fera sa place d’elle-même (et à la limite que c’est un bon test de sa capacité à s’intégrer) ; enfin et surtout, positionnement hiérarchique différent de ce qui a été annoncé : autorité floue, vague et non opérationnelle.
· Pendant les premiers mois (qu’il y ait une période d’essai ou pas) : situation différente de celle décrite au cours des entretiens d’embauche, aussi bien sur le plan de la qualité de l’équipe que sur celui des fonctions support (informatique, logistique, compétitivité, qualité de la fabrication, délais d’approvisionnement, facturation, image auprès de la clientèle, gestion des retours, etc.), ou encore ambiance de travail déplorable avec nombreuses démissions ou licenciements et conflits internes préjudiciables au bon fonctionnement du service concerné.
Parmi les conseils très concrets qui sont proposés, lequel selon vous est indispensable à suivre ?
Là également, il y a 2 moments forts à bien gérer par le candidat, et le conseil indispensable est différent à chaque période :
· Pendant les entretiens d’embauche, donc avant l’arrivée dans le service ou dans l’entreprise : que tout le monde parle « vrai » à la demande du candidat ; et si les représentants de l’employeur (qu’ils travaillent dans l’entreprise ou non) n’ont pas la réponse, le candidat doit pouvoir parler à un membre de sa future direction. Pas de langue de bois, pas d’enjolivement du poste et/ou du fonctionnement de l’entreprise. Pas de fausse autorité. Pas de responsabilités intenables. Pas d’objectifs irréalistes. Pas de collaborateurs indisponibles, car travaillant pour d’autres services ou pour le grand patron en même temps.
Mais cela n’est possible que si le candidat ne cherche pas un poste désespérément, auquel cas cela prouverait qu'il est prêt à prendre le poste en se disant qu’on « verra bien sur place »…
Ce qui veut dire que le candidat soit également prêt à parler-vrai et non pas se survendre pour avoir le job.
- 2ème moment fort, après quelques semaines ou mois, lorsque la nouvelle recrue se fait une idée précise de ce qu’on attend d’elle, quel est le taux d’adéquation entre :
* D’un côté, le job au sens large (le poste lui-même, équipe éventuelle de collaborateurs, équipe dirigeante, produits ou services, avenir de l’entreprise, valeurs portées, et surtout le sens qu’elle trouve dans son travail),
* Et de l’autre les attentes de sa direction, de son comex ou de son conseil d’administration.
Si le taux évalué est inférieur à l’attente de la nouvelle recrue, il faut agir : soit en en parlant avec sa hiérarchie s’il existe une possibilité de redresser la situation, soit en partant s’il ne semble pas y avoir d’espoir (manque de confiance réciproque, pas de vrai dialogue, pas de clarté dans le fonctionnement, pas de responsabilités précises, etc.).
Comment caractérisez-vous la mutation de la relation au travail et à l’entreprise ? Quels sont les nouveaux phénomènes qui émergent aujourd’hui ?
Il semble que 3 tendances se dessinent, dont la troisième est récente :
a) Un raisonnement à court terme du point de vue de l’employeur ; on a besoin de quelqu’un de très fort dans tel domaine, mais on ne sait pas si ce besoin sera pérenne ou pas : informatique, produit spécifique, gestion de la paie, contrôle de gestion par business unit ou centralisé, idem pour l’organisation commerciale ; voire un expert en développement interne ou externe... Le développement du recours au management de transition en est l’expression concrète. En fait, la carrière effectuée chez un seul employeur devient l’exception, surtout dans les grandes métropoles où l’éphémère devient la norme…
Du point de vue du candidat, s’il présente une plus-value recherchée, il va être tenté d’atteindre son seuil de Peter le plus rapidement possible, car aujourd’hui on devient très tôt un senior en fin de parcours avec valeur marchande en chute libre en termes de rémunération… Sans oublier que les chasseurs de têtes suivent les éléments les plus brillants de très près pour leur offrir de nouvelles opportunités en permanence.
b) La relation au travail et à l’entreprise est de plus en plus guidée par les contraintes juridiques, émanant d’un droit du travail devenu assez complexe ; les marges de manœuvre sont étroites alors que les cas à traiter donnent libre cours à des interprétations opposées selon les circonstances rencontrées ; de ce fait les abus sont difficiles à endiguer et les raisonnements « à la limite » de l’honnêteté intellectuelle peuvent permettre aussi bien à l’employeur qu’au salarié d’utiliser le système à son profit.
Il en résulte des raisonnements du type « précontentieux » où chacune des parties se constitue un dossier dès le premier jour du contrat d’engagement, juste « au cas où », lequel va ressortir le moment venu : par exemple, preuves de travaux et attitudes décevants d’un côté ; heures supplémentaires non payées pendant X mois, harcèlement moral de l’autre…
Alors qu’il serait tellement plus simple de se mettre tout de suite d'accord sur les règles du jeu, à savoir les règles réelles sur le temps de travail ... et les critères de satisfaction de l’employeur, y compris l'octroi de l'éventuelle part de variable, ou encore les perspectives de promotion ; ceci afin d’éviter les malentendus à moyen terme.
c) Le télétravail représente une petite révolution dans la façon dont les salariés sont managés, suivis, contrôlés, évalués, motivés et accompagnés par leur employeur. La relation employeur-employé façon télétravail nécessite donc une adaptation orchestrée par la direction des ressources humaines ; quant au N+1 traditionnel, il a dû très vite qu’il ne pouvait plus faire fonctionner son équipe à distance comme il le faisant dans un espace du type « open space » comme par le passé. Il se doit d’être plus précis dans ses instructions et plus attentif aux travaux réalisés par son équipe et aux résultats obtenus ; enfin l’évaluation annuelle nécessite l‘utilisation de critères différents du passé.
Quel en est l’impact sur la fonction du DRH ?
Il est difficile de parler de fonction du DRH en général, et ce pour 2 raisons :
- la première raison est que la dimension de l’entreprise dicte l’ampleur de sa fonction ; *dans un TPE voire une PME, il s’agit d’un chef du personnel chargé des aspects paie, responsabilités administratives, recrutements éventuels et formation occasionnelle ; *dans un grand groupe la fonction DRH est très large, scindée en plusieurs RRH, dont le juridique, et l’organisation des mutations et des promotions, ainsi que la gestion des évaluations annuelles lesquelles déterminent l’évolution des carrières en interne en collaboration avec la hiérarchie des salariés évalués. Sans oublier l’optimisation du rendement de la masse salariale en coordination avec le contrôle de gestion.
On peut cependant dire que l’élargissement permanent des attributions de la fonction du DRH représente une évolution assez significative depuis le début du XXIème siècle ; notamment la mobilité du personnel et le travail à distance (tels qu’évoqués plus haut) imposent un suivi à la fois différent et plus objectif que par le passé.
Ajoutons que la fonction du DRH a acquis une composante stratégique qui lui impose de s’aligner sur les grandes orientations de l’entreprise en amont des actions à entreprendre et non plus de chercher à s’adapter aux décisions prises par la direction générale ou le Comex, généralement avec un temps de retard.
Didier Durandy, après une carrière internationale dans le secteur bancaire et les ressources humaines, se consacre au coaching, aussi bien pour le compte d’employeurs que de salariés ; il est auteur et co-auteur de cinq ouvrages sur le management.
Hugues de Poncins est avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit du travail. Il conseille et plaide pour les entreprises et les cadres dirigeants ; il a travaillé dans l’industrie automobile et intervient régulièrement dans des situations de crise.
Disons que les difficultés que nous avons été témoins, ou que nous avons expérimentées nous-mêmes (soit à titre personnel, soit auprès de nos clients), se constatent à 2 moments différents :
· Le 1er jour : accueil inexistant ; priorités imprévues ; collaborateurs de la nouvelle recrue indisponibles pour raisons diverses ; équipe dirigeante pensant que la nouvelle recrue fera sa place d’elle-même (et à la limite que c’est un bon test de sa capacité à s’intégrer) ; enfin et surtout, positionnement hiérarchique différent de ce qui a été annoncé : autorité floue, vague et non opérationnelle.
· Pendant les premiers mois (qu’il y ait une période d’essai ou pas) : situation différente de celle décrite au cours des entretiens d’embauche, aussi bien sur le plan de la qualité de l’équipe que sur celui des fonctions support (informatique, logistique, compétitivité, qualité de la fabrication, délais d’approvisionnement, facturation, image auprès de la clientèle, gestion des retours, etc.), ou encore ambiance de travail déplorable avec nombreuses démissions ou licenciements et conflits internes préjudiciables au bon fonctionnement du service concerné.
Parmi les conseils très concrets qui sont proposés, lequel selon vous est indispensable à suivre ?
Là également, il y a 2 moments forts à bien gérer par le candidat, et le conseil indispensable est différent à chaque période :
· Pendant les entretiens d’embauche, donc avant l’arrivée dans le service ou dans l’entreprise : que tout le monde parle « vrai » à la demande du candidat ; et si les représentants de l’employeur (qu’ils travaillent dans l’entreprise ou non) n’ont pas la réponse, le candidat doit pouvoir parler à un membre de sa future direction. Pas de langue de bois, pas d’enjolivement du poste et/ou du fonctionnement de l’entreprise. Pas de fausse autorité. Pas de responsabilités intenables. Pas d’objectifs irréalistes. Pas de collaborateurs indisponibles, car travaillant pour d’autres services ou pour le grand patron en même temps.
Mais cela n’est possible que si le candidat ne cherche pas un poste désespérément, auquel cas cela prouverait qu'il est prêt à prendre le poste en se disant qu’on « verra bien sur place »…
Ce qui veut dire que le candidat soit également prêt à parler-vrai et non pas se survendre pour avoir le job.
- 2ème moment fort, après quelques semaines ou mois, lorsque la nouvelle recrue se fait une idée précise de ce qu’on attend d’elle, quel est le taux d’adéquation entre :
* D’un côté, le job au sens large (le poste lui-même, équipe éventuelle de collaborateurs, équipe dirigeante, produits ou services, avenir de l’entreprise, valeurs portées, et surtout le sens qu’elle trouve dans son travail),
* Et de l’autre les attentes de sa direction, de son comex ou de son conseil d’administration.
Si le taux évalué est inférieur à l’attente de la nouvelle recrue, il faut agir : soit en en parlant avec sa hiérarchie s’il existe une possibilité de redresser la situation, soit en partant s’il ne semble pas y avoir d’espoir (manque de confiance réciproque, pas de vrai dialogue, pas de clarté dans le fonctionnement, pas de responsabilités précises, etc.).
Comment caractérisez-vous la mutation de la relation au travail et à l’entreprise ? Quels sont les nouveaux phénomènes qui émergent aujourd’hui ?
Il semble que 3 tendances se dessinent, dont la troisième est récente :
a) Un raisonnement à court terme du point de vue de l’employeur ; on a besoin de quelqu’un de très fort dans tel domaine, mais on ne sait pas si ce besoin sera pérenne ou pas : informatique, produit spécifique, gestion de la paie, contrôle de gestion par business unit ou centralisé, idem pour l’organisation commerciale ; voire un expert en développement interne ou externe... Le développement du recours au management de transition en est l’expression concrète. En fait, la carrière effectuée chez un seul employeur devient l’exception, surtout dans les grandes métropoles où l’éphémère devient la norme…
Du point de vue du candidat, s’il présente une plus-value recherchée, il va être tenté d’atteindre son seuil de Peter le plus rapidement possible, car aujourd’hui on devient très tôt un senior en fin de parcours avec valeur marchande en chute libre en termes de rémunération… Sans oublier que les chasseurs de têtes suivent les éléments les plus brillants de très près pour leur offrir de nouvelles opportunités en permanence.
b) La relation au travail et à l’entreprise est de plus en plus guidée par les contraintes juridiques, émanant d’un droit du travail devenu assez complexe ; les marges de manœuvre sont étroites alors que les cas à traiter donnent libre cours à des interprétations opposées selon les circonstances rencontrées ; de ce fait les abus sont difficiles à endiguer et les raisonnements « à la limite » de l’honnêteté intellectuelle peuvent permettre aussi bien à l’employeur qu’au salarié d’utiliser le système à son profit.
Il en résulte des raisonnements du type « précontentieux » où chacune des parties se constitue un dossier dès le premier jour du contrat d’engagement, juste « au cas où », lequel va ressortir le moment venu : par exemple, preuves de travaux et attitudes décevants d’un côté ; heures supplémentaires non payées pendant X mois, harcèlement moral de l’autre…
Alors qu’il serait tellement plus simple de se mettre tout de suite d'accord sur les règles du jeu, à savoir les règles réelles sur le temps de travail ... et les critères de satisfaction de l’employeur, y compris l'octroi de l'éventuelle part de variable, ou encore les perspectives de promotion ; ceci afin d’éviter les malentendus à moyen terme.
c) Le télétravail représente une petite révolution dans la façon dont les salariés sont managés, suivis, contrôlés, évalués, motivés et accompagnés par leur employeur. La relation employeur-employé façon télétravail nécessite donc une adaptation orchestrée par la direction des ressources humaines ; quant au N+1 traditionnel, il a dû très vite qu’il ne pouvait plus faire fonctionner son équipe à distance comme il le faisant dans un espace du type « open space » comme par le passé. Il se doit d’être plus précis dans ses instructions et plus attentif aux travaux réalisés par son équipe et aux résultats obtenus ; enfin l’évaluation annuelle nécessite l‘utilisation de critères différents du passé.
Quel en est l’impact sur la fonction du DRH ?
Il est difficile de parler de fonction du DRH en général, et ce pour 2 raisons :
- la première raison est que la dimension de l’entreprise dicte l’ampleur de sa fonction ; *dans un TPE voire une PME, il s’agit d’un chef du personnel chargé des aspects paie, responsabilités administratives, recrutements éventuels et formation occasionnelle ; *dans un grand groupe la fonction DRH est très large, scindée en plusieurs RRH, dont le juridique, et l’organisation des mutations et des promotions, ainsi que la gestion des évaluations annuelles lesquelles déterminent l’évolution des carrières en interne en collaboration avec la hiérarchie des salariés évalués. Sans oublier l’optimisation du rendement de la masse salariale en coordination avec le contrôle de gestion.
On peut cependant dire que l’élargissement permanent des attributions de la fonction du DRH représente une évolution assez significative depuis le début du XXIème siècle ; notamment la mobilité du personnel et le travail à distance (tels qu’évoqués plus haut) imposent un suivi à la fois différent et plus objectif que par le passé.
Ajoutons que la fonction du DRH a acquis une composante stratégique qui lui impose de s’aligner sur les grandes orientations de l’entreprise en amont des actions à entreprendre et non plus de chercher à s’adapter aux décisions prises par la direction générale ou le Comex, généralement avec un temps de retard.
Didier Durandy, après une carrière internationale dans le secteur bancaire et les ressources humaines, se consacre au coaching, aussi bien pour le compte d’employeurs que de salariés ; il est auteur et co-auteur de cinq ouvrages sur le management.
Hugues de Poncins est avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit du travail. Il conseille et plaide pour les entreprises et les cadres dirigeants ; il a travaillé dans l’industrie automobile et intervient régulièrement dans des situations de crise.