Nous vivons dans un monde qualifié de VUCA par certains : Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu. Face à ces nouveaux paramètres, confrontés qui plus est à de nouvelles générations qui ont un autre rapport au travail que leurs prédécesseurs, il ne suffit plus de dire quoi faire à nos collaborateurs pour qu’ils le fassent. Les techniques managériales « classiques » atteignent leurs limites. Comment réinventer sa pratique managériale dans ce nouveau monde ? Comment donner envie de faire ? Comment inspirer à faire ? Une des voies possibles est celle de questionner plutôt qu’affirmer et conseiller.
Un management aux process et aux méthodes éprouvés
Il n’y a encore pas si longtemps, dans les années 1990, nous vivions dans un environnement qui apportait une forme de sécurité dans un cadre de référence qui restait relativement stable. Alors manager en entreprise, j’élaborais chaque année le budget de l’année suivante en m’appuyant sur les résultats de l’année écoulée et sur un prévisionnel de ventes découlant des entretiens menés avec les clients. Des clients qui étaient fidèles si les produits et les services répondaient à leur demande, et qui s’engageaient à commander auprès de leurs fournisseurs à concurrence d’un certain montant. Mon travail consistait alors essentiellement à suivre les ventes, à entretenir la relation avec les clients, à en trouver de nouveaux, à adapter ou à compléter l’offre en cours d’année – innover, disons-nous aujourd’hui – pour vendre davantage, et à diminuer les coûts pour optimiser la marge. C’était l’époque des business plans à trois, cinq et dix ans. Les paramètres étaient connus et stables. Pour obtenir plus de résultats, il suffisait de faire évoluer ces mêmes paramètres. Pour faire mieux, il suffisait de modifier les modes opératoires. Cet environnement certain demandait, certes, une certaine capacité d’adaptation pour faire face à la pression du « faire toujours plus de la même chose» afin d’obtenir plus de chiffre d’affaires, plus de clients, plus de résultats… financiers surtout. Pour développer la performance des collaborateurs, le management portait essentiellement sur la manière de faire et de s’y prendre, le fameux « comment faire ». C’était l’époque des procédures, du système de management par la qualité. Pour atteindre un résultat, pour aller d’un point A à un point B, on s’appuyait sur les process qui avaient fait leurs preuves. On pouvait compter sur les connaissances et l’expérience. Au mieux cherchait-on à développer l’efficience pour aller plus vite et de façon optimisée au point B. Et, pour y parvenir, on y allait à grand renfort de formations, de rémunération variable et de primes. C’était l’ère du « comment » et du « faire», et aussi celle des indicateurs, des tableaux de bord et des certitudes.
On a vu arriver les premiers RPS (risques psychosociaux), car faire toujours plus de la même chose pour obtenir toujours plus de profit a fini par atteindre ses limites, ainsi qu’une montée du mal-être dans les entreprises allant jusqu’aux suicides dans certaines.
C’était hier et pourtant le management a considérablement évolué. Si les fondements restent bien souvent les mêmes dans la plupart des entreprises, l’arsenal de process industriels et managériaux ne suffit plus. Nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’un nouveau monde dominé par l’incertitude, par les crises : environnementale, climatique, sociétale, politique, économique, sanitaire… existentielle aussi. Il n’y a qu’une seule chose qui ne change pas, c’est le changement. Les changements sont de plus en plus fréquents, de plus en plus rapides, et de plus en plus brutaux aussi. L’arrivée d’Internet et le déploiement des nouvelles technologies ont accéléré le processus. Ou peut-être en sont-ils à l’origine ? Tels des véliplanchistes, nous devons avancer sur l’eau, suivre le courant, sans savoir si nous allons avoir devant nous une mer d’huile ou un tsunami. Face à cela, il convient non plus seulement de garder l’équilibre, de rester debout sur notre planche, mais également d’apprendre à tomber à l’eau, à retenir son souffle, à nager, quoi qu’il advienne.
On a vu arriver les premiers RPS (risques psychosociaux), car faire toujours plus de la même chose pour obtenir toujours plus de profit a fini par atteindre ses limites, ainsi qu’une montée du mal-être dans les entreprises allant jusqu’aux suicides dans certaines.
C’était hier et pourtant le management a considérablement évolué. Si les fondements restent bien souvent les mêmes dans la plupart des entreprises, l’arsenal de process industriels et managériaux ne suffit plus. Nous assistons aujourd’hui à l’émergence d’un nouveau monde dominé par l’incertitude, par les crises : environnementale, climatique, sociétale, politique, économique, sanitaire… existentielle aussi. Il n’y a qu’une seule chose qui ne change pas, c’est le changement. Les changements sont de plus en plus fréquents, de plus en plus rapides, et de plus en plus brutaux aussi. L’arrivée d’Internet et le déploiement des nouvelles technologies ont accéléré le processus. Ou peut-être en sont-ils à l’origine ? Tels des véliplanchistes, nous devons avancer sur l’eau, suivre le courant, sans savoir si nous allons avoir devant nous une mer d’huile ou un tsunami. Face à cela, il convient non plus seulement de garder l’équilibre, de rester debout sur notre planche, mais également d’apprendre à tomber à l’eau, à retenir son souffle, à nager, quoi qu’il advienne.
Changement de paradigme
Comme beaucoup de confrères, je constate, depuis une décennie environ, ce que tout le monde se plaît à dire pour expliquer ce qui se passe et que nous ne contrôlons pas : un changement de paradigme, un changement de cadre de référence, qui s’est amplifié avec la pandémie Covid-19. Cela engendre de l’inquiétude et de la peur. Et c’est normal, c’est humain. La peur a une fonction utile, celle de nous prévenir d’un danger et nous amener à nous en protéger. Seulement, poussée à l’extrême ou exacerbée, elle inhibe et enferme. Ce changement exige aussi de nouvelles compétences, de nouveaux savoir-faire. Et aussi un nouveau savoir-être au monde pour mieux savoir devenir. Nous sommes invités à passer de la peur à la confiance et à l’ouverture, à soi et aux autres. Nous passons du « comment » au « pourquoi », à la question de la finalité et du sens. Nous passons de l’ère du « faire» à celle de l’«être». Au terme de « crise», je préfère celui de « mutation », avec toute l’espérance et toutes ses promesses de renouveau. La crise fait référence à la rupture de l’équilibre en cours. C’est ce déséquilibre qui exige une mutation de chacun d’entre nous pour être en mesure de recréer un nouvel équilibre, lequel conditionne notre légitime espérance et ouvre des espaces d’innovation et de créativité.
Les enjeux ont donc changé. Voici cinq enjeux du manager du XXIe siècle, parmi certainement de nombreux autres. Je les ai choisis car ils m’apparaissent comme fondamentaux : ils font écho aux difficultés que m’exposent mes clients en entreprise :
Les enjeux ont donc changé. Voici cinq enjeux du manager du XXIe siècle, parmi certainement de nombreux autres. Je les ai choisis car ils m’apparaissent comme fondamentaux : ils font écho aux difficultés que m’exposent mes clients en entreprise :
- Créer un climat de confiance propice à la renaissance
- Accompagner le changement
- Redonner sa juste place aux émotions
- Mieux travailler ensemble
Vers un nouvel équilibre
Les enjeux du manager du XXe siècle sont nombreux et passionnants, particulièrement pour qui aime grandir et faire grandir! Ils sont aussi un sacré défi! D’ailleurs, une étude des Échos* révèle que 55 % des CEO placent le développement d’une nouvelle génération de leaders dans leurs priorités.
En tant que manager, dans la mesure où les fondamentaux du management changent, nous assistons à une véritable révolution. L’évolution maintient les fondamentaux. Elle est un ajustement dans un équilibre général. Le système tend à préserver son équilibre, son homéostasie, par un mécanisme d’autorégulation permanent, appelé rétroactions négatives. Ce qui se passe actuellement est une révolution. Cette mutation correspond à un déséquilibre de fond, soutenu par des rétroactions positives qui cherchent à établir un nouvel équilibre d’un niveau de complexité supérieur. Cette révolution, cette mutation nous invite donc au minimum, en tant que manager ou dirigeant, à « savoir-faire faire » autrement.
Ce nouvel équilibre ne pourra pas advenir tant que nous n’aurons pas révisé nos manières de penser soi-même, les autres, la vie, le monde. Comme l’écrit Abdenour Bidar dans Les Tisserands**, l’enjeu est de retisser le tissu d’une relation saine à soi, à l’autre et à la nature. Dans cet environnement cherchant à établir un nouvel équilibre durable, les individus sont en perte de repères. Ce qui est bien finalement, car nous prenons alors conscience que nos repères ne sont plus adéquats à la situation, comme si nos vêtements étaient devenus trop petits pour nous, ou comme le serpent qui se débarrasse de sa vieille peau en période de mue. Comment, en entreprise, développer la performance dans un monde changeant et incertain ? Comment partager une vision claire de l’avenir à ses collaborateurs, alors que tout est flou autour de nous ? En fait, le problème est une crise de l’intelligence et de la sémantisation de ce qui se passe, d’où la pertinence du questionnement qui est un art et une nouvelle compétence à acquérir pour rétablir un équilibre existentiel. Comment fixer un cap et s’y tenir, alors que la tempête fait rage ? Comment fédérer et embarquer ses équipes quand l’inquiétude domine ? Comment donner de la valeur au collectif quand l’individualisme prend le pas ? Il ne peut y avoir de collectif sans passer par une tentative individuelle et, dans sa version négative, l’individualisme. Chacun fait comme il peut ! Comment inviter à l’audace et à la co construction d’un nouveau monde quand la société se barde d’interdits, mouvement que la pandémie Covid-19 a encore amplifié ?
Selon certains auteurs la révolution passera par une redéfinition de l’entreprise responsable et consciente, celle qui ambitionne avant tout le bien, le beau et le vrai. Dans cette nouvelle économie, le profit est uniquement la conséquence de la qualité des relations entre les acteurs du système. Une telle entreprise est portée par un dirigeant qui, pour pouvoir accompagner efficacement ses équipes dans cette ascension, est lui-même passé par un chemin de transformation intérieure. Un certain nombre d’organisations sont sur cette voie comme Germe en France et APM ( Association pour le Progrès du Management) à l’international qui y œuvrent avec près de 10 500 managers et dirigeants. On voit bien que les nouvelles compétences relèvent davantage du savoir-être que du savoir-faire. C’est parce que nous apprendrons à « être » autrement que nous pourrons « faire » mieux et autrement.
Pratiquer l’art du questionnement, et du questionnement réflexif de surcroît, contribue au développement de toutes ces nouvelles compétences indispensables :
– c’est apprendre à poser un cadre managérial contenant et soutenant propice à la confiance ;
– c’est apprendre à communiquer autrement, de façon affirmée et bienveillante ;
– c’est apprendre à écouter avant tout ;
– c’est développer son empathie et son intelligence émotionnelle ;
– c’est anticiper et gérer les conflits, source d’apprentissage et de progression ;
– c’est apprendre à prendre, et à faire prendre, conscience et confiance en ses ressources et ses potentiels.
Au fond, pratiquer l’art du questionnement, c’est adopter une posture de manager leader et affirmer son leadership.
* Résultat d’étude publié dans Liaisons Flash n° 749, semaine 13, année 2021.
** Bidar A., Les tisserands, Les liens qui libèrent, France, 2019
En tant que manager, dans la mesure où les fondamentaux du management changent, nous assistons à une véritable révolution. L’évolution maintient les fondamentaux. Elle est un ajustement dans un équilibre général. Le système tend à préserver son équilibre, son homéostasie, par un mécanisme d’autorégulation permanent, appelé rétroactions négatives. Ce qui se passe actuellement est une révolution. Cette mutation correspond à un déséquilibre de fond, soutenu par des rétroactions positives qui cherchent à établir un nouvel équilibre d’un niveau de complexité supérieur. Cette révolution, cette mutation nous invite donc au minimum, en tant que manager ou dirigeant, à « savoir-faire faire » autrement.
Ce nouvel équilibre ne pourra pas advenir tant que nous n’aurons pas révisé nos manières de penser soi-même, les autres, la vie, le monde. Comme l’écrit Abdenour Bidar dans Les Tisserands**, l’enjeu est de retisser le tissu d’une relation saine à soi, à l’autre et à la nature. Dans cet environnement cherchant à établir un nouvel équilibre durable, les individus sont en perte de repères. Ce qui est bien finalement, car nous prenons alors conscience que nos repères ne sont plus adéquats à la situation, comme si nos vêtements étaient devenus trop petits pour nous, ou comme le serpent qui se débarrasse de sa vieille peau en période de mue. Comment, en entreprise, développer la performance dans un monde changeant et incertain ? Comment partager une vision claire de l’avenir à ses collaborateurs, alors que tout est flou autour de nous ? En fait, le problème est une crise de l’intelligence et de la sémantisation de ce qui se passe, d’où la pertinence du questionnement qui est un art et une nouvelle compétence à acquérir pour rétablir un équilibre existentiel. Comment fixer un cap et s’y tenir, alors que la tempête fait rage ? Comment fédérer et embarquer ses équipes quand l’inquiétude domine ? Comment donner de la valeur au collectif quand l’individualisme prend le pas ? Il ne peut y avoir de collectif sans passer par une tentative individuelle et, dans sa version négative, l’individualisme. Chacun fait comme il peut ! Comment inviter à l’audace et à la co construction d’un nouveau monde quand la société se barde d’interdits, mouvement que la pandémie Covid-19 a encore amplifié ?
Selon certains auteurs la révolution passera par une redéfinition de l’entreprise responsable et consciente, celle qui ambitionne avant tout le bien, le beau et le vrai. Dans cette nouvelle économie, le profit est uniquement la conséquence de la qualité des relations entre les acteurs du système. Une telle entreprise est portée par un dirigeant qui, pour pouvoir accompagner efficacement ses équipes dans cette ascension, est lui-même passé par un chemin de transformation intérieure. Un certain nombre d’organisations sont sur cette voie comme Germe en France et APM ( Association pour le Progrès du Management) à l’international qui y œuvrent avec près de 10 500 managers et dirigeants. On voit bien que les nouvelles compétences relèvent davantage du savoir-être que du savoir-faire. C’est parce que nous apprendrons à « être » autrement que nous pourrons « faire » mieux et autrement.
Pratiquer l’art du questionnement, et du questionnement réflexif de surcroît, contribue au développement de toutes ces nouvelles compétences indispensables :
– c’est apprendre à poser un cadre managérial contenant et soutenant propice à la confiance ;
– c’est apprendre à communiquer autrement, de façon affirmée et bienveillante ;
– c’est apprendre à écouter avant tout ;
– c’est développer son empathie et son intelligence émotionnelle ;
– c’est anticiper et gérer les conflits, source d’apprentissage et de progression ;
– c’est apprendre à prendre, et à faire prendre, conscience et confiance en ses ressources et ses potentiels.
Au fond, pratiquer l’art du questionnement, c’est adopter une posture de manager leader et affirmer son leadership.
* Résultat d’étude publié dans Liaisons Flash n° 749, semaine 13, année 2021.
** Bidar A., Les tisserands, Les liens qui libèrent, France, 2019
Catherine Fabri, auteure de L’Art du Questionnement, Editions Mardaga (2021)
Catherine Fabri est coach professionnelle, superviseure de coachs certifiée et sophrologue. Elle intervient en entreprise en communication interpersonnelle, cohésion d’équipe, connaissance de soi et développement du leadership, et dans des établissements d’enseignement supérieur. Très investie dans des réseaux de managers, elle est aussi Déléguée Régionale de l’European Mentoring and Coaching Council.
Catherine Fabri est coach professionnelle, superviseure de coachs certifiée et sophrologue. Elle intervient en entreprise en communication interpersonnelle, cohésion d’équipe, connaissance de soi et développement du leadership, et dans des établissements d’enseignement supérieur. Très investie dans des réseaux de managers, elle est aussi Déléguée Régionale de l’European Mentoring and Coaching Council.