Contre le cliché de la France périphérique, la réalité de l’économie des territoires
L’idée d’une France extra-urbaine en cours de déclassement généralisé a largement servi de grille d’analyse pour tenter d’expliquer la flambée de mécontentement exprimée par une partie de la population française lors de la crise des Gilets Jaunes. Selon cette approche, Paris et les grandes métropoles riches, dynamiques et attractives feraient face à des territoires ruraux déclassés, paupérisés et en voie de dépeuplement. La litanie des annonces de fermeture d’usines et de services publics, notamment les hôpitaux, dans certains territoires, donne effectivement l’impression d’un mouvement généralisé et inéluctable, où désindustrialisation et déclassement iraient de pair hors des grandes métropoles.
Les entreprises à ancrage local, moteurs de l’attractivité hors des métropoles
Pourtant, cette impression générale peut être nuancée. Il existe une « France des territoires » attractive et créatrice de richesses, mue par l’ambition et l’énergie de ses acteurs économiques. Une étude récente de l’INSEE montre qu’à l’encontre de l’idée reçue d’un déclassement inéluctable, la France rurale résiste au dépeuplement et attire de nouveaux habitants. Les causes de cette attractivité sont multiples : accessibilité de l’immobilier, qualité de vie … et opportunités d’emploi. Car si les métropoles sont indéniablement des pôles d’attractivité, de nombreuses entreprises, y compris de dimension internationale, non seulement prospèrent dans les territoires, mais font également prospérer ceux-ci. Dans des régions qui accumulent parfois les facteurs potentiels de déclassement – désindustrialisation, enclavement, désengagement étatique –, les lieux d’implantation de ces entreprises deviennent les pôles de résistance à partir desquels se maintiennent, puis repartent toutes sortes d’activités. Illustrations à l’échelle des territoires de la théorie du ruissellement, ces entreprises contribuent en effet au maintien d’une vie périurbaine et de l’ensemble des services essentiels qui l’accompagnent, de la santé à l’éducation, dopant souvent l’initiative publique.
L’agroalimentaire, acteur clé de la vie des territoires
L’impact est particulièrement visible dans l’industrie agro-alimentaire. Activité non délocalisable, nécessitant encore une main d’œuvre nombreuse (600 000 emplois, sans compter les emplois induits au sein des collectivités territoriales) et largement tributaire de terroirs et de climats (comme en attestent la multiplication des labels de qualité tels que l’AOC), l’agriculture contribue fortement au maintien de l’activité économique dans les territoires, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent sur le plan social.
L’emblématique filière de la vigne (qui inclut la filière viticole – culture du raisin – et vinicole – transformation de la vigne en vin) illustre bien l’impact des entreprises du secteur sur leur environnement socio-économique. L’exploitation de la vigne concerne ainsi 66 départements et totalise 558 000 emplois, dont 300 000 emplois indirects et induits dans des secteurs aussi variés que la tonnellerie, la chaudronnerie ou la logistique. Dans le Centre-Val de Loire, ce sont ainsi 2100 emplois directs et indirects qui sont générés par les vignobles, dont 150 dans la fabrication ou la distribution de matériels pour la filière. En Nouvelle-Aquitaine voisine, qui possède le deuxième vignoble de France, ce sont près de 44 000 emplois salariés qui sont soutenus par la filière viti-vinicole, dont 45% dans des secteurs d’activité hors agriculture (commerce, fabrication de produits industriels, services …), auxquels s’ajoutent plus de 10 000 emplois non-salariés.
Toute aussi importante bien que méconnue du grand public, la filière sucrière française, 1ère à l’échelle européenne et dans le peloton de tête au niveau mondial, emploie directement 46 000 personnes. À l’instar de la filière de la vigne, l’impact sur les territoires est particulièrement important. Elle se caractérise en effet par la combinaison, dans un périmètre géographique restreint, d’une activité purement agricole : la culture de la betterave, et d’une activité industrielle : la transformation de cette matière première en différents produits dérivés. Selon une étude du cabinet Utopies réalisée sur les activités de Tereos, première coopérative sucrière française et deuxième acteur mondial de la filière, 1 emploi dans la coopérative soutient 10,4 emplois (indirects et induits) dans l’économie française, dont 37% à l’échelle du département et 55% à l’échelle de la région. En effet, l’activité agricole et industrielle de l’entreprise attire à son tour d’autres activités : clients, fournisseurs, dans une logique de circuits courts. En Normandie, l’unité de valorisation énergétique Ecostu’Air, exploitée par Suez avec 30 salariés sur site, produit à partir de déchets ménagers et achemine via un réseau de vapeur 70% de l’énergie nécessaire à l’activité de production industrielle de Tereos. À Nesle, dans la Somme, Tereos s’est associé avec InnovaFeed, spécialiste de l’élevage d’insectes pour l’alimentation piscicole, pour développer un cas d’école d’économie circulaire. L’usine Tereos valorise 20% des coproduits issus de ses activités amidonnières pour nourrir les insectes d’InnovaFeed. La proximité entre les deux usines permet d’éviter le rejet de 25 000 tonnes de CO2 par an, par rapport aux trajets normalement effectués pour la valorisation des coproduits Tereos. Enfin, Innovafeed profitera de la station d’épuration de Tereos pour le recyclage de 35 000 m3 d’eau.
Au-delà de son aspect strictement économique, l’impact vertueux de l’activité du groupe est aussi d’ordre financier. L’activité de Tereos contribue à la création de valeur pour l’écosystème autour de chaque usine : par les rémunérations des salariés, les achats, les retombées fiscales… ces dernières étant elles-mêmes réinvesties pour le maintien de services publics locaux essentiels à la population. Cette valeur ajoutée bénéficiant à l’écosystème représente plusieurs dizaines de millions d’euros par site en moyenne.
En-dehors du secteur agricole, d’autres entreprises ou filières participent du dynamisme d’un territoire. Lieu emblématique du tourisme français, le Futuroscope de Poitiers, initié par le Conseil général de la Vienne, visait lors de sa construction à « créer les conditions les plus favorables au développement d'un département rural en perte de vitesse ». En dépit de quelques soubresauts au cours de ses près de 40 années d’existence, le Futuroscope attire aujourd’hui plus de 2 millions de visiteurs annuels ; le Technopole, créé concomitamment au parc de loisirs, accueille aujourd’hui plus de 200 entreprises, 13 laboratoires de recherche et 6000 salariés. D’après une étude de l’INSEE datée de 2011, le site du Futuroscope (parc et technopole) génère 10 600 emplois directs, indirects et induits.
Dans le secteur industriel, les PME-PMI du secteur de la défense sur la zone Brest-Lorient, dans une région encore partiellement enclavée et rurale, représentent 60 000 emplois directs et indirects et 15 000 emplois induits selon une étude de l’Adeupa. Ruralité, industrie et haute technologie créent d’ailleurs parfois des synergies inattendues : Michelin s’est ainsi associé en 2013 avec Tereos pour étudier le développement de pneumatiques issus de végétaux, contribuant ainsi un peu plus au dynamisme de deux filières emblématiques de l’économie française dans leurs territoires d’implantation.
Vers un bond d’attractivité post-coronavirus ?
La crise du coronavirus a mis en lumière la fragilité du modèle urbain globalisé et la résilience d’un modèle territorial ancré, qui pourrait revenir en grâce en tant que modèle de développement à privilégier dans les années à venir. Le réchauffement climatique, dont les effets sur l’économie et le mode de vie des Français viennent d’être mis en lumière dans une note de la Direction générale du Trésor, pourrait renforcer encore l’attractivité des territoires et contribuer à mettre en lumière auprès du grand public le rôle des entreprises à ancrage local dans la structuration économique et sociale du territoire.