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Arnaud Michaut : "Une situation internationale qui fragilise l’ensemble des forêts du globe"

10/09/2022



Arnaud Michaut est ingénieur Agro INA-PG, il est également ingénieur du GREF. Il occupe des postes successivement à la DDT de Guyane, à l’ONF au Centre de Hagueneau, puis il intervient comme expert forestier à Nancy et à titre honoraire. Il est aujourd’hui Président de FRANSYLVA 54.



Arnaud Michaut
Arnaud Michaut
Nous venons de passer un été particulièrement difficile pour la forêt. Comment l’avez-vous vécu dans l’Est de la France ?

2022, une année contrastée ! En effet l’été 2022 se rapproche de celui de 2003, par les chaleurs subies et sa faible pluviométrie à partir de mai. Nous étions particulièrement sensibilisés du fait des dépérissements forestiers massifs subis en 2019 et 2020, alors que 2021 avait été une année heureuse avec une pluviométrie abondante et bien répartie ce qui avait permis à la nature de corriger la situation très dégradée de fin 2020. En 2021, les scolytes, insecte autochtone ravageur des épicéas, ont eu une reproduction réduite du fait de la pluie, laissant ainsi en fin d’année une population de scolytes très amoindrie ce qui a permis d’avoir moins de dégâts l’année suivante, malgré les conditions climatiques. Par contre pour les hêtres et les sapins qui manifestent leur situation de stress avec retard, la situation ne s’est pas améliorée en 2021, elle s’est au mieux stabilisée. Pour les forestiers, 2022 a été principalement le retour à des prix des bois au moins égaux à ceux de 2018, et une forte progression de la demande en chêne et en bois énergie ; cette situation a permis d’évacuer les bois morts ou dépérissants, alors que tout semblait bien mal parti fin 2020 !

L’amélioration des marchés et la mise en place du plan de relance ont permis aux forestiers publics et privés d’agir et de faire des projets d’investissement, en accompagnant la nature et permettant de reconstruire une forêt plus résistante par rapport aux changements climatiques subis. Nous reprenons confiance en étant acteur de la filière en charge des adaptations nécessaires du milieu forestier.

La situation de stress de la forêt, est-elle nationale, ou reste-elle très localisée aujourd’hui ?

Plus qu’une situation de stress nationale, c’est une situation internationale qui fragilise l’ensemble des forêts du globe. Notre société, notre économie et notre climat ont besoin de la forêt, ne rien faire serait irresponsable de notre part, et les générations futures seraient en droit de nous le reprocher : Nous savions et n’avions rien fait !.. Par contre l’enjeux étant mondial au niveau du climat, c’est l’esprit de responsabilité collectif qui devrait permettre à chacun d’avoir des résultats à long terme.


La filière bois présentait jusqu’alors un bilan positif. Peut on dire qu’il est menacé sous tous ses aspects par le changement climatique ?

La filière est en constante évolution. Son principal secteur déficitaire a été durablement le secteur papetier, alors qu’elle a connu de multiples ajustements techniques et économiques en fonction de la mobilisation forestière, des modes, des outils techniques, de la demande sociétale, du commerce international… La filière bois doit prendre en compte des enjeux nouveaux, dont fait partie le changement climatique, ce sont des enjeux à long terme pour lesquels une concertation sociétale et internationale s’impose. L’avenir du bois issu d’une gestion durable est assuré s’il est le fruit d’une décision collective.

La filière agit-elle de manière suffisamment coordonnée et proactive ? ou bien la forêt est-elle victime de sa gestion ?

 La filière réagit toujours sous des pressions extérieures fortes :
  • Les ajustements de prix n’ont pu se faire que lors de stress majeurs comme les crises énergétiques. Ainsi en 1973, c’est l’ensemble des bois d’œuvre qui a connu une hausse supérieure à 100% ; alors qu’en 2021/22, ce sont les chênes, le bois énergie et les résineux qui bénéficient d’une hausse de prix voisine de 50%. Avec la montée en puissance d’une concurrence internationale forte (chine), c’est le hêtre qui atteindra des valeurs moyennes proches de celles du chêne en 1998, alors qu’il vaut en 2022 25% du prix du chêne. Le prix du bois reste déconnecté de son prix de revient ce qui laisse les producteurs dans l’impossibilité de renouveler les peuplements de hêtre sans aide extérieure.
  • La recherche forestière avait annoncé dans les années 90 les risques climatiques majeurs auxquels seront exposés les forêts. Il a fallu attendre les terribles dépérissements des années 2019 et 2020 pour que l’autorité publique et la filière mettent en place des moyens financiers à la hauteur des enjeux climatiques.
  • La filière dispose des moyens techniques correspondant à la valorisation de la production forestière ligneuse, alors qu’aujourd’hui d’autres enjeux interviennent qui nécessitent des moyens nouveaux pour accompagner les choix d’avenir.

 
Quels sont les chantiers qui s’ouvrent et dont l’urgence s’amplifie devant le constat qui est fait ?

Les chantiers sont de taille, et ils concernent l’ensemble des acteurs concernés par la forêt. Je me permettrai de citer 4 actions essentielles :
  • La modernisation de l’outil industriel de sciage afin de permettre le développement des circuits courts avec le maintien local des emplois, en particulier dans l’industrie du sciage feuillu.
  • Le développement de nouvelles utilisations du bois en amont du bois énergie.
  • La mise en place d’un accompagnement public financier et fiscal pérenne pour les investissements liés aux renouvellements forestiers tenant compte du changement climatique.
  • L’attribution d’une valeur sociétale à la forêt qui rémunère les services rendus hors de la production de bois.
 
Arnaud MICHAUT