Je tiens à remercier mon ami Bob Zoellick pour le dynamisme de sa direction à la Banque mondiale, le Président, M. Aganga, et vous tous, de votre appui indéfectible. Je remercie aussi les services et le Conseil d'administration du FMI, qui ont organisé ces Assemblées.
Nous sommes rassemblés à un moment crucial de l'histoire, alors que nous faisons face à un avenir très incertain. Certes, il y a une reprise, et lorsque nous examinons les données, nous notons que, au niveau mondial, la croissance revient. Mais nous savons tous que la reprise est fragile et inégale, et qu'elle est fragile parce qu'elle est inégale.
En Asie et en Amérique latine, la situation est plutôt bonne. Même en Afrique, où la plupart des pays d'Afrique subsaharienne ont retrouvé la croissance bien plus vite que par le passé. Auparavant, lorsqu'il y avait une telle crise mondiale, il fallait attendre environ un an avant que les pays africains rattrapent leur retard. Cette fois-ci, ce ne fut pas le cas et la croissance y est vraiment rapide. En Europe, comme nous le savons tous, la reprise est anémique, et aux États-Unis, elle reste modérée.
Néanmoins, au FMI, nous sommes plutôt optimistes et nous ne prévoyons pas de rechute. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de risque de dégradation : les risques sont nombreux et je voudrais en évoquer quatre brièvement.
Le premier est la dette publique. Pendant cette crise, les ratios d'endettement ont nettement augmenté, en particulier dans les pays avancés. Nous prévoyons que la dette de ces pays atteindra environ 110 % du PIB en moyenne d'ici 2014, contre 75 % avant la crise. C'est une augmentation de 35 points de pourcentage. C'est beaucoup, et nous devons régler ce problème.
Mais ne nous méprenons pas : cette augmentation de 35 points de pourcentage est due principalement à la faiblesse de la croissance, aux dépenses liées au sauvetage du secteur financier et au manque de recettes résultant du ralentissement économique. Seulement un dixième environ de cette hausse est imputable directement aux mesures de relance. C'est donc clair : la menace principale pour la viabilité des finances publiques, c’est la faiblesse de la croissance.
Que devons-nous faire? À moyen terme, notre message est clair : tous les pays, en particulier les pays avancés fortement endettés, doivent retrouver des finances publiques viables. Ils doivent donc présenter des plans, crédibles aux yeux du marché, où ils annoncent leur détermination à retrouver un ratio d'endettement plus durable.
Qu'est-ce que cela signifie à court terme? À court terme, c'est un peu plus difficile, parce que beaucoup dépend de la situation du pays concerné. Certains pays sont au bord du précipice et n’ont pas le choix : ils doivent régler leurs problèmes budgétaires. D'autres disposent d'une plus grande marge de manœuvre. Nous attendons une diminution des déficits d'environ 1 % du PIB, en moyenne, à compter de 2011. Mais il s'agit d'une moyenne. En fonction du pays, et donc de sa situation particulière, cela peut fortement varier. Personne ne s'attend à ce que les conseils que le FMI donne à l'Allemagne soient les mêmes que ceux qu'il donne à la Grèce, par exemple.
Je lis parfois dans les journaux que le message du FMI n'est pas très clair, que le FMI ne sait pas exactement s'il préconise la croissance ou l'austérité budgétaire. En fait, notre message est clair et cohérent. À moyen terme, il faut assurer la viabilité des finances publiques. Tout doit être fait pour aller dans ce sens à court terme. Mais, tandis que la reprise reste fragile, toute la marge de manœuvre budgétaire qui demeure disponible doit être utilisée pour soutenir la croissance. Nous devons donc miser sur une croissance durable d'un point de vue budgétaire.
Le deuxième risque, c'est une reprise qui ne crée pas d'emplois. La croissance, c'est bien, mais elle ne suffit peut-être pas si elle ne crée pas d'emplois. Dans beaucoup de pays, soit la croissance ne sera pas suffisamment élevée pour faire reculer le chômage, soit elle sera très élevée, mais avec une productivité si élevée que les effets sur le chômage seront très faibles.
Nous devons donc miser sur la croissance, mais aussi sur l'emploi. Pendant cette crise, l'économie mondiale a perdu environ 30 millions d'emplois. De plus, dans les dix années à venir, 450 millions de personnes vont arriver sur le marché du travail.
Le risque existe de voir une «génération perdue». Quand vous perdez votre emploi, le risque s’accroît que votre santé se détériore. Quand vous perdez votre emploi, l'éducation de vos enfants risque d’en souffrir. Quand vous perdez votre emploi, la stabilité sociale risque de s’en ressentir. C'est une menace pour la démocratie, et même pour la paix.
Ne nous faisons pas d'illusions. Nous ne sommes pas encore sortis d'affaire. Et pour l'homme de la rue, une reprise sans emplois n'a guère de sens. Il faut miser sur une croissance durable mais aussi sur l'emploi.
Le troisième risque a trait au secteur financier. Nous savons tous comment cette crise a commencé : elle trouve son origine dans le marché immobilier des États-Unis. Nous avons tous que de nombreuses promesses ont été faites par les dirigeants à Pittsburgh —; en fait, à Londres d'abord puis à Pittsburgh, et aussi à Toronto. Nous ne connaîtrons plus de problèmes à l'avenir, nous ont-ils dit. Nous allons réparer le système financier. Nous allons instituer de nouvelles règles, mettre en place un secteur financier plus sûr.
Et il faut reconnaître que beaucoup de chemin a été parcouru. Récemment, comme vous le savez tous, les règles dites de Bâle III ont été adoptées. Si l'on peut débattre de toutes les conséquences de cette très importante avancée, je pense que les nouvelles règles sont très bien conçues et très importantes.
Mais ce n'est là qu'une partie du problème. Comme le FMI ne cesse de le répéter depuis le début, il ne s'agit pas seulement de réglementation, même si la réglementation est indéniablement importante; nous avons aussi besoin d'un meilleur contrôle. Vous pouvez avoir les meilleures règles du monde, mais si leur application n’est pas contrôlée, si elles ne sont pas appliquées, c'est comme si vous n'aviez rien fait.
Cela dit, le contrôle ne suffit pas pour éviter de futures crises. Il nous faut aussi un mécanisme de résolution des crises, parce que personne n'a la naïveté de croire que nous éviterons les crises à l'avenir. Or, dans le domaine de la résolution des crises, il y encore beaucoup à faire. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de dire que, si une nouvelle crise éclatait — ce que je ne prévois pas — dans les prochains jours, dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans, nous avons de quoi y faire face, nous avons un nouveau système financier assez sûr pour empêcher qu'une nouvelle crise prenne l'ampleur et la gravité de celle que nous venons de connaître.
Nous avons donc fait beaucoup de promesses, mais nous n'en avons pas tenu assez. Il nous faut miser sur la croissance, sur l'emploi, mais aussi sur le changement dans le secteur financier.
J'en viens maintenant au quatrième risque, qui est celui de la disparition de la volonté de coopération. Durant la crise, la coopération était reine et nous avons évité une crise aussi grave que la Grande Dépression parce que tous les pays ont agi de façon collective. Peut-être que beaucoup d'entre vous, il y a deux ans, juste après la faillite de Lehman-Brothers, prédisaient une crise aussi grave que la Grande Dépression. Mais nous avons réussi à éviter cela et si nous l'avons évité, c’est parce que les dirigeants et les nations ont su travailler ensemble, dans un esprit de coopération, pour riposter comme il se devait à la crise.
Aujourd'hui, cette volonté de coopération internationale n'a pas disparu, l'élan qui lui a donné naissance subsiste, mais elle n'est pas aussi forte qu'auparavant. Il est compréhensible que, s’appuyant sur l’idée que la crise est terminée — une idée certainement fausse mais que beaucoup de gens partagent —, les pays retournent à leurs problèmes intérieurs et se soucient moins de coopération internationale. Mais c'est pourtant là que résident véritablement les problèmes de demain.
J'entends parler de guerre monétaire. Même si l'expression de «guerre monétaire» est sans doute un peu forte, il est vrai que l'idée circule que les monnaies pourraient être utilisées une fois encore comme des armes. L'histoire nous a appris que cela n'est pas la solution et que cela peut même conduire à une situation très regrettable. Il n'y a pas de solution nationale à un problème mondial.
Il est compréhensible que certains pays qui connaissent des entrées massives de capitaux veuillent résister à ce type de volatilité, à cette source d'instabilité et aux bulles qu’elles peuvent engendrer. Je ne lance donc pas la pierre aux pays qui essayent d'un coup de limiter l'influence des entrées de capitaux. Mais cela ne saurait être une solution de long terme. Ce dont nous avons besoin, c'est de davantage de coopération dans le domaine monétaire et dans le système monétaire international.
Au cours de ces deux dernières années, au FMI, nous avons essayé de changer le système monétaire international, et pas seulement à la marge — je crois que ce que nous avons fait est plus important que cela —, en créant la «ligne de crédit modulable » et, plus récemment, la «ligne de crédit de précaution», pour essayer d'aider les pays à éviter d'accumuler des réserves et d’aggraver ainsi les déséquilibres.
Nous proposons maintenant un nouveau type de rapports — ce qu’il est convenu d’appeler les rapports sur les effets de débordement —, dans lesquels nous analyserons les conséquences qu’ont sur le reste du monde les politiques adoptées dans un pays donné. De la sorte nous pourrons mettre en lumière les relations d’interdépendance entre pays, aujourd’hui plus fortes que par le passé.
Dans la perspective du G-20 nous nous sommes également attelé au Programme d’évaluation réciproque, afin de montrer que le travail de collaboration va dans l’intérêt de tous. Nous mettons en évidence qu’avec les politiques appropriées tout le monde trouve son compte. Sur cinq ans nous pouvons gagner 2,5 % de croissance. Trente millions d’emplois peuvent être sauvés ou créés. Plus de 30 millions de personnes peuvent échapper à la pauvreté.
Voilà autant d’exemples qui montrent que le travail de collaboration profite à tous. J’insiste là-dessus car je crains qu’avec une amélioration de la croissance au niveau mondial, l’idée qu’il est impérieux, dans un monde intégré, de travailler ensemble risque de s’estomper. C’est pourquoi nous devons engager plus d’initiatives sur la stabilité systémique.
Nous devons donc miser sur la croissance durable, miser sur l’emploi et miser sur la réforme du secteur financier, mais aussi miser sur la coopération.
Mais est-ce que cela suffit ? C’est vraisemblablement là une bonne partie du travail à réaliser pour sortir de la crise. Mais lorsque nous l’aurons surmontée, est-ce que cela suffira ? Probablement pas. Nous avons affaire à des changements beaucoup plus importants ; le modèle de croissance après la crise ne sera plus le même. Tout le monde en est conscient.
Quels sont les changements ? Nous en voyons les prémices. La Révolution industrielle, qui a commencé il y a deux siècles, touche à sa fin. Elle a créé quelque chose d’inédit dans l’histoire de l’humanité. Certains pays, pas très grands, dotés de leur propre technologie qu’ils sont parvenus à garder, ont eu le pouvoir de dominer le monde, même si, effectivement, il ne s’agissait pas de vastes pays. Les pays d’Europe, puis les États-Unis se sont trouvés — et se trouvent encore — dans cette situation.
Cela ne s’était jamais produit dans l’histoire. Auparavant, les nations tiraient leur force de leur population, principalement du fait que la technologie était presque la même pour tous. Cela n’a pas été le cas ces deux derniers siècles. Mais nous revenons maintenant à une situation où la technologie est à la disposition de presque tout le monde.
Le changement ne va pas se produire du jour au lendemain. Cela prendra une ou deux décennies. Mais une fois ce temps écoulé nous reviendrons — après cette période très particulière de l’histoire — à la règle qui prévalait auparavant : à savoir qu’un grand pays sera fort probablement plus fort qu’un petit pays.
Cela est riche en conséquences pour notre modèle de croissance. Cela signifie que nous devons penser à de nouvelles sources de croissance, y compris la croissance verte. Cela signifie que nous devons réfléchir davantage à rééquilibrer la structure de la croissance, entre son volet privé et son volet public. Cela signifie que nous devons également nous atteler au rééquilibrage entre les pays excédentaires et les pays déficitaires. Enfin, cela signifie que nous devons renforcer la gouvernance et la coopération. J’en viens ainsi au dernier thème, sur lequel je souhaiterais donner quelques précisions.
Comme vous le savez, au FMI nous avons entrepris de revoir notre gouvernance. C’est là une nécessité. Pour que les institutions multilatérales puissent aider — et elles doivent le faire — elles doivent être légitimes. Or, pour être légitimes elles doivent refléter les changements que je viens d’évoquer. Autrement dit, à l’avenir les rapports de force seront légèrement différents de ceux que l’on observe aujourd’hui.
Nous modifions notre rapport de forces, comme le montrent les changements opérés sur les quotes-parts et les sièges au FMI. Cela s’accompagne d’une évolution des responsabilités. Si vous avez une plus grande participation, une plus grande représentation et une plus grande responsabilité, alors vous devez par ailleurs faire des choix qui tiennent compte, non seulement de votre propre économie, mais aussi de l’ensemble de l’économie. Plus vous êtes au centre et plus vous êtes responsable de l’ensemble. Les pays qui étaient jusqu’à présent à la périphérie du système international veulent désormais gagner le centre et veulent que cela se reflète dans leurs quotes-parts, dans les instances décisionnelles d’une institution comme le FMI — ils doivent, eux aussi, assumer une plus grande responsabilité dans la stabilité de l’économie mondiale.
Nous nous sommes attelés à cette tâche. Nous ne l’avons pas encore achevée. Ce n’est un secret pour personne : les discussions entre pays membres sont âpres. Mais je suis persuadé que nous avons de bonnes chances de faire aboutir la révision des quotes-parts et de résoudre les questions liées aux sièges durant les semaines à venir. Et si cela est fait — cela doit être fait — alors nous nous trouverons au début de l’année prochaine dans une situation entièrement légitime. La plupart d’entre vous ont aimablement reconnu que durant cette crise le FMI avait donné la preuve de sa pertinence. Il doit maintenant affirmer sa légitimité. Lorsque cela sera fait, vous aurez une institution qui pourra contribuer à une nouvelle mondialisation pour un monde nouveau.
Voilà ce que nous devons faire. Et pour nous y parvenir il faut agir
ensemble.
Si vous voulez rétablir la confiance dans un monde incertain — vous devez agir ensemble.
Si vous voulez créer des emplois — vous devez agir ensemble.
Si vous voulez construire un monde meilleur et plus sûr pour vos enfants et petits-enfants — vous devez agir ensemble.
Il ne fait aucun doute que l’Assemblée annuelle est l’occasion de le faire.
Source: FMI
Nous sommes rassemblés à un moment crucial de l'histoire, alors que nous faisons face à un avenir très incertain. Certes, il y a une reprise, et lorsque nous examinons les données, nous notons que, au niveau mondial, la croissance revient. Mais nous savons tous que la reprise est fragile et inégale, et qu'elle est fragile parce qu'elle est inégale.
En Asie et en Amérique latine, la situation est plutôt bonne. Même en Afrique, où la plupart des pays d'Afrique subsaharienne ont retrouvé la croissance bien plus vite que par le passé. Auparavant, lorsqu'il y avait une telle crise mondiale, il fallait attendre environ un an avant que les pays africains rattrapent leur retard. Cette fois-ci, ce ne fut pas le cas et la croissance y est vraiment rapide. En Europe, comme nous le savons tous, la reprise est anémique, et aux États-Unis, elle reste modérée.
Néanmoins, au FMI, nous sommes plutôt optimistes et nous ne prévoyons pas de rechute. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de risque de dégradation : les risques sont nombreux et je voudrais en évoquer quatre brièvement.
Le premier est la dette publique. Pendant cette crise, les ratios d'endettement ont nettement augmenté, en particulier dans les pays avancés. Nous prévoyons que la dette de ces pays atteindra environ 110 % du PIB en moyenne d'ici 2014, contre 75 % avant la crise. C'est une augmentation de 35 points de pourcentage. C'est beaucoup, et nous devons régler ce problème.
Mais ne nous méprenons pas : cette augmentation de 35 points de pourcentage est due principalement à la faiblesse de la croissance, aux dépenses liées au sauvetage du secteur financier et au manque de recettes résultant du ralentissement économique. Seulement un dixième environ de cette hausse est imputable directement aux mesures de relance. C'est donc clair : la menace principale pour la viabilité des finances publiques, c’est la faiblesse de la croissance.
Que devons-nous faire? À moyen terme, notre message est clair : tous les pays, en particulier les pays avancés fortement endettés, doivent retrouver des finances publiques viables. Ils doivent donc présenter des plans, crédibles aux yeux du marché, où ils annoncent leur détermination à retrouver un ratio d'endettement plus durable.
Qu'est-ce que cela signifie à court terme? À court terme, c'est un peu plus difficile, parce que beaucoup dépend de la situation du pays concerné. Certains pays sont au bord du précipice et n’ont pas le choix : ils doivent régler leurs problèmes budgétaires. D'autres disposent d'une plus grande marge de manœuvre. Nous attendons une diminution des déficits d'environ 1 % du PIB, en moyenne, à compter de 2011. Mais il s'agit d'une moyenne. En fonction du pays, et donc de sa situation particulière, cela peut fortement varier. Personne ne s'attend à ce que les conseils que le FMI donne à l'Allemagne soient les mêmes que ceux qu'il donne à la Grèce, par exemple.
Je lis parfois dans les journaux que le message du FMI n'est pas très clair, que le FMI ne sait pas exactement s'il préconise la croissance ou l'austérité budgétaire. En fait, notre message est clair et cohérent. À moyen terme, il faut assurer la viabilité des finances publiques. Tout doit être fait pour aller dans ce sens à court terme. Mais, tandis que la reprise reste fragile, toute la marge de manœuvre budgétaire qui demeure disponible doit être utilisée pour soutenir la croissance. Nous devons donc miser sur une croissance durable d'un point de vue budgétaire.
Le deuxième risque, c'est une reprise qui ne crée pas d'emplois. La croissance, c'est bien, mais elle ne suffit peut-être pas si elle ne crée pas d'emplois. Dans beaucoup de pays, soit la croissance ne sera pas suffisamment élevée pour faire reculer le chômage, soit elle sera très élevée, mais avec une productivité si élevée que les effets sur le chômage seront très faibles.
Nous devons donc miser sur la croissance, mais aussi sur l'emploi. Pendant cette crise, l'économie mondiale a perdu environ 30 millions d'emplois. De plus, dans les dix années à venir, 450 millions de personnes vont arriver sur le marché du travail.
Le risque existe de voir une «génération perdue». Quand vous perdez votre emploi, le risque s’accroît que votre santé se détériore. Quand vous perdez votre emploi, l'éducation de vos enfants risque d’en souffrir. Quand vous perdez votre emploi, la stabilité sociale risque de s’en ressentir. C'est une menace pour la démocratie, et même pour la paix.
Ne nous faisons pas d'illusions. Nous ne sommes pas encore sortis d'affaire. Et pour l'homme de la rue, une reprise sans emplois n'a guère de sens. Il faut miser sur une croissance durable mais aussi sur l'emploi.
Le troisième risque a trait au secteur financier. Nous savons tous comment cette crise a commencé : elle trouve son origine dans le marché immobilier des États-Unis. Nous avons tous que de nombreuses promesses ont été faites par les dirigeants à Pittsburgh —; en fait, à Londres d'abord puis à Pittsburgh, et aussi à Toronto. Nous ne connaîtrons plus de problèmes à l'avenir, nous ont-ils dit. Nous allons réparer le système financier. Nous allons instituer de nouvelles règles, mettre en place un secteur financier plus sûr.
Et il faut reconnaître que beaucoup de chemin a été parcouru. Récemment, comme vous le savez tous, les règles dites de Bâle III ont été adoptées. Si l'on peut débattre de toutes les conséquences de cette très importante avancée, je pense que les nouvelles règles sont très bien conçues et très importantes.
Mais ce n'est là qu'une partie du problème. Comme le FMI ne cesse de le répéter depuis le début, il ne s'agit pas seulement de réglementation, même si la réglementation est indéniablement importante; nous avons aussi besoin d'un meilleur contrôle. Vous pouvez avoir les meilleures règles du monde, mais si leur application n’est pas contrôlée, si elles ne sont pas appliquées, c'est comme si vous n'aviez rien fait.
Cela dit, le contrôle ne suffit pas pour éviter de futures crises. Il nous faut aussi un mécanisme de résolution des crises, parce que personne n'a la naïveté de croire que nous éviterons les crises à l'avenir. Or, dans le domaine de la résolution des crises, il y encore beaucoup à faire. Aujourd'hui, nous ne sommes pas en mesure de dire que, si une nouvelle crise éclatait — ce que je ne prévois pas — dans les prochains jours, dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans, nous avons de quoi y faire face, nous avons un nouveau système financier assez sûr pour empêcher qu'une nouvelle crise prenne l'ampleur et la gravité de celle que nous venons de connaître.
Nous avons donc fait beaucoup de promesses, mais nous n'en avons pas tenu assez. Il nous faut miser sur la croissance, sur l'emploi, mais aussi sur le changement dans le secteur financier.
J'en viens maintenant au quatrième risque, qui est celui de la disparition de la volonté de coopération. Durant la crise, la coopération était reine et nous avons évité une crise aussi grave que la Grande Dépression parce que tous les pays ont agi de façon collective. Peut-être que beaucoup d'entre vous, il y a deux ans, juste après la faillite de Lehman-Brothers, prédisaient une crise aussi grave que la Grande Dépression. Mais nous avons réussi à éviter cela et si nous l'avons évité, c’est parce que les dirigeants et les nations ont su travailler ensemble, dans un esprit de coopération, pour riposter comme il se devait à la crise.
Aujourd'hui, cette volonté de coopération internationale n'a pas disparu, l'élan qui lui a donné naissance subsiste, mais elle n'est pas aussi forte qu'auparavant. Il est compréhensible que, s’appuyant sur l’idée que la crise est terminée — une idée certainement fausse mais que beaucoup de gens partagent —, les pays retournent à leurs problèmes intérieurs et se soucient moins de coopération internationale. Mais c'est pourtant là que résident véritablement les problèmes de demain.
J'entends parler de guerre monétaire. Même si l'expression de «guerre monétaire» est sans doute un peu forte, il est vrai que l'idée circule que les monnaies pourraient être utilisées une fois encore comme des armes. L'histoire nous a appris que cela n'est pas la solution et que cela peut même conduire à une situation très regrettable. Il n'y a pas de solution nationale à un problème mondial.
Il est compréhensible que certains pays qui connaissent des entrées massives de capitaux veuillent résister à ce type de volatilité, à cette source d'instabilité et aux bulles qu’elles peuvent engendrer. Je ne lance donc pas la pierre aux pays qui essayent d'un coup de limiter l'influence des entrées de capitaux. Mais cela ne saurait être une solution de long terme. Ce dont nous avons besoin, c'est de davantage de coopération dans le domaine monétaire et dans le système monétaire international.
Au cours de ces deux dernières années, au FMI, nous avons essayé de changer le système monétaire international, et pas seulement à la marge — je crois que ce que nous avons fait est plus important que cela —, en créant la «ligne de crédit modulable » et, plus récemment, la «ligne de crédit de précaution», pour essayer d'aider les pays à éviter d'accumuler des réserves et d’aggraver ainsi les déséquilibres.
Nous proposons maintenant un nouveau type de rapports — ce qu’il est convenu d’appeler les rapports sur les effets de débordement —, dans lesquels nous analyserons les conséquences qu’ont sur le reste du monde les politiques adoptées dans un pays donné. De la sorte nous pourrons mettre en lumière les relations d’interdépendance entre pays, aujourd’hui plus fortes que par le passé.
Dans la perspective du G-20 nous nous sommes également attelé au Programme d’évaluation réciproque, afin de montrer que le travail de collaboration va dans l’intérêt de tous. Nous mettons en évidence qu’avec les politiques appropriées tout le monde trouve son compte. Sur cinq ans nous pouvons gagner 2,5 % de croissance. Trente millions d’emplois peuvent être sauvés ou créés. Plus de 30 millions de personnes peuvent échapper à la pauvreté.
Voilà autant d’exemples qui montrent que le travail de collaboration profite à tous. J’insiste là-dessus car je crains qu’avec une amélioration de la croissance au niveau mondial, l’idée qu’il est impérieux, dans un monde intégré, de travailler ensemble risque de s’estomper. C’est pourquoi nous devons engager plus d’initiatives sur la stabilité systémique.
Nous devons donc miser sur la croissance durable, miser sur l’emploi et miser sur la réforme du secteur financier, mais aussi miser sur la coopération.
Mais est-ce que cela suffit ? C’est vraisemblablement là une bonne partie du travail à réaliser pour sortir de la crise. Mais lorsque nous l’aurons surmontée, est-ce que cela suffira ? Probablement pas. Nous avons affaire à des changements beaucoup plus importants ; le modèle de croissance après la crise ne sera plus le même. Tout le monde en est conscient.
Quels sont les changements ? Nous en voyons les prémices. La Révolution industrielle, qui a commencé il y a deux siècles, touche à sa fin. Elle a créé quelque chose d’inédit dans l’histoire de l’humanité. Certains pays, pas très grands, dotés de leur propre technologie qu’ils sont parvenus à garder, ont eu le pouvoir de dominer le monde, même si, effectivement, il ne s’agissait pas de vastes pays. Les pays d’Europe, puis les États-Unis se sont trouvés — et se trouvent encore — dans cette situation.
Cela ne s’était jamais produit dans l’histoire. Auparavant, les nations tiraient leur force de leur population, principalement du fait que la technologie était presque la même pour tous. Cela n’a pas été le cas ces deux derniers siècles. Mais nous revenons maintenant à une situation où la technologie est à la disposition de presque tout le monde.
Le changement ne va pas se produire du jour au lendemain. Cela prendra une ou deux décennies. Mais une fois ce temps écoulé nous reviendrons — après cette période très particulière de l’histoire — à la règle qui prévalait auparavant : à savoir qu’un grand pays sera fort probablement plus fort qu’un petit pays.
Cela est riche en conséquences pour notre modèle de croissance. Cela signifie que nous devons penser à de nouvelles sources de croissance, y compris la croissance verte. Cela signifie que nous devons réfléchir davantage à rééquilibrer la structure de la croissance, entre son volet privé et son volet public. Cela signifie que nous devons également nous atteler au rééquilibrage entre les pays excédentaires et les pays déficitaires. Enfin, cela signifie que nous devons renforcer la gouvernance et la coopération. J’en viens ainsi au dernier thème, sur lequel je souhaiterais donner quelques précisions.
Comme vous le savez, au FMI nous avons entrepris de revoir notre gouvernance. C’est là une nécessité. Pour que les institutions multilatérales puissent aider — et elles doivent le faire — elles doivent être légitimes. Or, pour être légitimes elles doivent refléter les changements que je viens d’évoquer. Autrement dit, à l’avenir les rapports de force seront légèrement différents de ceux que l’on observe aujourd’hui.
Nous modifions notre rapport de forces, comme le montrent les changements opérés sur les quotes-parts et les sièges au FMI. Cela s’accompagne d’une évolution des responsabilités. Si vous avez une plus grande participation, une plus grande représentation et une plus grande responsabilité, alors vous devez par ailleurs faire des choix qui tiennent compte, non seulement de votre propre économie, mais aussi de l’ensemble de l’économie. Plus vous êtes au centre et plus vous êtes responsable de l’ensemble. Les pays qui étaient jusqu’à présent à la périphérie du système international veulent désormais gagner le centre et veulent que cela se reflète dans leurs quotes-parts, dans les instances décisionnelles d’une institution comme le FMI — ils doivent, eux aussi, assumer une plus grande responsabilité dans la stabilité de l’économie mondiale.
Nous nous sommes attelés à cette tâche. Nous ne l’avons pas encore achevée. Ce n’est un secret pour personne : les discussions entre pays membres sont âpres. Mais je suis persuadé que nous avons de bonnes chances de faire aboutir la révision des quotes-parts et de résoudre les questions liées aux sièges durant les semaines à venir. Et si cela est fait — cela doit être fait — alors nous nous trouverons au début de l’année prochaine dans une situation entièrement légitime. La plupart d’entre vous ont aimablement reconnu que durant cette crise le FMI avait donné la preuve de sa pertinence. Il doit maintenant affirmer sa légitimité. Lorsque cela sera fait, vous aurez une institution qui pourra contribuer à une nouvelle mondialisation pour un monde nouveau.
Voilà ce que nous devons faire. Et pour nous y parvenir il faut agir
ensemble.
Si vous voulez rétablir la confiance dans un monde incertain — vous devez agir ensemble.
Si vous voulez créer des emplois — vous devez agir ensemble.
Si vous voulez construire un monde meilleur et plus sûr pour vos enfants et petits-enfants — vous devez agir ensemble.
Il ne fait aucun doute que l’Assemblée annuelle est l’occasion de le faire.
Source: FMI