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Votre nouvel ouvrage « Stratégies durables pour la ville » analyse l’évolution de la ville et de son développement durable, pouvez-vous nous faire part de votre analyse en synthèse sur le rôle et l’évolution de la ville dans nos sociétés ?
La cité se constitua autour de lieux de rencontres où les êtres humains se retrouvaient périodiquement. Des travaux situent les premières traces d’une forme urbaine à un peu plus de 8000 ans. Les campements sédentaires devinrent des lieux de commerce et procurèrent des objets spécialisés ; en retour, les excédents de production agricole produits aux alentours purent soutenir le développement urbain.
L’avènement du transport et des moyens de stockage, notamment par la poterie, fut essentiel à l’émergence des premières formes urbaines. L’approvisionnement régulier fut possible et le savoir-faire de base utilisé à la fabrication de briques de construction des maisons et des entrepôts de nourriture permit à la ville de se construire.
Après la chute de l’Empire romain, les cités se développèrent aux quatre coins du monde, mais aucune région n’atteignit le développement de Rome peuplée de 400 000 à 1 million d’individus durant les mille cinq cents années qui suivirent. Nous pouvons penser que l’eau et la gestion des déchets sont probablement à l’origine de la limitation de la taille des villes. Pourtant l’urbanisation ne cessa pas ; ce phénomène fluctua en fonction du stade d’avancement et d’innovation des civilisations qui le soutenait.
C’est avec la révolution industrielle de la fin du XVIIIe et XIXe siècle qu’une évolution importante des modes de vie est rendue nécessaire. L’avènement de centres de productions importants engendra des demandes précises de résidence dans des lieux localisés. Au XXe siècle, une nouvelle mutation importante s’opéra avec l’évolution de l’organisation industrielle et la tertiarisation des activités. Alors que les industries lourdes ou manufacturières sont tributaires de ressources ou de caractéristiques locales spécifiques, l’industrie du service est moins liée au lieu. L’innovation permit de nouvelles formes de construction notamment avec de nouveaux usages du fer, du béton armé et précontraint. Les bâtiments de grande hauteur permirent d’augmenter la densité des villes, le développement des transports (dont l’automobile) accompagna la spécialisation des localisations pour le commerce, le ludique, la production, le résidentiel, le travail, etc.
Schématiquement, deux modèles d’occupation humaine sont dénombrables, le premier correspond aux pays peu ou prou membres de l’OCDE [1] avec une urbanisation largement menée pour laquelle les enjeux portent essentiellement sur les formes urbaines existantes, et le second aux pays en forte croissance urbaine pour lesquels la construction neuve est prépondérante.
Nos différentes formes d’habitat et de transport sont responsables d’environ 70 % d’une consommation énergétique fortement émettrice de gaz à effet de serres, polluants, déchets et nous constatons que notre mode de vie actuel et d’exercice de nos activités met en risque les conditions d’existence de l’espèce humaine [2].
Alors que les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front sanitaire, comment la ville peut-elle être résiliente ?
À Hong-kong, les défauts sur les canalisations d’eaux usées ont contribué à l’épidémie de SRAS [3] subie en 2003. Il est probable que la pandémie actuelle soit liée à la pratique de l’élevage intensif d’animaux et à sa proximité avec de fortes densités humaines. Le coronavirus est bien connu des vétérinaires et le passage vers l’homme a été observé, par exemple dans les élevages de vison au Danemark. La spécialisation des espaces comme des savoirs limite notre capacité à appréhender les problèmes à la bonne échelle.
Nous percevons à présent que la ville est le monde que nous avons créé et dans lequel nous devons vivre et à présent penser en termes de bien-être. L’histoire nous montre que les crises si elles ne sont pas prévisibles, sont récurrentes et périodiques. Une crise sanitaire est également une crise économique et vice versa et il existe une interdépendance entre nos sociétés. In fine nous partageons le même espace et les conséquences de nos modes de vie et de gestion de nos activités. Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes séparément, comprendre nos modèles de ville et de vie, leurs influences, est essentiel pour ensuite transformer une démarche stratégique en modèles durables ‘duplicables’ à court, moyen et long terme.
Cet ouvrage est destiné à permettre au développement durable d’exister en tant que concept, de science ; la durabilité. L’actualité conforte le besoin de son application à la ville, il présente une méthode et des cas illustratifs de la pratique du management stratégique de la durabilité. La méthodologie proposée est basée sur de nombreuses années de recherches, d’applications, de partages tant académiques que professionnels. Les exemples mis en perspectives sont encourageants quant à notre capacité à (ré)agir. Nous pensons qu’il est encore possible de contribuer à construire de la résilience et faire de nos organisations, entreprises, des vecteurs de durabilité au travers de modèles d’affaires revisités rentables et durables. La RSE doit être au cœur de cette évolution et de stratégies créatrices de richesse et de sens.
La « Ville Monde » est-elle condamnée ?
Le monde se révèle urbain, complexe et transdisciplinaire, avec des intérêts privés puissants pour lesquels la recherche d’avantages concurrentiels est la règle. Une proximité culturelle et géographique publique/privée facilite les échanges et l’influence des décisions d’État. Le lien mesurable entre le revenu moyen par habitant et la taille de la métropole constitue un moteur puissant de l’économie urbaine et de l’accroissement continu de la taille des villes.
Malheureusement si l’on n’y prend pas garde cet accroissement va de pair avec celui des inégalités et des externalités négatives notamment environnementales.
Les traitements différentiés entre les pays de la Covid-19, crise sanitaire devenue également une crise économique mondiale majeure, montrent à quel point nous sommes dépendants les uns des autres. Notre précédent prix Nobel d’économie français [4] rappelait que ‘contrairement à ce que l’on pense souvent, ces crises ne sont pas techniquement des crises du marché, mais plutôt les symptômes d’une défaillance des institutions étatiques nationales et supranationales’.
Gouvernements et entreprises peuvent, en utilisant la prise de conscience des sociétés civiles, constituer des réponses aux demandes. Nous observons que l’avènement des technologies ‘hybrides’ ou ‘exponentielles’ (digitales et/ou électriques et/ou quantiques, etc.), autorise une évolution rapide de nos pratiques : travail, consommation, etc.
Une évolution de la morphologie des villes qui ne seraient plus concentriques, mais polycentriques nous semble une orientation prometteuse.
Plus généralement, prônez-vous des mesures contraignantes pour réformer rapidement nos modes de vie ?
Pour répondre à cette question, nous devons probablement préalablement distinguer des problèmes qui relèvent d’une durabilité ‘forte’ dont l’incidence menace la vie sur notre planète et ‘faible’ pour laquelle nous disposons de solutions de substitutions. Ce qui relève des premières doit objectivement faire l’objet de plans de remédiation, pour les secondes la transition doit être accélérée. Dans les deux cas, les solutions doivent assurer une transition de durabilité (People, Planet, Profit, Peace, Partnership).
Le travail mené dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat montre que chacun.e s’il est informé peut proposer des mesures qui sont en rapport avec les problématiques exposées. Les travaux de recherche et les expérimentations menées montrent que les solutions co-construites peuvent se révéler beaucoup plus puissantes et être bien plus efficacement déployées que des solutions imaginées dans le cadre d’une pratique managériale habituelle qui valorise et conforte le conformisme. La formation, le choix de la méthode et la qualité de l’exécution de la stratégie sont un préalable à l’atteinte des objectifs de durabilité et de bien-être.
Le raisonnement à partir de l’impact de nos modes de vie et de la réalité territoriale selon des critères co-construits, mesurables, vérifiables et inclusifs rend possible une transformation de nos sociétés, en revanche il est urgent de ne plus tarder.
Pour évoluer vers la durabilité chacun doit être mis en capacité de faire un choix éclairé dans son intérêt et celui des générations futures, notamment au travers d’une régulation et d’initiatives accélérées par des entreprises qui ont saisi les opportunités de la transition à mener.
Nous vivons de plus en plus dans un continuum numérique et les outils de planification urbaine pourraient permettre un large partage de solutions de durabilité avec les habitants et leur adaptation à chaque territoire.
La cité se constitua autour de lieux de rencontres où les êtres humains se retrouvaient périodiquement. Des travaux situent les premières traces d’une forme urbaine à un peu plus de 8000 ans. Les campements sédentaires devinrent des lieux de commerce et procurèrent des objets spécialisés ; en retour, les excédents de production agricole produits aux alentours purent soutenir le développement urbain.
L’avènement du transport et des moyens de stockage, notamment par la poterie, fut essentiel à l’émergence des premières formes urbaines. L’approvisionnement régulier fut possible et le savoir-faire de base utilisé à la fabrication de briques de construction des maisons et des entrepôts de nourriture permit à la ville de se construire.
Après la chute de l’Empire romain, les cités se développèrent aux quatre coins du monde, mais aucune région n’atteignit le développement de Rome peuplée de 400 000 à 1 million d’individus durant les mille cinq cents années qui suivirent. Nous pouvons penser que l’eau et la gestion des déchets sont probablement à l’origine de la limitation de la taille des villes. Pourtant l’urbanisation ne cessa pas ; ce phénomène fluctua en fonction du stade d’avancement et d’innovation des civilisations qui le soutenait.
C’est avec la révolution industrielle de la fin du XVIIIe et XIXe siècle qu’une évolution importante des modes de vie est rendue nécessaire. L’avènement de centres de productions importants engendra des demandes précises de résidence dans des lieux localisés. Au XXe siècle, une nouvelle mutation importante s’opéra avec l’évolution de l’organisation industrielle et la tertiarisation des activités. Alors que les industries lourdes ou manufacturières sont tributaires de ressources ou de caractéristiques locales spécifiques, l’industrie du service est moins liée au lieu. L’innovation permit de nouvelles formes de construction notamment avec de nouveaux usages du fer, du béton armé et précontraint. Les bâtiments de grande hauteur permirent d’augmenter la densité des villes, le développement des transports (dont l’automobile) accompagna la spécialisation des localisations pour le commerce, le ludique, la production, le résidentiel, le travail, etc.
Schématiquement, deux modèles d’occupation humaine sont dénombrables, le premier correspond aux pays peu ou prou membres de l’OCDE [1] avec une urbanisation largement menée pour laquelle les enjeux portent essentiellement sur les formes urbaines existantes, et le second aux pays en forte croissance urbaine pour lesquels la construction neuve est prépondérante.
Nos différentes formes d’habitat et de transport sont responsables d’environ 70 % d’une consommation énergétique fortement émettrice de gaz à effet de serres, polluants, déchets et nous constatons que notre mode de vie actuel et d’exercice de nos activités met en risque les conditions d’existence de l’espèce humaine [2].
Alors que les mauvaises nouvelles s’accumulent sur le front sanitaire, comment la ville peut-elle être résiliente ?
À Hong-kong, les défauts sur les canalisations d’eaux usées ont contribué à l’épidémie de SRAS [3] subie en 2003. Il est probable que la pandémie actuelle soit liée à la pratique de l’élevage intensif d’animaux et à sa proximité avec de fortes densités humaines. Le coronavirus est bien connu des vétérinaires et le passage vers l’homme a été observé, par exemple dans les élevages de vison au Danemark. La spécialisation des espaces comme des savoirs limite notre capacité à appréhender les problèmes à la bonne échelle.
Nous percevons à présent que la ville est le monde que nous avons créé et dans lequel nous devons vivre et à présent penser en termes de bien-être. L’histoire nous montre que les crises si elles ne sont pas prévisibles, sont récurrentes et périodiques. Une crise sanitaire est également une crise économique et vice versa et il existe une interdépendance entre nos sociétés. In fine nous partageons le même espace et les conséquences de nos modes de vie et de gestion de nos activités. Nous ne pouvons pas résoudre les problèmes séparément, comprendre nos modèles de ville et de vie, leurs influences, est essentiel pour ensuite transformer une démarche stratégique en modèles durables ‘duplicables’ à court, moyen et long terme.
Cet ouvrage est destiné à permettre au développement durable d’exister en tant que concept, de science ; la durabilité. L’actualité conforte le besoin de son application à la ville, il présente une méthode et des cas illustratifs de la pratique du management stratégique de la durabilité. La méthodologie proposée est basée sur de nombreuses années de recherches, d’applications, de partages tant académiques que professionnels. Les exemples mis en perspectives sont encourageants quant à notre capacité à (ré)agir. Nous pensons qu’il est encore possible de contribuer à construire de la résilience et faire de nos organisations, entreprises, des vecteurs de durabilité au travers de modèles d’affaires revisités rentables et durables. La RSE doit être au cœur de cette évolution et de stratégies créatrices de richesse et de sens.
La « Ville Monde » est-elle condamnée ?
Le monde se révèle urbain, complexe et transdisciplinaire, avec des intérêts privés puissants pour lesquels la recherche d’avantages concurrentiels est la règle. Une proximité culturelle et géographique publique/privée facilite les échanges et l’influence des décisions d’État. Le lien mesurable entre le revenu moyen par habitant et la taille de la métropole constitue un moteur puissant de l’économie urbaine et de l’accroissement continu de la taille des villes.
Malheureusement si l’on n’y prend pas garde cet accroissement va de pair avec celui des inégalités et des externalités négatives notamment environnementales.
Les traitements différentiés entre les pays de la Covid-19, crise sanitaire devenue également une crise économique mondiale majeure, montrent à quel point nous sommes dépendants les uns des autres. Notre précédent prix Nobel d’économie français [4] rappelait que ‘contrairement à ce que l’on pense souvent, ces crises ne sont pas techniquement des crises du marché, mais plutôt les symptômes d’une défaillance des institutions étatiques nationales et supranationales’.
Gouvernements et entreprises peuvent, en utilisant la prise de conscience des sociétés civiles, constituer des réponses aux demandes. Nous observons que l’avènement des technologies ‘hybrides’ ou ‘exponentielles’ (digitales et/ou électriques et/ou quantiques, etc.), autorise une évolution rapide de nos pratiques : travail, consommation, etc.
Une évolution de la morphologie des villes qui ne seraient plus concentriques, mais polycentriques nous semble une orientation prometteuse.
Plus généralement, prônez-vous des mesures contraignantes pour réformer rapidement nos modes de vie ?
Pour répondre à cette question, nous devons probablement préalablement distinguer des problèmes qui relèvent d’une durabilité ‘forte’ dont l’incidence menace la vie sur notre planète et ‘faible’ pour laquelle nous disposons de solutions de substitutions. Ce qui relève des premières doit objectivement faire l’objet de plans de remédiation, pour les secondes la transition doit être accélérée. Dans les deux cas, les solutions doivent assurer une transition de durabilité (People, Planet, Profit, Peace, Partnership).
Le travail mené dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat montre que chacun.e s’il est informé peut proposer des mesures qui sont en rapport avec les problématiques exposées. Les travaux de recherche et les expérimentations menées montrent que les solutions co-construites peuvent se révéler beaucoup plus puissantes et être bien plus efficacement déployées que des solutions imaginées dans le cadre d’une pratique managériale habituelle qui valorise et conforte le conformisme. La formation, le choix de la méthode et la qualité de l’exécution de la stratégie sont un préalable à l’atteinte des objectifs de durabilité et de bien-être.
Le raisonnement à partir de l’impact de nos modes de vie et de la réalité territoriale selon des critères co-construits, mesurables, vérifiables et inclusifs rend possible une transformation de nos sociétés, en revanche il est urgent de ne plus tarder.
Pour évoluer vers la durabilité chacun doit être mis en capacité de faire un choix éclairé dans son intérêt et celui des générations futures, notamment au travers d’une régulation et d’initiatives accélérées par des entreprises qui ont saisi les opportunités de la transition à mener.
Nous vivons de plus en plus dans un continuum numérique et les outils de planification urbaine pourraient permettre un large partage de solutions de durabilité avec les habitants et leur adaptation à chaque territoire.
[1] L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques, OCDE, a succédé à l’Organisation Européenne de Coopération Économique (OCDE) issue du plan Marshall et de la Conférence des Seize (Conférence de coopération économique européenne) qui a existé de 1948 à 1960 Les pays membres ont en commun un gouvernement reconnu démocratique et une économie de marché.
[2] La communauté internationale en climatologie est engagée dans un important exercice de simulations numériques du climat, passé et futur. Le premier volet du sixième rapport d’évaluation du GIEC est prévu pour publication en 2021/22. Les scientifiques français impliqués dans ce travail, notamment au CNRS, au CEA et à Météo-France, ont exprimé les grandes lignes de leurs résultats. Leurs nouveaux modèles prévoient notamment un réchauffement plus important en 2100 que les versions précédentes avec une température supérieure à 7°c si nous ne faisons évoluer nos comportements actuels.
[3] Selon l’Institut Pasteur le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) est la première maladie grave et transmissible à émerger en ce XXIe siècle. L’épidémie, partie de Chine fin 2002, a éclaté au niveau mondial en 2003 faisant plus de 8000 cas et près de 800 morts. Une mobilisation internationale suivit l’alerte mondiale déclenchée le 12 mars 2003. L’épidémie put être endiguée par des mesures d’isolement et de quarantaine. De même, l’agent causal du SRAS, un coronavirus inconnu jusqu’alors, a pu être identifié, mais n’a pas fait l’objet d’études approfondies.
[4] Jean TIROLE.