Serge Moscovici et l'étude des représentations sociales

Pour Serge Moscovici, les représentations sociales sont des systèmes organisés de connaissances, de croyances et de symboles qui structurent et façonnent la façon dont les individus perçoivent et interprètent la réalité qui les entoure. Elles sont le produit et le processus d’une activité mentale par laquelle un individu (ou un groupe) va reconstituer le réel auquel il est confronté et lui attribuer une signification spécifique (voir également les travaux d'Abric et  ceux de Jodelet). Elles sont donc des systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres qui, orientent et organisent nos modes de conduites et de pensées (pratiques et comportements), et les communications sociales (codes communs pour les échanges, logique de classification...).

Ces constructions sont élaborées et entretenues au sein des groupes sociaux et des communautés culturelles pour faciliter la communication et l'échange entre les individus. Les représentations sociales sont donc le produit d'un processus dynamique et interactif, et servent à donner un sens aux expériences vécues, aux phénomènes sociaux et aux enjeux contemporains.

Dans sa vision des représentations sociales, S. Moscovici développe une perspective d'analyse des interactions entre l'individu et la société, considérant que ces représentations jouent un rôle central dans l'intégration et l'adaptation des individus au sein de leur environnement social. Il insiste sur l'importance de prendre en compte les dimensions cognitives, affectives et normatives de ces représentations dans la compréhension des processus sociaux, tels que la socialisation, la transmission des valeurs et des normes ou encore l'orientation des comportements.

L'un des principaux apports de Serge Moscovici à la notion de représentations sociales réside dans sa contribution méthodologique et novatrice. Cet auteur a en effet souligné l'importance de dépasser les méthodes purement quantitatives pour comprendre les processus complexes à l'œuvre dans la formation et la transformation des représentations au sein des groupes sociaux.

A l'appui d'une démarche épistémologique rigoureuse, S. Moscovici a mis en avant des outils permettant d'analyser les interactions, les communications, et les processus de négociation entre les individus constituant ainsi les représentations sociales. Dans cette optique, Serge Moscovici a encouragé l'utilisation de méthodes qualitatives, telles que l'analyse de contenu, les entretiens semi-directifs ou encore les études de cas, pour étudier avec finesse les phénomènes d'élaboration et de diffusion des représentations. Néanmoins, il ne s'est pas exclusivement tourné vers ces approches. Il a également promu le développement de recherches mixtes, combinant intelligemment les méthodes quantitatives et qualitatives pour en saisir la complexité.
 

Les avancées méthodologiques initiées par S. Moscovici ont ainsi favorisé une approche plus riche et nuancée de la psychologie sociale, en permettant de mieux saisir la diversité des expériences humaines et des contextes sociaux. La pertinence du concept de représentations sociales se manifeste dans différentes sphères de la vie sociale, culturelle et politique. L'étude de ces représentations contribue notamment d'accroître notre compréhension des enjeux sociétaux, tels que la perception et l'action face au changement climatique, aux défis de la santé publique et de l'épidémiologie, ainsi qu'aux phénomènes politiques et économiques.

Les travaux de Serge Moscovici et de ses collègues ont ainsi montré comment les représentations sociales conditionnent les comportements, les opinions et les décisions des individus dans différents domaines. L'auteur a notamment analysé la façon dont les individus perçoivent et réagissent aux événements historiques et aux problématiques sociétales, comme la révolution industrielle, la montée de la psychanalyse, l'émergence de nouvelles technologies ou encore les débats sur l'énergie nucléaire.

Ainsi, les travaux du psychosociologue sur les représentations sociales ont non seulement élargi les horizons de la psychologie sociale, mais aussi fourni des outils pour aborder et traiter les défis contemporains auxquels nos sociétés sont confrontées (changement climatique et transition écologique, inégalités sociales et économiques, genre et égalité...).

Les travaux novateurs de Serge Moscovici sur la notion de "représentations sociales" ont non seulement marqué une révolution dans le champ de la psychologie sociale, mais aussi permis une meilleure compréhension des différentes formes d'interactions et de notre vécu social. En développant un cadre théorique et méthodologique solide, adapté aux complexités des dynamiques sociales, S. Moscovici a redessiné les contours de la discipline. Il a ouvert de nouvelles perspectives pour appréhender et analyser les phénomènes de transmission et de métamorphose des connaissances, des croyances et des valeurs dans un contexte de changements et de défis sociétaux constants.

Les représentations sociales permettent notamment de comprendre comment les individus construisent et donnent du sens à la réalité, à travers leurs relations et interactions avec autrui. Elles jouent un rôle crucial dans la communication, la coopération, la formation des attitudes et des opinions, ainsi que dans la prise de décision au sein d'un groupe. Les représentations sociales influencent également la manière dont les individus traitent l'information, en favorisant la mémorisation et l'évaluation de certaines données en fonction de leur pertinence pour le groupe.

Mais l'héritage laissé par Serge Moscovici s'étend bien au-delà de la discipline académique, et résonne avec les enjeux actuels qui traversent nos sociétés (diversité culturelle, conflits sociaux...). Ses écrits nous invitent à adopter une posture réflexive, critique et responsable face aux défis de la société, en examinant attentivement les mécanismes et les processus qui façonnent nos perceptions, comportements et  attitudes.
 

Moscovici, S. (1961). La psychanalyse, son image et son public. Paris: Presses Universitaires de France.

Moscovici, S. (1976). "La psychologie des représentations sociales", in S. Moscovici (Ed.), Introduction à la psychologie sociale (Vol. 1, pp. 255-374). Paris: Larousse.

Moscovici, S. (1984). The phenomenon of social representations. In R. M. Farr & S. Moscovici (Eds.), Social Representations (pp. 3-69). Cambridge: Cambridge University Press.

Moscovici, S. (1988). Notes towards a description of social representations. European Journal of Social Psychology, 18(3), 211-250.

Moscovici, S. (2000). Social Representations: Explorations in Social Psychology. Cambridge: Polity Press. Abric, J. C. (1994). Pratiques sociales et représentations. Paris: Presses Universitaires de France.

Abric, J.-C. (1987), Coopération, compétition et représentations sociales, Cousset-Fribourg : DelVal.

Herzlich, C., & Pierret, J. (1989). La construction sociale d'une maladie: Les représentations sociales du sida. Bulletin de Psychologie, 42(375), 199-207.

Jodelet, D. (1989). Représentations sociales : un domaine en expansion, In. D.Jodelet (Ed.), Les représentations sociales (pp. 31-61), Paris : Presses Universitaires. de France.

Jovchelovitch, S. (1997). Peripheral groups and the transformation of social representations: Queries on power and recognition, Social Psychology Review, 1(1), 16-26.

Meier O. (2023), Serge Moscovici et le rôle des minorités actives, EMS.

Meier O. (2022), Comprendre la société par les sciences sociales, VA Editions.

Meier O. et al. (2022), Minorités en mode majeur, EMS

Meier O. (2022), Hommage à S. Moscovici, figure de la psychologie sociale, Observatoire ASAP.

Meier O. (2021), Serge Moscovici et le management : normalité, anormalité, déviance, Emission IQSOG-XERFI.

Olivier Meier s'est efforcé d'appliquer les travaux de Serge Moscovici aux domaines des sciences de gestion et du management. Depuis son travail de thèse (et d'HDR), il a cherché à transposer les idées et les concepts issus de la psychologie sociale vers des problématiques concrètes en gestion et management, en établissant des passerelles entre disciplines (gestion, économie, sociologie, psychologie sociale). Il s'est notamment intéressé à la question des représentations sociales, au rôle des minorités actives et plus globalement à l'étude des interactions sociales en terrain sensible. Il a montré l'importance de la notion de déviance dans les processus d'innovation et de changement, étudiant la manière dont Serge Moscovici a conceptualisé les notions de normalité, anormalité et de déviance. Puisant dans les travaux de l'auteur, Olivier Meier a mené plusieurs études sur l'impact des normes sociales et la notion d'influence, pour comprendre la performance des organisations et des équipes de travail.

Olivier Meier est l'auteur de deux ouvrages consacrés aux travaux de Serge Moscovici:
- Serge Moscovici et le rôle des minorités actives, Editions EMS

Il a également publié sur le sujet dans différentes revues à comité de lecture (RGRH, JASP, RIHME, RFG...) et réalisé divers entretiens notamment dans l'émission IQSOG - XERFI Canal.