Vous pouvez également écouter le podcast sur les nouveaux enjeux de l'espace !
Il existe des armes stratégiques ainsi que du matériel civil à double usage dans l’espace. Une législation visant à supprimer ce matériel définitivement de l’espace extra-atmosphérique est-elle nécessaire ?
Une telle législation est plus que nécessaire, autant qu’il est souhaitable de procéder à une désintégration totale de tout l’appareil militaro-industriel accumulé par toutes les puissances militaires. Qui ne souhaiterait vivre dans ce monde où les hommes n’auraient plus les moyens d’en venir aux armes, surtout quand nous savons qu’il s’agit d’armes éminemment destructrices ?!! Mais même dans cet état de dénuement, nous trouverions encore des raisons et le moyen d’en venir aux mains. Tout cela pour dire que ce problème dépasse le cadre du spatial. Nous parviendrons un jour à cet état si l’humanité parvenait à grandir en conscience au point de vouloir unanimement la vertu et d’en user dans l’exercice de cette force de liberté qui l’a élevée de la terre jusqu’aux nuages et aujourd’hui jusqu’aux étoiles.
Mais ce temps n’est pas encore venu.
Il serait alors dangereux pour un État de se dépouiller de son arsenal. Je ne le conseille à personne. Je ne recommande pas non plus une course aveugle aux armes conventionnelles, ni aux armes de destruction massive, ni à la martialisation des équipements civils.
Concernant le matériel à double usage civil et militaire, une entreprise de suppression de celui-ci poserait un problème de taille. À mon avis, la martialisation du matériel civil serait peut-être même plus difficile à contenir que le développement de dispositifs militaires dans l’espace. De nature non militaire, relevant par essence de l’art de la dissimulation, il faudrait donc que la réglementation, au niveau international, puisse déterminer les critères permettant de désigner le matériel civil qui pourrait receler en lui des potentialités militaires. Or, tout matériel civil, placé ou non dans l’espace pourrait dissimuler de telles possibilités, mûrement réfléchies et anticipées. La difficulté tient au fait que le satellite civil qui pourrait par exemple se prêter à ce double jeu remplira de fait et pendant toute la période de paix sa fonction civile. L’idée n’est pas dès le départ de l’affecter à un usage militaire. L’idée d’ailleurs est de ne l’affecter à aucun usage militaire, dans l’idéal. L’opération consiste plutôt à disposer ces ressources civiles d’une manière telle qu’on se réserve la possibilité de les mobiliser en appui à un autre dispositif militaire placé au sol, dans les airs ou dans l’espace, pour le cas où une situation de conflit ou de guerre éclaterait un jour. Il s’agit en temps de paix de préparer d’ores et déjà la guerre, mais en progressant dans l’invisibilité. Interdire cette démarche pourrait même conduire à un effet pervers : vouloir tout interdire et voir partout l’œuvre du mal. Une telle législation sur le matériel civil serait totalement contre-productif, risquerait même, mais j’exagère peut-être, de mener vers des délires que nous avons déjà connus et qui pourraient paralyser l’avancée naturelle de l’un de nos trésors les plus précieux : la marche de la science et son application concrète au monde pour notre plus grand bien.
Suivant une autre perspective, il faut avouer que certains satellites pouvant avoir une double fonction civile et militaire peuvent être carrément souhaitables, tant qu’il existera des armes de destruction massive, au sol, en mer ou ailleurs. On voit comment pendant toute la période de la guerre froide les satellites de reconnaissance ont permis d’assurer l’équilibre de la terreur et d’éviter certains dérapages. Les satellites jouent alors un rôle indéniable dans la stabilisation des rivalités terrestres. Ils ont par exemple permis de part et d’autre du Pacifique aux États-Unis et à l’URSS de vérifier régulièrement l’état des forces ennemies, de rassurer les protagonistes sur le « missile gap », contribuant ainsi à l’apaisement de tensions.
Ces satellites de reconnaissance participent de ce que l’on appelle la militarisation de l’espace, c’est-à-dire la mise en orbite de satellites, venant alors en appui des troupes opérant notamment sur terre.
Un autre mouvement porte le nom d’arsenalisation (weaponization), qui consiste dans la mise en orbite d’armes ayant pour objet de détruire ou neutraliser directement soit des cibles terrestres ou des cibles évoluant dans l’espace (comme des dispositifs militaires ou civils extra-atmosphériques ennemis).
S’agissant des armes de destruction massive, cette arsenalisation a été initiée très tôt par les États-Unis. À ce titre, l’une des premières opérations ayant marqué les esprits est l’essai nucléaire au nom de code Starflish Prime lancé le 9 juillet 1962 par les Américains à 400 kilomètres d’altitude. Selon les scientifiques, l’explosion a créé une ceinture de radiation artificielle de l’ordre de plusieurs mois et a provoqué la destruction de nombreux satellites, dont certains ont pourtant été lancés après l’opération !
Peu de temps après, est adopté le Traité interdisant les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère, dans l’espace extra-atmosphérique et sous l’eau (1963). Puis le Traité de 1967 vient quelques années plus tard interdire en son article 4 la mise en orbite autour de la Terre d’objets porteurs d’armes nucléaires et de toute autre arme de destruction massive. Le Traité de 1967 interdit aussi l’installation de telles armes sur des corps célestes et d’une manière générale dans l’espace extra-atmosphérique. Puis, nous avons ce fameux Traité de 1972 (SALT I) entre les États-Unis et l’URSS sur les plafonds de détention d’armes stratégiques offensives. Il n’a malheureusement été que de très courte durée, ayant expiré en 1977 et son successeur annoncé (SALT II) n’ayant jamais vu le jour.
Quant au Traité de 1972 dit Traité ABM, sur l’interdiction des armes stratégiques défensives que sont les systèmes antimissiles balistiques, il a été frappé de caducité le 13 juin 2002, à la suite du retrait des États-Unis pour des raisons stratégiques dans le contexte de l’après 11 septembre 2001.
On voit bien qu’il y a eu des avancées, mais aussi des retours en arrière en la matière. D’autres accords partiels de limitation ou d’interdiction des armes stratégiques ont vu le jour au sortir de la guerre froide, notamment en Europe et au sein de l’Organisation des Nations Unies.
Ce qu’il faut surtout comprendre c’est que l’interdiction ou la limitation de la militarisation ou de l’arsenalisation de l’espace est en grande partie tributaire des avancées de la réglementation des armements sur Terre (celle-ci déterminant en partie les politiques militaires des États au sol, au soutien desquelles peuvent venir les dispositifs installés dans l’extra-atmosphère).
Mais pour l’heure, il y a une difficulté majeure sur le désarmement dans l’espace, difficulté relevant carrément d’un problème systémique pour certains pays et que je baptiserais la faiblesse du fort. L’économie de certaines puissances, et en premier lieu les États-Unis, ainsi que leur appareil de défense, dépendent au plus haut point de l’espace. À mon sens, l’espace devient alors à la fois leur marteau de Thor et leur talon d’Achille. Les persuader d’abandonner le développement de leurs capacités de défense en ce haut lieu relève donc presque de l’utopie. Et ce, pour la raison suivante : qui les tiendra par ce point supérieur, pourrait les tenir tout court.
L’expression « Qui tient le haut, tient le bas » par laquelle les batailles se gagnent traditionnellement dans l’histoire militaire, prend alors un tout autre sens, un surplus de sens. Le point culminant devient aussi celui par lequel la bataille risque de se perdre.
Mais ce temps n’est pas encore venu.
Il serait alors dangereux pour un État de se dépouiller de son arsenal. Je ne le conseille à personne. Je ne recommande pas non plus une course aveugle aux armes conventionnelles, ni aux armes de destruction massive, ni à la martialisation des équipements civils.
Concernant le matériel à double usage civil et militaire, une entreprise de suppression de celui-ci poserait un problème de taille. À mon avis, la martialisation du matériel civil serait peut-être même plus difficile à contenir que le développement de dispositifs militaires dans l’espace. De nature non militaire, relevant par essence de l’art de la dissimulation, il faudrait donc que la réglementation, au niveau international, puisse déterminer les critères permettant de désigner le matériel civil qui pourrait receler en lui des potentialités militaires. Or, tout matériel civil, placé ou non dans l’espace pourrait dissimuler de telles possibilités, mûrement réfléchies et anticipées. La difficulté tient au fait que le satellite civil qui pourrait par exemple se prêter à ce double jeu remplira de fait et pendant toute la période de paix sa fonction civile. L’idée n’est pas dès le départ de l’affecter à un usage militaire. L’idée d’ailleurs est de ne l’affecter à aucun usage militaire, dans l’idéal. L’opération consiste plutôt à disposer ces ressources civiles d’une manière telle qu’on se réserve la possibilité de les mobiliser en appui à un autre dispositif militaire placé au sol, dans les airs ou dans l’espace, pour le cas où une situation de conflit ou de guerre éclaterait un jour. Il s’agit en temps de paix de préparer d’ores et déjà la guerre, mais en progressant dans l’invisibilité. Interdire cette démarche pourrait même conduire à un effet pervers : vouloir tout interdire et voir partout l’œuvre du mal. Une telle législation sur le matériel civil serait totalement contre-productif, risquerait même, mais j’exagère peut-être, de mener vers des délires que nous avons déjà connus et qui pourraient paralyser l’avancée naturelle de l’un de nos trésors les plus précieux : la marche de la science et son application concrète au monde pour notre plus grand bien.
Suivant une autre perspective, il faut avouer que certains satellites pouvant avoir une double fonction civile et militaire peuvent être carrément souhaitables, tant qu’il existera des armes de destruction massive, au sol, en mer ou ailleurs. On voit comment pendant toute la période de la guerre froide les satellites de reconnaissance ont permis d’assurer l’équilibre de la terreur et d’éviter certains dérapages. Les satellites jouent alors un rôle indéniable dans la stabilisation des rivalités terrestres. Ils ont par exemple permis de part et d’autre du Pacifique aux États-Unis et à l’URSS de vérifier régulièrement l’état des forces ennemies, de rassurer les protagonistes sur le « missile gap », contribuant ainsi à l’apaisement de tensions.
Ces satellites de reconnaissance participent de ce que l’on appelle la militarisation de l’espace, c’est-à-dire la mise en orbite de satellites, venant alors en appui des troupes opérant notamment sur terre.
Un autre mouvement porte le nom d’arsenalisation (weaponization), qui consiste dans la mise en orbite d’armes ayant pour objet de détruire ou neutraliser directement soit des cibles terrestres ou des cibles évoluant dans l’espace (comme des dispositifs militaires ou civils extra-atmosphériques ennemis).
S’agissant des armes de destruction massive, cette arsenalisation a été initiée très tôt par les États-Unis. À ce titre, l’une des premières opérations ayant marqué les esprits est l’essai nucléaire au nom de code Starflish Prime lancé le 9 juillet 1962 par les Américains à 400 kilomètres d’altitude. Selon les scientifiques, l’explosion a créé une ceinture de radiation artificielle de l’ordre de plusieurs mois et a provoqué la destruction de nombreux satellites, dont certains ont pourtant été lancés après l’opération !
Peu de temps après, est adopté le Traité interdisant les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère, dans l’espace extra-atmosphérique et sous l’eau (1963). Puis le Traité de 1967 vient quelques années plus tard interdire en son article 4 la mise en orbite autour de la Terre d’objets porteurs d’armes nucléaires et de toute autre arme de destruction massive. Le Traité de 1967 interdit aussi l’installation de telles armes sur des corps célestes et d’une manière générale dans l’espace extra-atmosphérique. Puis, nous avons ce fameux Traité de 1972 (SALT I) entre les États-Unis et l’URSS sur les plafonds de détention d’armes stratégiques offensives. Il n’a malheureusement été que de très courte durée, ayant expiré en 1977 et son successeur annoncé (SALT II) n’ayant jamais vu le jour.
Quant au Traité de 1972 dit Traité ABM, sur l’interdiction des armes stratégiques défensives que sont les systèmes antimissiles balistiques, il a été frappé de caducité le 13 juin 2002, à la suite du retrait des États-Unis pour des raisons stratégiques dans le contexte de l’après 11 septembre 2001.
On voit bien qu’il y a eu des avancées, mais aussi des retours en arrière en la matière. D’autres accords partiels de limitation ou d’interdiction des armes stratégiques ont vu le jour au sortir de la guerre froide, notamment en Europe et au sein de l’Organisation des Nations Unies.
Ce qu’il faut surtout comprendre c’est que l’interdiction ou la limitation de la militarisation ou de l’arsenalisation de l’espace est en grande partie tributaire des avancées de la réglementation des armements sur Terre (celle-ci déterminant en partie les politiques militaires des États au sol, au soutien desquelles peuvent venir les dispositifs installés dans l’extra-atmosphère).
Mais pour l’heure, il y a une difficulté majeure sur le désarmement dans l’espace, difficulté relevant carrément d’un problème systémique pour certains pays et que je baptiserais la faiblesse du fort. L’économie de certaines puissances, et en premier lieu les États-Unis, ainsi que leur appareil de défense, dépendent au plus haut point de l’espace. À mon sens, l’espace devient alors à la fois leur marteau de Thor et leur talon d’Achille. Les persuader d’abandonner le développement de leurs capacités de défense en ce haut lieu relève donc presque de l’utopie. Et ce, pour la raison suivante : qui les tiendra par ce point supérieur, pourrait les tenir tout court.
L’expression « Qui tient le haut, tient le bas » par laquelle les batailles se gagnent traditionnellement dans l’histoire militaire, prend alors un tout autre sens, un surplus de sens. Le point culminant devient aussi celui par lequel la bataille risque de se perdre.
Un certain nombre d’États a procédé à une législation réglementant les décollages à partir de leur territoire, mais ils ne tombent pas tous d’accord. Que pensez-vous d’une réglementation de l’espace ?
En matière de réglementation spatiale, si l’on prend ce terme de réglementation dans son acceptation la plus large, une constante se dégage : Entre Dieu et le Diable, la frontière est tracée, les territoires sont partagés. Dieu prend pour lui les grands principes, et comme toujours le Diable vient se loger dans les détails.
J’entends par là qu’il n’y a point de réel débat entre les États, et qu’il n’y en a pas réellement eu sur les valeurs supérieures devant guider la conquête spatiale. Par exemple, tous se soumettent spontanément à l’idée d’une responsabilisation des États au niveau international puis d’une responsabilité des acteurs privés au niveau national quant aux dommages pouvant résulter de leurs activités spatiales hautement risquées.
Ainsi voit-on, au départ, avec quelle spontanéité, les États ont refusé de se livrer à ce qui serait normalement une attitude conforme à la logique historique des rapports existant entre puissances souveraines. En effet, miraculeusement, la conquête spatiale, dès ses premiers balbutiements, a trouvé, posée dans son berceau, la recherche de la paix ou du moins une certaine retenue à céder à l’affrontement direct.
C’est tout le sens de la parole du professeur C. Chaumont qui dès les années 60 fait cette remarque on ne plus plus éloquente : « le droit de l’espace s’est engagé dès 1957 sur la route royale de la liberté ».
Pour comprendre le caractère surprenant d’une telle attitude, il faut comprendre qu’aucun État au début de la conquête n’a affirmé sa souveraineté sur l’espace extra-atmosphérique le surplombant, alors que tous les États étaient à l’époque déjà, et ce, dès le début du XXe siècle, jaloux, farouchement, de leur souveraineté sur leur espace aérien. Aucun État n’a donc empêché, au moment des premières conquêtes, le survol de l’espace par un autre État.
Pour saisir la particularité des débuts de la conquête spatiale, il faut peut-être la comparer à une autre grande aventure où une partie de l’humanité a dû affronter l’inconnu pour avancer vers de nouveaux horizons. Il s’agit des grandes conquêtes de ce qu’on appela le Nouveau Monde par l’Espagne, le Portugal, puis la France et l’Angleterre. Nous savons tous comment dès les premières découvertes, la mer des Caraïbes, entre autres, s’est retrouvée être le théâtre d’affrontements sanglants et violents au nom de l’extension et de la richesse des nations. Corsaires et pirates ont prospéré. Et la frontière, la souveraineté et leur affirmation dans le choc ont été le cœur de la logique de l’époque. Les débuts de la conquête de l’espace n’ont rien connu de tel.
Sur ce point, je pourrais conclure que l’humanité devrait alors s’enorgueillir de cette évolution. Mais ce serait de ma part d’une grande naïveté. Car, avec la conquête de l’espace, si l’histoire ne s’est pas répétée, c’est uniquement sur le terrain des grands principes.
Et c’est là qu’il faut rendre au Diable ce qui revient au Diable : le déploiement des grands principes, la définition des modalités concrètes de leur application, et surtout leur évolution progressive qui n’échappe pas à l’érosion.
On voit par exemple comment en matière de responsabilité, le principe même d’une responsabilisation large, extensive de l’État se retrouve dilué, pourtant sous des termes magnifiques tels que la justice ou l’équité, dans un texte de compromis, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est le malentendu par excellence. Il s’agit de l’article XII de la Convention de 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux, qui dispose que le montant de la réparation des dommages sera fixé « conformément au droit international et aux principes de justice et d’équité ». La formule est si ambiguë que certains observateurs considèrent que c’est sur la volonté et la bonne foi de l’État concerné que reposera à chaque fois l’effectivité du système de réparation.
Je pourrais prendre un autre principe : celui de l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. On voit comment ce principe se trouve contourné par les frappes réalisées par certains États contre leurs propres satellites : la Chine en 2007, ou encore l’Inde en 2019. En détruisant son propre satellite, on ne commet théoriquement aucun acte de guerre ni d’agression puisqu’on s’attaque à une ressource qui nous est propre. On ne saurait alors nous reprocher une quelconque violation du Traité de 1967. Cependant, tout en se conformant au droit, on fait la démonstration de sa force qu’on livre en spectacle aux puissances concurrentes et à celles que l’on souhaiterait vassaliser. Ce spectacle, nous le savons, depuis les origines, dans la nature, chez les hommes ou les animaux, se situe encore dans le registre de la guerre ; et s’il permet parfois de l’éviter, il en est souvent le signe annonciateur.
Je pourrais dérouler la liste, jusqu’au principe de non-appropriation de l’espace que les Américains ont récemment, en 2015, vidé de son sens, en affirmant désormais, dans le Space Act, que les entreprises privées américaines pourront désormais s’approprier les ressources de l’espace. Le Luxembourg a adopté une loi similaire. Et cette dernière évolution est d’une importance capitale, car elle ne se situe plus dans une logique de contournement des grands principes empreints d’humanisme qui ont toujours animé l’entreprise de conquête spatiale. Elle participe, pas entièrement encore, mais bien déjà, d’une affirmation directe de la volonté de certains États et acteurs privés d’avancer vers l’établissement d’une base juridique à leur mainmise sur l’espace extra-atmosphérique.
Alors que faire ?
Je pense que la marche qui se dessine est inexorable et est partie intégrante de la marche de l’histoire. Ce qu’il faudrait faire, c’est saisir la marge de manœuvre que toujours offre le courage : atténuer les effets, afin de préserver au mieux les intérêts supérieurs de l’humanité. Il faudrait donc pour cela, que l’érosion des principes soit ralentie ou qu’ils soient préservés malgré l’irrésistible prédominance des intérêts nationaux et privés. L’équilibre est possible et la France, avec ses valeurs, et sa position de leadership au niveau européen a donc un rôle qu’elle doit continuer à jouer dans cette bataille. Mais il faudra s’en donner les moyens et faire qu’avec l’Europe l’on puisse peser de tout notre poids. L’exercice en vaut d’autant plus la peine que des intérêts stratégiques pour l’humanité entière se trouvent aujourd’hui dans la balance. La problématique des débris spatiaux et de la pollution de l’espace pourrait devenir celle de la survie de l’aventure spatiale elle-même. L’émergence d’une réglementation et d’une normalisation dans ces domaines devrait donc pouvoir s’imposer au-dessus de tous les enjeux, au-delà même de tout espoir.
J’entends par là qu’il n’y a point de réel débat entre les États, et qu’il n’y en a pas réellement eu sur les valeurs supérieures devant guider la conquête spatiale. Par exemple, tous se soumettent spontanément à l’idée d’une responsabilisation des États au niveau international puis d’une responsabilité des acteurs privés au niveau national quant aux dommages pouvant résulter de leurs activités spatiales hautement risquées.
Ainsi voit-on, au départ, avec quelle spontanéité, les États ont refusé de se livrer à ce qui serait normalement une attitude conforme à la logique historique des rapports existant entre puissances souveraines. En effet, miraculeusement, la conquête spatiale, dès ses premiers balbutiements, a trouvé, posée dans son berceau, la recherche de la paix ou du moins une certaine retenue à céder à l’affrontement direct.
C’est tout le sens de la parole du professeur C. Chaumont qui dès les années 60 fait cette remarque on ne plus plus éloquente : « le droit de l’espace s’est engagé dès 1957 sur la route royale de la liberté ».
Pour comprendre le caractère surprenant d’une telle attitude, il faut comprendre qu’aucun État au début de la conquête n’a affirmé sa souveraineté sur l’espace extra-atmosphérique le surplombant, alors que tous les États étaient à l’époque déjà, et ce, dès le début du XXe siècle, jaloux, farouchement, de leur souveraineté sur leur espace aérien. Aucun État n’a donc empêché, au moment des premières conquêtes, le survol de l’espace par un autre État.
Pour saisir la particularité des débuts de la conquête spatiale, il faut peut-être la comparer à une autre grande aventure où une partie de l’humanité a dû affronter l’inconnu pour avancer vers de nouveaux horizons. Il s’agit des grandes conquêtes de ce qu’on appela le Nouveau Monde par l’Espagne, le Portugal, puis la France et l’Angleterre. Nous savons tous comment dès les premières découvertes, la mer des Caraïbes, entre autres, s’est retrouvée être le théâtre d’affrontements sanglants et violents au nom de l’extension et de la richesse des nations. Corsaires et pirates ont prospéré. Et la frontière, la souveraineté et leur affirmation dans le choc ont été le cœur de la logique de l’époque. Les débuts de la conquête de l’espace n’ont rien connu de tel.
Sur ce point, je pourrais conclure que l’humanité devrait alors s’enorgueillir de cette évolution. Mais ce serait de ma part d’une grande naïveté. Car, avec la conquête de l’espace, si l’histoire ne s’est pas répétée, c’est uniquement sur le terrain des grands principes.
Et c’est là qu’il faut rendre au Diable ce qui revient au Diable : le déploiement des grands principes, la définition des modalités concrètes de leur application, et surtout leur évolution progressive qui n’échappe pas à l’érosion.
On voit par exemple comment en matière de responsabilité, le principe même d’une responsabilisation large, extensive de l’État se retrouve dilué, pourtant sous des termes magnifiques tels que la justice ou l’équité, dans un texte de compromis, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est le malentendu par excellence. Il s’agit de l’article XII de la Convention de 1972 sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par les objets spatiaux, qui dispose que le montant de la réparation des dommages sera fixé « conformément au droit international et aux principes de justice et d’équité ». La formule est si ambiguë que certains observateurs considèrent que c’est sur la volonté et la bonne foi de l’État concerné que reposera à chaque fois l’effectivité du système de réparation.
Je pourrais prendre un autre principe : celui de l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique. On voit comment ce principe se trouve contourné par les frappes réalisées par certains États contre leurs propres satellites : la Chine en 2007, ou encore l’Inde en 2019. En détruisant son propre satellite, on ne commet théoriquement aucun acte de guerre ni d’agression puisqu’on s’attaque à une ressource qui nous est propre. On ne saurait alors nous reprocher une quelconque violation du Traité de 1967. Cependant, tout en se conformant au droit, on fait la démonstration de sa force qu’on livre en spectacle aux puissances concurrentes et à celles que l’on souhaiterait vassaliser. Ce spectacle, nous le savons, depuis les origines, dans la nature, chez les hommes ou les animaux, se situe encore dans le registre de la guerre ; et s’il permet parfois de l’éviter, il en est souvent le signe annonciateur.
Je pourrais dérouler la liste, jusqu’au principe de non-appropriation de l’espace que les Américains ont récemment, en 2015, vidé de son sens, en affirmant désormais, dans le Space Act, que les entreprises privées américaines pourront désormais s’approprier les ressources de l’espace. Le Luxembourg a adopté une loi similaire. Et cette dernière évolution est d’une importance capitale, car elle ne se situe plus dans une logique de contournement des grands principes empreints d’humanisme qui ont toujours animé l’entreprise de conquête spatiale. Elle participe, pas entièrement encore, mais bien déjà, d’une affirmation directe de la volonté de certains États et acteurs privés d’avancer vers l’établissement d’une base juridique à leur mainmise sur l’espace extra-atmosphérique.
Alors que faire ?
Je pense que la marche qui se dessine est inexorable et est partie intégrante de la marche de l’histoire. Ce qu’il faudrait faire, c’est saisir la marge de manœuvre que toujours offre le courage : atténuer les effets, afin de préserver au mieux les intérêts supérieurs de l’humanité. Il faudrait donc pour cela, que l’érosion des principes soit ralentie ou qu’ils soient préservés malgré l’irrésistible prédominance des intérêts nationaux et privés. L’équilibre est possible et la France, avec ses valeurs, et sa position de leadership au niveau européen a donc un rôle qu’elle doit continuer à jouer dans cette bataille. Mais il faudra s’en donner les moyens et faire qu’avec l’Europe l’on puisse peser de tout notre poids. L’exercice en vaut d’autant plus la peine que des intérêts stratégiques pour l’humanité entière se trouvent aujourd’hui dans la balance. La problématique des débris spatiaux et de la pollution de l’espace pourrait devenir celle de la survie de l’aventure spatiale elle-même. L’émergence d’une réglementation et d’une normalisation dans ces domaines devrait donc pouvoir s’imposer au-dessus de tous les enjeux, au-delà même de tout espoir.