Paul R. Lawrence et la Contingence Structurelle

03/02/2020


Paul Roger Lawrence est un sociologue américain, professeur de comportement organisationnel à la Harvard Business School, connu pour son travail avec Jay W. Lorsch (son assistant de recherche au début des années soixante) sur la différenciation et l'intégration dans les organisations. Leur contribution est une des études phare d’un nouveau courant dans l’analyse des organisations, celui de la « théorie de la contingence structurelle ».



L’Ecole de la contingence structurelle a été portée par Paul Roger Lawrence et son collègue Jay William Lorsch qui poursuivent le travail de joan Woodward (technologie/organisation) et de J. Burns & G.M. Stalker (environnement/organisation), en partant du constat que l'environnement a une influence déterminante sur la structure et les performances des organisations. Ils vont étudier dix firmes dans trois industries différentes (plastique, emballage, conserverie), en s'intéressant à trois facteurs: le changement des conditions de l’environnement, la certitude des informations acquises et la durée nécessaire pour connaître le résultat des décisions.
 
Pour les auteurs, toute entreprise est insérée dans un environnement caractérisé par des contraintes qui s’imposent à elle et par des opportunités qu’elle doit saisir. Pour surmonter ces contraintes et saisir les opportunités, les entreprises doivent être capables de mobiliser avec efficience leurs compétences. L'exigence de performance est rendue possible par l’adoption d’une structure adaptée à son environnement spécifique. Le succès de la publication d’Organization and Environment (1967) restera la seule publication écrite en commun.

Différenciation et Intégration

Les travaux de Paul Roger Lawrence et Jay W. Lorsch reposent sur deux concepts: la différenciation interne et l'intégration, dont la gestion doit permettre à l'organisation de s'adapter et d'évoluer en fonction des degrés de turbulence de l'environnement. Ces deux concepts sont au coeur de la théorie de la contingence structurelle.
 
La différenciation interne peut se définir ici comme le degré de différence de comportements et de fonctionnement que l’organisation va adopter, pour répondre aux demandes de l’environnement. Plus l’environnement est instable, plus l’organisation aura tendance à se différencier. La différenciation est donc ici le résultat d’un processus par lequel des éléments de l’organisation initialement semblables acquièrent des propriétés fonctionnelles différentes pour répondre aux variations de l'environnement (fractionnement de l'organisation en sous ensembles autonomes). Les éléments de différenciation sont la nature des objectifs (qui peuvent être plus ou moins précis), l'horizon temporel (actions à court, moyen ou long terme), les relations interpersonnelles (degré de primauté accordée aux tâches ou aux compétences) et le degré de formalisme des interactions (règles / contrôle).

L’intégration vise à instaurer une unité d’efforts entre les différentes attitudes et unités de travail. Plus les unités de travail sont différenciées, plus il y aura besoin d’intégration, pour coordonner les actions. Les mécanismes d’intégration répondent principalement à un souci d’harmoniser le fonctionnement de l’organisation et d’optimiser les départements spécialisés. Ceci peut nécessiter des mécanismes d’intégration plus ou moins importants (ligne hiérarchique, agents de liaison, groupes de travail, procédures d'ajustement, instances intermédiaires...). La structure formelle est donc une variable dépendante de la politique choisie, mais aussi des caractéristiques de l'environnement.

L’environnement comme facteur déterminant

Pour Paul Roger Lawrence, du fait de la turbulence des environnements, les organisations sont dans l'impossibilité d'adopter des comportements homogènes, ce qui va les conduire à adapter leur système d'organisation et de fonctionnement à la variabilité de l'environnement (différenciation) qui pour rester efficaces et cohérents devront parallèlement être gérés par des mécanismes de coordination (intégration).

La gestion du couple "intégration-différenciation" est donc au coeur des travaux sur la contingence, mettant aux prises la gestion d'exigences contradictoires. Il n'y a donc pas de système d'organisation unique ou optimal ("one best way"), assurant une performance à toutes les entreprises.

L'efficacité de l’organisation se mesure par conséquent à sa capacité à évoluer sur le plan fonctionnel, en accord avec les facteurs de l'environnement. Pour l'auteur, l’adaptation des structures aux conditions de l’environnement est donc une condition de survie et d’efficacité qui obéissent à des règles propres en fonction des secteurs de l’économie.

Conclusion

L'Ecole de la contingence en raison de son réalisme explique en grande partie le succès de cette approche qui se veut pragmatique et sensible aux évolutions de l'environnement (développement technologique, mondialisation, évolutions sociales et sociétales). Cette approche fournit notamment des grilles d'analyse et des orientations/moyens pour adapter les organisations aux conditions de l’environnement, sans imposer un cadre rigide et universel. Elle a ainsi permis d’introduire un certain relativisme structurel, en montrant les limites du « one best way ». Ce courant est de ce point de vue en accord avec un monde désormais complexe et incertain. Cependant, cette théorie de la contingence est critiquée, en raison de l'importance accordée au caractère stable ou instable de l'environnement sur les structures organisationnelles. Il peut en effet arriver que même dans des secteurs stables ou "protégés", les entreprises n’aient pas nécessairement de structures identiques. De même dans des secteurs a priori instables, la notion d'instabilité peut prendre des formes diverses entre évolution, changement, innovation incrémentale ou transformation radicale. L’approche contingente a donc comme principal inconvénient de ne pas tenir compte des choix stratégiques des acteurs et des interactions, qui peuvent changer l’état des facteurs de contingence. En s’inscrivant dans un déterminisme simpliste (adaptation unilatérale de l’organisation aux contraintes de l’environnement), les théoriciens de l’approche contingente tendent à occulter la dimension stratégique des organisations, les facteurs d’influence et les qualités individuelles des dirigeants. Par conséquent, si l'impact de l’environnement reste une donnée incontournable, ces théories ne peuvent en aucun cas sous-estimer la finalité même des organisations et leur style de management.

Pour aller plus loin

Lawrence P.R, Lorsh J.W, Adapter les structures de l'entreprise, Editions D'Organisation, 1973.
Milano P., "Environnement, adaptation, organisation:  la contingence structurelle", in Les Grands Auteurs en Management (éd.), Editions EMS.
Meier O., Barabel M., Manageor, Dunod, 2015.
Meier O. (Dir.), Les stratégies de croissance, Dunod, 2009.
Meier O., Schier G., Les entreprises multinationales, Dunod, 2005.

Note: