L'Hypocrisie organisationnelle
Nils Brunsson
Les paradoxes sont aujourd’hui considérés comme des processus centraux dans le développement et le fonctionnement des organisations. Les actions des firmes ne sont pas toujours cohérentes et leurs discours parfois contradictoires. Le décalage entre action prescrite et action réelle est permanent. Quant au lien entre discours et actions, il est rarement établi, comme l’a fort bien montré Richard Pascale (Université de Stanford) à propos du cas Honda. En effet, ce n’est qu’à la suite d’heureux concours de circonstances que l’action d’Honda aux Etats-Unis dans les années 1960, qui aurait dû se solder par un échec, déboucha finalement sur un succès avec la vente de petites cylindrées. Le cas Honda est un exemple flagrant de contradiction entre le récit officiel (l’éloge d’un succès planifié et maîtrisé) et la réalité du processus qui fut principalement une succession d’événements fortuits.
Ainsi, dans bien des cas, l'analyse de la performance de l’entreprise repose sur une scénarisation qui évite de rendre compte avec précisions des actions menées. La recherche de légitimité et d’une image valorisante (et sécurisante) conduit en effet à présenter la stratégie décrite comme la résultante d’un processus rationnel, pensé et organisé. Les entreprises se trouvent donc en permanence en situation d’hypocrisie, où tout est soigneusement mis en scène pour exprimer des intentions qui s’accordent mal avec la réalité des actions engagées.
Ainsi, dans bien des cas, l'analyse de la performance de l’entreprise repose sur une scénarisation qui évite de rendre compte avec précisions des actions menées. La recherche de légitimité et d’une image valorisante (et sécurisante) conduit en effet à présenter la stratégie décrite comme la résultante d’un processus rationnel, pensé et organisé. Les entreprises se trouvent donc en permanence en situation d’hypocrisie, où tout est soigneusement mis en scène pour exprimer des intentions qui s’accordent mal avec la réalité des actions engagées.
"Organisation politique" versus "organisation d'action"
L’hypocrisie organisationnelle (Nils Brunsson, 1993, 2002), consiste à recourir à la sphère politique (communication institutionnelle) pour faire oublier la réalité des actions menées par l’entreprise. En effet, dans un souci de performance économique, les firmes sont contraintes de répondre à des demandes contradictoires émanant de multiples parties prenantes (institutionnels, partenaires, fournisseurs, clients, collaborateurs…), qui peuvent les conduire à adopter un comportement hypocrite. L’ambiguïté, en octroyant une certaine marge de manœuvre, peut ainsi jouer un rôle positif, en permettant à l’entreprise de se concentrer plus librement sur ses activités.
Les organisations vont pour cela tenir un discours, une image sociale valorisante (posture morale, préoccupations sociétales, comportement éthique) qui peuvent s’avérer en contradiction avec la pratique réelle de l’entreprise. L’organisation politique (discours et politique relationnelle) et l’organisation d’action (décisions et opérations) doivent donc se voir comme des systèmes indépendants qui existent et interagissent, sans se nuire, en vue de positionner l’entreprise de façon efficace et légitime.
Le management de l'hypocrisie permet ainsi à l'entreprise de satisfaire ses finalités organisationnelles et environnementales, en découplant l'organisation politique et l'organisation d'action. L’organisation politique veillera à assurer la légitimité de l’entreprise, tandis que l’organisation d’action sera au service de sa compétitivité.
Les organisations vont pour cela tenir un discours, une image sociale valorisante (posture morale, préoccupations sociétales, comportement éthique) qui peuvent s’avérer en contradiction avec la pratique réelle de l’entreprise. L’organisation politique (discours et politique relationnelle) et l’organisation d’action (décisions et opérations) doivent donc se voir comme des systèmes indépendants qui existent et interagissent, sans se nuire, en vue de positionner l’entreprise de façon efficace et légitime.
Le management de l'hypocrisie permet ainsi à l'entreprise de satisfaire ses finalités organisationnelles et environnementales, en découplant l'organisation politique et l'organisation d'action. L’organisation politique veillera à assurer la légitimité de l’entreprise, tandis que l’organisation d’action sera au service de sa compétitivité.
Les dangers de l'hypocrisie
Mais encore faut-il que cette hypocrisie organisationnelle demeure acceptable (bénigne) et ne soit pas découverte…En effet, il n’est pas rare de voir des entreprises mondialement connues se mettre en danger, lorsque l’hypocrisie est révélée au grand public, comme l’a démontré le cas Volkswagen.
Septembre 2015, l’opinion découvre avec stupeur que Volkswagen, leader du secteur de l’automobile, entreprise prospère à la réputation au-dessus de tout soupçon (« Das Auto »), a procédé à une triche généralisée, en introduisant un logiciel « truqueur » sur ses modèles diesel destiné à contourner les règles mises en place par les organismes d’homologation.
En matière de contradictions, on peut également citer le cas de décisions d’investissements RSE fortement médiatisées et par la suite démenties par des situations avérées de gaspillage ou de fraudes au sein d’entreprises pourtant engagées dans des actions sociales ou humanitaires (cf. scandale Enron).
Septembre 2015, l’opinion découvre avec stupeur que Volkswagen, leader du secteur de l’automobile, entreprise prospère à la réputation au-dessus de tout soupçon (« Das Auto »), a procédé à une triche généralisée, en introduisant un logiciel « truqueur » sur ses modèles diesel destiné à contourner les règles mises en place par les organismes d’homologation.
En matière de contradictions, on peut également citer le cas de décisions d’investissements RSE fortement médiatisées et par la suite démenties par des situations avérées de gaspillage ou de fraudes au sein d’entreprises pourtant engagées dans des actions sociales ou humanitaires (cf. scandale Enron).
Conclusion
La révélation de situations avérées d’hypocrisie organisationnelle doit donc être prise très au sérieux par les entreprises qui doivent éviter toute forme d’arrogance managériale et tenter de détourner rapidement l’attention de l’opinion (humilité et discrétion). C’est d’ailleurs, dans ce sens qu’il convient d’analyser le choix de Volkswagen d’abandonner son slogan phare « Das Auto », symbole trop encombrant du « made in Germany » (qualité, rigueur, professionnalisme) dans le secteur de l’automobile depuis la fin des années 70. Mais de tels scandales sont parfois difficiles à endiguer et une trop forte médiatisation peut causer de réels préjudices pour les entreprises concernées (procédure judiciaire, détérioration de l’image…).
De ce fait, si les travaux de N. Brunsson présentent des limites en créant une séparation parfois fictive entre la sphère politique et organisationnelle, son modèle a le mérite de montrer les contradictions des organisations et la manière dont elles entendent les gérer, avec plus ou moins de réussite.
De ce fait, si les travaux de N. Brunsson présentent des limites en créant une séparation parfois fictive entre la sphère politique et organisationnelle, son modèle a le mérite de montrer les contradictions des organisations et la manière dont elles entendent les gérer, avec plus ou moins de réussite.
Pour aller plus loin
Brunsson, N., The irrational organization: Irrationality as a basis for organizational action and change. John Wiley & Sons, 1993.
Brunsson, N., The organization of hypocrisy: talk, decisions and actions in organizations, Copenhagen Business School Press, 2002.
Meier O. et al., Travailler avec les nouvelles générations, Focus RH, Studyrama, 2012.
Meier O., Gestion du changement, en coll., Dunod, 2007.
Meier O., "L’articulation Droit -Gestion - Sociologie", Séminaire FMSH, 2015. Brunsson, N., The organization of hypocrisy: talk, decisions and actions in organizations, Copenhagen Business School Press, 2002.
Meier O. et al., Travailler avec les nouvelles générations, Focus RH, Studyrama, 2012.
Meier O., Gestion du changement, en coll., Dunod, 2007.
Meier O., Barabel M., Manageor, Editions Dunod, 3ème éd., 2015.