Le pic oil vu par l'industrie pétrolière

Arthur Fournier
16/07/2012


Début juillet 2012, le Belfer Centre, centre de recherche rattaché à la Kennedy School de l’Université de Harvard, diffusait un rapport aux conclusions inattendues sur le thème du pic pétrolier. Ce rapport intitulé Oil, The Next Revolution fait en effet un écho polémique aux débats de la conférence de l’ASPO s’étant tenu quelques semaines auparavant.



Oil : The Next Revolution pourrait faire l’effet d’une bombe parmi les observateurs des enjeux environnementaux. Quelques mois après la réunion de la conférence de l’Association for the Study of Peak Oil and Gas qui anticipe le décrochage de la production pétrolière à 2015, ce rapport affirme que le pic pétrolier n’interviendra pas avant la fin du XXIe siècle. Cette affirmation porte-t-elle pour autant un coup aux thèses de l’ASPO ? Rien n’est moins sûr.
 
C’est que Oil : The Next Revolution donne de nombreux signes de complaisance à l’égard des lobbies pétroliers. Rédigé par Leonardo Maugeri, ancien de la direction de la compagnie pétrolière Italienne Eni, ce document semble en effet de prime abord être moins le fruit d’une recherche purement scientifique que de l’influence d’intérêts commerciaux. Parmi ses principaux financeurs l’étude cite ainsi BP, et le Belfer Center qui a publié l’étude est également étroitement liée à l’industrie pétrolière : ce dernier a en effet été nommé d’après Robert Belfer fondateur de la compagnie pétrolière Belco et est dirigé par Graham Allison qui administre également la Getty Oil Company.
 
Il est certes délicat de mettre en doute l’intégrité d’un centre de recherche rattachée à la prestigieuse université de Harvard. Néanmoins, Il est tout à fait légitime de s’interroger sur la pertinence pour un centre de recherche financé et animé par des représentants de l’industrie pétrolière de publier une étude sur un sujet qui touche directement leurs intérêts économiques. Pour aussi scientifique que puisse être le contenu de Oil : The Next Revolution, pouvait-il conclure à la fin des activités qui font vivre ses rédacteurs ?
 
Malheureusement sans grande surprise lorsqu’on connaît l’origine du document, Oil : The Next Revolution défend la longévité de l’avenir du pétrole et s’en justifie par les progrès techniques à venir en matière d’extraction. « Le pétrole difficile d’aujourd’hui sera le pétrole facile de demain », affirme ainsi Leonardo Maugeri : selon lui, l’exploitation des sables bitumeux ou l’extraction offshore en zone très profonde prolongeront ainsi significativement la durée de vie des réserves mondiales en pétrole.
 
La thèse serait recevable si elle était solidement étayée. Mais c’est la que le bât blesse : l’argumentation de l’auteur repose sur un pari technologique dont l’issue n’a rien d’évident. Par ailleurs, les démonstrations chiffrées présentées par Maugeri dans son rapport demeurent controversées. Elles prennent par exemple pour point de départ des chiffres différents et bien inférieurs à ceux de l’Agence Internationale de l’Énergie pour déterminer le rythme de déclin annuel de la production des puits de pétrole arrivés à maturité sans pour autant s’en justifier. L’étude accuse ainsi indéniablement certaines faiblesses dans sa progression.
 
En bien des endroits, Oil : The Next Revolution semble vouloir contredire l’idée de l’imminence du pic pétrolier, par ailleurs récemment défendue par l’ASPO. Il est toutefois surprenant de constater comment les démonstrations contenues dans ce document choisissent d’ignorer certaines données communément admises sur l’état de la production mondiale de pétrole sans pour autant s’en justifier. Bien qu’étant issus d’un centre de recherche prestigieux, l’étude, ses producteurs interpellent, compte tenu du thème traité, l’attention du lecteur attentif. Il lui incombe donc en dernier lieu d’avoir conscience du caractère polémique de ce document pour en juger correctement.