L'introduction de la RSE au Liban et dans son entourage arabe

Dr Siham Rizkallah
07/11/2016


La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) est un nouveau concept qui se développe progressivement au Liban et dans son entourage arabe visant la contribution au Développement Durable (DD). Ce nouveau concept qui s’avère au centre du débat socio-économique au Liban et dans la plupart des pays arabes voisins reflète des enjeux et des défis majeurs aussi bien pour les entreprises privées que pour les Etats et les sociétés civiles qui devraient accompagner son développement pour en tirer les meilleurs résultats souhaités. Quelles sont les principales initiatives de RSE au Liban et dans son entourage arabe ? Et comment les résultats souhaités sont-ils liés à la collaboration entre les trois entités : secteur privé, secteur public et société civile.



Les débuts de la RSE au Liban

Source: Pixabay
Par définition, la RSE conduit l’entreprise à viser au-delà de son objectif économique traditionnel, qui se traduit par la maximisation du profit, pour tenir compte de l’impact de son activité sur les différentes parties prenantes et sa contribution au DD. Une telle perspective qui favorise la « bonne image » et la « réputation » de l’entreprise aux yeux des différents agents économiques, reflète également l’engagement de l’entreprise à partager une part de ses profits avec la société où elle opère afin d’améliorer son bien –être et son développement.

Dans la majorité des pays arabes, la RSE fait toujours face à une multitude de défis malgré le choc positif réalisé par le sommet arabe de la RSE qui s’est tenu en 2015 et malgré le soutien de l’Etat pour la plupart des initiatives en matière de RSE sauf au Liban où le secteur privé demeure la dynamo du système économique libéral.  Dans le pays du Cèdre, l’introduction et la promotion de la RSE repose toujours essentiellement sur l’initiative libre, facultative et volontaire de certaines entreprises privées qui amènent leurs concurrents du même secteur à les suivre pour préserver leur part de marché.
 
La percée de la RSE au Liban de distingue donc de son entourage par le fait qu’elle résulte d’une initiative libre du secteur privé libanais, quoique l’institution publique Libnor, attachée au ministère de l’Industrie et membre d’ISO internationale a géré un projet d’intégration des critères RSE sur la période 2011-2014. Le statut de Libnor ne suffit pas pour considérer que l’Etat joue un rôle dans la promotion de la RSE au Liban, puisque Libnor a appliqué un programme indépendant financé par l’Agence Suédoise Internationale pour le Développement (ASDI) pour introduire les critères ISO26000 de la RSE dans 8 pays arabes pilotes dont le Liban en plus de l'Algérie, l'Egypte, l'Irak, la Jordanie, le Maroc, la Tunisie, et la Syrie (dont 2 pays se sont retirés: la Syrie et l'Irak) sans aucune décision officielle de l’Etat.
 
Il en résulte que la situation de la RSE au Liban reflète une absence remarquable de collecte d’informations sur la RSE ainsi qu’une difficulté d’accès à l’information et un manque criant de coordination entre les différentes entités concernées par la RSE (chercheurs, professionnels, entreprises, ONG, syndicats, administrations publiques,  médias..). La dispersion de l’information, le manque de coordination et l’absence d’orientation constitue des obstacles majeurs quant à la répartition efficace des interventions sociales des entreprises, la réalisation d’une complémentarité pour répondre aux besoins des parties prenantes et l’évaluation délicate de l’introduction de la RSE aboutissant à la contribution souhaitée au DD. Toutefois l’engagement libre des entreprises privées libanaises, même si parfois sous la pression de la concurrence et la recherche d’augmentation de la part du marché, est prometteur et ne nécessite qu’un effort pour lui assurer le cadre indispensable pour son évolution.

Les autres initiatives arabes de RSE

Un bref aperçu sur l’évolution de la RSE dans les autres pays arabes permet de réaliser une grande différence par rapport au Liban, résultat de l’intervention de l’Etat dans ces autres pays.

Au Bahrein, le ministère de l’Industrie et de Commerce a mis en place un comité d’études des normes internationales ISO26000 et a lancé un guide d’orientation des institutions pour l’intégration de la RSE.

A Oman, les entreprises privées et publiques jouent un rôle social remarquable par l’octroi d’aides aux détenteurs de revenus fixes.
En Jordanie, un Forum jordanien sur la RSE a été lancé pour diffuser les principes de la RSE.

Aux Emirats Arabes Unis, l’Académie des Emirats Arabes Unis pour la RSE a été lancée pour la mise en place de programmes académiques et de sessions de formation sur la RSE.

En Arabie Saoudite, des programmes sur la RSE sont mis en place pour la création de départements de RSE dans les différentes organisations et institutions dans les domaines de l’Education, la santé, la culture, le sport, la formation, la sensibilisation ... en plus de la création du Conseil de la RSE qui s’occupe du soutien des projets de RSE permettant le Développement de la société et la mise en place de ses besoins.

En Egypte, une stratégie nationale pour le soutien et la diffusion des principes de la RSE est déjà mise en place, en plus du lancement de l’indice égyptien de la RSE pour devenir le premier pays arabe qui adopte et applique cet indice.

Au Koweit, les opérations de charité se font toujours à travers des départements internes au sein des entreprises  sans évoluer vers la RSE.

Au Qatar, la RSE est toujours limitée, quelques entreprises se contentent de faire des opérations de charité dans des domaines ciblés.

En Palestine, un fond de la RSE a été créé pour soutenir la société civile et les projets qui permettent le développement.
 

Ampleur et critères de mesure

Ces différents initiatives/tentatives en matière de RSE montrent que les activités de RSE ont augmenté de manière remarquable récemment, toutefois il s’avère rare d’assister à une vraie coordination entre les projets de RSE réalisés et les objectifs de DD souhaités.
Pour cela, il importe de définir l’objectif de la RSE dans ces pays (compenser la défaillance de l’Etat dans la réalisation des besoins de développement socio-économiques, partager les profits avec les parties prenantes pour gagner en termes de réputation et de part de marché, favoriser le développement durable en respectant ses trois piliers : économique, social et environnemental).

Il importe aussi d’étudier l’ampleur de la RSE qui se manifeste par:  Le nombre croissant des entreprises qui ont joint l’accord mondial des Nations Unies qui constitue une initiative politique stratégique pour les entreprises engagées de concilier leurs stratégies avec les principes relatifs aux droits de l’Homme, la protection de l’environnement, la lutte contre la corruption…   La fixation des meilleures pratiques de RSE par la participation des entreprises leaders de manière claire et efficace dans l’orientation de la stratégie de la RSE à l’interne et à l’externe. L’amélioration de la Bonne Gouvernance qui permettrait d’encourager la transparence pour mener un dialogue clair et précis sur les questions relatives à la RSE avec les entités concernées. La création d’un environnement adéquat pour la RSE qui nécessite un rôle encourageant de la part des Etats aux entreprises appliquant la RSE à travers des mesures incitatives (exemptions fiscales, crédits bonifiés à taux d’intérêt réduits..).  L’introduction de la RSE dans les cursus académiques surtout dans les Facultés d’Economie et de Gestion afin de promouvoir ses principes auprès des futurs professionnels et faciliter son intégration dans les stratégies de leurs entreprises. Toutefois, de telles mesures ne peuvent être suffisantes s’il n’y a pas un recours à des référentiels et des dispositifs assurant le cadre nécessaire pour le Développement et l’évolution de la RSE, comme notamment le Global Compact, les normes ISO26000.

Par ailleurs, plusieurs critères de mesure de l’intervention sociale de l’entreprise sont retenus, à savoir : Ratio : Salaires, récompenses, bonus / nombre des salariés Ratio pour chaque employé : coûts de la contribution de l’entreprise aux coûts de formation et de Développement/ somme des salaires payés aux employés Ratio : Nombre d’accidents par an/Nombre d’heures de travail effectif annuel Ratio: Nombre d’employés ayant quitté l’entreprise par an/Total des employés Ratio de mesure des dépenses en recherche et amélioration de la qualité des produits et services/Total des coûts des produits et services Ratio des questions et problèmes auxquelles l’entreprise a répondu/Total des questions et problèmes soulevés par les parties prenantes  Ratio : coûts de contribution de l’entreprise aux activités sociales/ Total des coûts des activités sociales auxquelles l’entreprise a participé Ratio de contribution de la société à la création d’emplois : employés de l’entreprise/ Total des employés dans le pays  Ratio : coûts de contribution de l’entreprise à la protection de l’environnement/ Total budget de Recherche et Développement des entreprises de la région  Coûts de participation de l’entreprise à l’amélioration de l’infrastructure/ Total des contributions des entreprises de la région

Vers un espace de collaboration ?

En conclusion, l’application de critères de référence et de mesure du degré d’introduction de la RSE, l’application de moyens de communication et d’évaluation de la RSE nécessitent une collaboration étroite entre les différentes parties prenantes concernées. Les efforts du secteur privé seul au Liban, le soutien de l’Etat et son orientation principale dans plusieurs pays arabes, les études académiques en l’absence de dialogue avec le monde professionnel et les initiatives dispersées de la société civile par ses différentes ONG ne permettent pas jusqu’à présent de réaliser les résultats souhaités. Reste à voir dans quelles mesures la création d’un espace commun de collaboration entre ses différentes entités est-il possible et permet-il d’améliorer les résultats.

Dr. Siham Rizkallah est Maître de Conférences à l'Université Saint Joseph de Beyrouth, Faculté de Sciences Economiques, spécialisée en Economie Sociale et Economie Monétaire. Dr. Rizkallah est conseillère Economique et Sociale et membre de comités de pilotage de plusieurs projets réalisés par le ministère des Affaires Sociales au Liban, le Centre d’Analyse des Différends et leurs Modes de Solution (CADMOS) au Liban et à l’étranger et par plusieurs ONG locales et internationales qui s’occupent de projets de Développement socio-économique. Elle a aussi plusieurs articles qui se rapportent à la Responsabilité Sociale des Entreprises, le Développement Durable et l’économie sociale appliquée.