ÉCHELLES
Les notions d’ordre et de désordre sont habituellement envisagées à une échelle donnée.
Ainsi, la mécanique statistique décrit comment un ordre macroscopique émerge du désordre microscopique des molécules en agitation thermique. Mais il existe des phénomènes, dis « critiques » où ce désordre microscopique est amplifié, jusqu’à devenir observable à notre échelle.
Des structures fractales et des fluctuations géantes se créent et l’ordre macroscopique est détruit. Exemple : l’aspect opalescent d’un fluide à sa température critique (opalescence due à des fluctuations de densité de tailles comparables aux longueurs d’onde visible). Émerge une nouvelle forme d’ordre, de ce désordre extrême : séparation entre les mondes microscopique et macroscopique. Les propriétés aux différentes échelles sont similaires et se correspondent comme des poupées russes. L’ordre se situe dans cet emboîtement autosimilaire (fractal). Le décrire permet d’expliquer et de prédire les phénomènes.
Stabilisée par des mécanismes de rétroaction, cette forme d’ordre qui « traverse les échelles » pourrait être à l’œuvre dans un grand nombre de systèmes complexes physiques ou biologiques : feux de forêt, tremblements de terre, rythmes cardiaques et cérébraux, métabolisme.
DÉMOCRATIE
L’ordre qualifie les régimes aristocratiques où la société est organisée en groupes hiérarchisés et fermés (noblesse, castes, classes d’âge en Afrique de l’Est).
Le désordre, c’est la panmixie (toutes les unions sont possibles), c’est la possibilité pour chacun d’occuper chaque position sociale, la mobilité sociale, l’égalité des chances et la liberté. Le désordre organise donc puissamment une forme de régime politique qui s’appelle la « démocratie ».
En sciences sociales, l’ordre contraint la société et la tourne vers le passé ; le désordre la pousse vers l’avenir, le changement, le progrès. Tocqueville, Hannah Arendt, entre autres l’ont expliqué. On peut même aller un cran plus loin : l’égalité, la liberté et la démocratie conditionnent et ont créé les sciences sociales pour étudier leurs effets et leurs structures. En ce sens, elles sont les sciences du désordre par excellence.
KRACH
Un krach financier est souvent perçu comme un phénomène chaotique. En réalité, il ne l’est pas du tout ! Au contraire l’ordre est total : tout le monde a la même opinion et vend. Cette période d’ordre est précédée dans le temps par un phénomène dit de « bulle spéculative ». Par un phénomène de « troupeau », les différents intervenants interagissent dans une boucle de rétroaction positive. Ils se téléphonent, regardent les mêmes indicateurs, s’imitent les uns les autres, car ils y gagnent. Ce faisant, ils engendrent la bulle, la renforcent, jusqu’à ce que le marché devienne instable et donne lieu à une correction : le krach par exemple.
Ainsi de l’ordre émerge du désordre. Le marché normal, stable , est en effet paradoxalement désordonné : les agents lancent des ordres tous azimuts. Mais il y a autant de personnes d’une opinion que de l’opinion opposée et cela se compense.
SOCIÉTÉS
Dans certaines sociétés, le désordre fait partie de l’ordre des choses.
Ainsi, dans les cosmologies mayas, les cycles se terminent par une décadence, la mort du système. Puis l’ordre renaît.
En Nouvelle-Guinée, chez les Huli, société qui n’a pas de calendrier, leurs cycles font environs de soixante à cent ans. Beaucoup de rituels sont mis en place pour que le monde ne s’écroule pas dans « un cataclysme cosmique ». Ces cultes qui visent à ralentir, voir repousser le processus de désagrégation de l’ordre cosmique sont très complexes comme chez les Telefolmin (toujours en Nouvelle-Guinée), qui, contre le péril, invoquent leurs grands ancêtres dont ils conservent précieusement les os.
Chez les Baruyas, les choses sont bien différentes. Selon le mythe d’origine, les femmes, de par leur puissance créatrice auraient inventé les arcs et les flèches. Cependant, l'utilisant sans mesure, cette création généra le désordre… et donc la désorganisation… C’est pourquoi les hommes durent les en déposséder… afin que le monde tourne bien.
Les femmes avaient également inventé des flûtes dont le nom secret signifie « vagin », dit autrement le pouvoir de donner la vie.
Dès lors, les hommes durent tenir également les flûtes cachées sinon le pouvoir de donner la vie et de créer des hommes appartiendrait uniquement aux femmes. En somme, chez les Baruyas, les hommes vivent toujours menacés d’un désordre créé par les femmes.
L’ordre Baruya est donc à la fois cosmique, moral, social et sexuel, mais c’est surtout un ordre fondé sur des relations de distances saines entre les personnes. Les différents interdits sur les mauvais usages du sexe – inceste (ne pas faire l’amour dans son clan), l’adultère ou encore la nécrophilie le montrent bien.
Toutes ces limites à ne pas franchir ouvrent sur le désordre. Ceux qui ne les respectent pas savent qu’ils risquent leur vie et la font risquer aux autres.
En définitive, comme le disait l'auteur suédois, Kjell Nordström, « dans une casserole, il y a un désordre apparent, mais si l’on tire sur un spaghetti, on peut le suivre du début à la fin ».
A table !
* J. Basile
Les notions d’ordre et de désordre sont habituellement envisagées à une échelle donnée.
Ainsi, la mécanique statistique décrit comment un ordre macroscopique émerge du désordre microscopique des molécules en agitation thermique. Mais il existe des phénomènes, dis « critiques » où ce désordre microscopique est amplifié, jusqu’à devenir observable à notre échelle.
Des structures fractales et des fluctuations géantes se créent et l’ordre macroscopique est détruit. Exemple : l’aspect opalescent d’un fluide à sa température critique (opalescence due à des fluctuations de densité de tailles comparables aux longueurs d’onde visible). Émerge une nouvelle forme d’ordre, de ce désordre extrême : séparation entre les mondes microscopique et macroscopique. Les propriétés aux différentes échelles sont similaires et se correspondent comme des poupées russes. L’ordre se situe dans cet emboîtement autosimilaire (fractal). Le décrire permet d’expliquer et de prédire les phénomènes.
Stabilisée par des mécanismes de rétroaction, cette forme d’ordre qui « traverse les échelles » pourrait être à l’œuvre dans un grand nombre de systèmes complexes physiques ou biologiques : feux de forêt, tremblements de terre, rythmes cardiaques et cérébraux, métabolisme.
DÉMOCRATIE
L’ordre qualifie les régimes aristocratiques où la société est organisée en groupes hiérarchisés et fermés (noblesse, castes, classes d’âge en Afrique de l’Est).
Le désordre, c’est la panmixie (toutes les unions sont possibles), c’est la possibilité pour chacun d’occuper chaque position sociale, la mobilité sociale, l’égalité des chances et la liberté. Le désordre organise donc puissamment une forme de régime politique qui s’appelle la « démocratie ».
En sciences sociales, l’ordre contraint la société et la tourne vers le passé ; le désordre la pousse vers l’avenir, le changement, le progrès. Tocqueville, Hannah Arendt, entre autres l’ont expliqué. On peut même aller un cran plus loin : l’égalité, la liberté et la démocratie conditionnent et ont créé les sciences sociales pour étudier leurs effets et leurs structures. En ce sens, elles sont les sciences du désordre par excellence.
KRACH
Un krach financier est souvent perçu comme un phénomène chaotique. En réalité, il ne l’est pas du tout ! Au contraire l’ordre est total : tout le monde a la même opinion et vend. Cette période d’ordre est précédée dans le temps par un phénomène dit de « bulle spéculative ». Par un phénomène de « troupeau », les différents intervenants interagissent dans une boucle de rétroaction positive. Ils se téléphonent, regardent les mêmes indicateurs, s’imitent les uns les autres, car ils y gagnent. Ce faisant, ils engendrent la bulle, la renforcent, jusqu’à ce que le marché devienne instable et donne lieu à une correction : le krach par exemple.
Ainsi de l’ordre émerge du désordre. Le marché normal, stable , est en effet paradoxalement désordonné : les agents lancent des ordres tous azimuts. Mais il y a autant de personnes d’une opinion que de l’opinion opposée et cela se compense.
SOCIÉTÉS
Dans certaines sociétés, le désordre fait partie de l’ordre des choses.
Ainsi, dans les cosmologies mayas, les cycles se terminent par une décadence, la mort du système. Puis l’ordre renaît.
En Nouvelle-Guinée, chez les Huli, société qui n’a pas de calendrier, leurs cycles font environs de soixante à cent ans. Beaucoup de rituels sont mis en place pour que le monde ne s’écroule pas dans « un cataclysme cosmique ». Ces cultes qui visent à ralentir, voir repousser le processus de désagrégation de l’ordre cosmique sont très complexes comme chez les Telefolmin (toujours en Nouvelle-Guinée), qui, contre le péril, invoquent leurs grands ancêtres dont ils conservent précieusement les os.
Chez les Baruyas, les choses sont bien différentes. Selon le mythe d’origine, les femmes, de par leur puissance créatrice auraient inventé les arcs et les flèches. Cependant, l'utilisant sans mesure, cette création généra le désordre… et donc la désorganisation… C’est pourquoi les hommes durent les en déposséder… afin que le monde tourne bien.
Les femmes avaient également inventé des flûtes dont le nom secret signifie « vagin », dit autrement le pouvoir de donner la vie.
Dès lors, les hommes durent tenir également les flûtes cachées sinon le pouvoir de donner la vie et de créer des hommes appartiendrait uniquement aux femmes. En somme, chez les Baruyas, les hommes vivent toujours menacés d’un désordre créé par les femmes.
L’ordre Baruya est donc à la fois cosmique, moral, social et sexuel, mais c’est surtout un ordre fondé sur des relations de distances saines entre les personnes. Les différents interdits sur les mauvais usages du sexe – inceste (ne pas faire l’amour dans son clan), l’adultère ou encore la nécrophilie le montrent bien.
Toutes ces limites à ne pas franchir ouvrent sur le désordre. Ceux qui ne les respectent pas savent qu’ils risquent leur vie et la font risquer aux autres.
En définitive, comme le disait l'auteur suédois, Kjell Nordström, « dans une casserole, il y a un désordre apparent, mais si l’on tire sur un spaghetti, on peut le suivre du début à la fin ».
A table !
* J. Basile