Les crises dites « humanitaires » se multiplient et perdurent dans certains pays depuis des décennies. Leurs causes sont multiples et complexes [1]. Les organisations internationales n’ont pas les ressources suffisantes pour répondre aux besoins [2]. Le concept même d’humanitaire perd son sens en dehors de situations d’urgence spécifiques. Il est utilisé à toutes les sauces, même les plus amères. Les acteurs de l’aide savent depuis longtemps que la distinction entre urgence et développement n’est plus adaptée. Qu’ils doivent renforcer leur lien avec les ONG environnementales pour une convergence vers des réponses globales et durables.
L’Organisation des Nations Unies (ONU) tente de s’adapter et multiplie les réformes de ses agences humanitaires. Le premier sommet humanitaire mondial d’Istanbul en 2016 a promu les notions de « localisation » et de « « nexus » avec peu d’effet.
Malgré ces constats largement partagés, le fonctionnement institutionnel de l’aide humanitaire persiste, comme si sa survie dépendait du système d’appels à des financements d’urgence par l’ONU. Comme si nos Organisations de Solidarité Internationales Citoyennes (OSIC) mal appelées Organisation Non Gouvernementales (ONG) n’avaient d’autre choix que de prolonger leur dépendance aux fonds institutionnels et à la générosité du public, qui augmente lors des urgences médiatiques. La survie de leur modèle économique en dépendrait. Leur croissance sans fin serait en jeu.
Vraiment ?
Il existe pourtant une alternative, dont le chemin est déjà tracé. Les Objectifs de Développement Durable (ODD) signés par les 193 pays composant les Nations Unies définissent de manière universelle une cible d’accès aux soins, à l’eau, à l’alimentation qui inclue l‘ensemble de la population mondiale ainsi que des cibles environnementales et de développement socio-économique, validant une vision convergente des réponses aux crises. Dans des états de plus en plus souverains, les citoyens s’engagent en revendiquant leurs droits, dont ceux de deuxième génération, tel le droit à l’alimentation, le droit à l’eau, à la santé.
Face à ces évolutions, les OSIC doivent accélérer leur mutation. Elles peuvent le faire en changeant leur approche, en remettant réellement les personnes au centre de leurs actions. En portant une vision moderne de l’aide, alignée avec les ODD. Car ces droits répondent aux besoins vitaux des populations - Protection (physique et juridique), accès à la santé dans la vision globale de l’OMS (incluant prévention, hygiène, assainissement), accès à l’eau et à l’alimentation, éducation – et ces besoins sont comblés grâce à des services, en général gérés par les états : justice et police, système de santé, politiques agricoles, infrastructures, système éducatif.
Avec cette approche, les crises peuvent être analysées comme des ruptures de continuité dans l’accès aux services par la population : Centre de santé fermé, école détruite, route coupée, marché sans approvisionnement, disparition de la force publique et légale. Elles obligent à mettre en place des moyens de substitution temporaires soutenus par des acteurs externes : les acteurs de l’aide, apportant entre autres moyens logistiques, nourriture, médicament, personnel.
En dehors de situations d’urgence réelles, minoritaires, l’objectif de cette aide doit être de remettre le système en marche, et de recréer les conditions d’un accès permanent aux services de base auxquels les populations ont le droit et que les états doivent fournir. En travaillant par exemple sur le renforcement du système de santé, sur l’amélioration des infrastructures, le recrutement et la formation des personnels, la transition énergétique. Dans les zones où ces services sont absents ou défaillants en permanence, l’aide devrait alors viser à renforcer la capacité de l’état à les rendre disponibles et accessibles à tous et à pouvoir les gérer de manière pérenne.
Cet objectif change les façons d’agir et évite l’uberisation de l’aide. Il demande des analyses fines des contextes et l’implication des acteurs permanents du pays - institutions et société civile - pour proposer des réponses adaptées et viables économiquement. Il renforce la reconnaissance du droit des populations et l’affirmation de l’importance de services publiques de base accessibles à tous grâce à la régulation et au financement de l’état. Il évite l’échappatoire sans fin d’une réponse humanitaire inadaptée donc inefficace, qui dure dans certains pays depuis des décennies avec des résultats non satisfaisants pour la population [3].
Il oblige par ailleurs les états bailleurs, finançant l’aide internationale, à porter une vision globale incluant les questions socio-économiques, environnementales et les questions de gouvernance et de respect du droit trop souvent mises de côté dans les financements d’une aide ponctuelle à un acteur externe.
Pour les OSIC, la réponse doit s’appuyer sur les réalités et les initiatives locales, évitant les « copier-coller » de programmes d’un pays à l’autre. En renforçant la participation de tous les acteurs nationaux et en mettant autour de la table l’ensemble de la société (juristes, économistes, activistes, scientifiques…) pour inscrire dans la législation les réponses efficaces à pérenniser. Et en encourageant des liens directs entre les citoyens qui les soutiennent et ceux qu’ils veulent aider.
Ces transformations profondes de l’engagement citoyen dans l’aide internationale moderniseraient une action qui semble se figer dans une répétitive inefficacité pour ne pas freiner la marche d’un monde économique peu sensible aux plus vulnérables. Elle permettrait de recréer un lien direct entre les citoyens grâce à une action en phase avec les enjeux du XXIème siècle, impliquant les populations et s’appuyant sur des actions de plaidoyer, d’échange de savoir et de renforcement de capacité des acteurs nationaux.
Le modèle de fonctionnement des institutions internationales et des OSIC engagées dans l’action « humanitaire » arrive à un tournant, où un changement profond d’approche est nécessaire pour prendre en compte l’ensemble des causes aux crises actuelles et répondre à la demande d’engagement et de redevabilité des citoyens dans les pays donateurs comme dans les pays recevant l’aide. La vision d’un citoyen au cœur du système, en lutte pour défendre ses droits et les services de base qui lui sont nécessaires répond aux enjeux actuels et apporte des solutions nouvelles à une situation trop longtemps bloquée par un système institutionnel inefficace et des intérêts économiques prédominants.
L’Organisation des Nations Unies (ONU) tente de s’adapter et multiplie les réformes de ses agences humanitaires. Le premier sommet humanitaire mondial d’Istanbul en 2016 a promu les notions de « localisation » et de « « nexus » avec peu d’effet.
Malgré ces constats largement partagés, le fonctionnement institutionnel de l’aide humanitaire persiste, comme si sa survie dépendait du système d’appels à des financements d’urgence par l’ONU. Comme si nos Organisations de Solidarité Internationales Citoyennes (OSIC) mal appelées Organisation Non Gouvernementales (ONG) n’avaient d’autre choix que de prolonger leur dépendance aux fonds institutionnels et à la générosité du public, qui augmente lors des urgences médiatiques. La survie de leur modèle économique en dépendrait. Leur croissance sans fin serait en jeu.
Vraiment ?
Il existe pourtant une alternative, dont le chemin est déjà tracé. Les Objectifs de Développement Durable (ODD) signés par les 193 pays composant les Nations Unies définissent de manière universelle une cible d’accès aux soins, à l’eau, à l’alimentation qui inclue l‘ensemble de la population mondiale ainsi que des cibles environnementales et de développement socio-économique, validant une vision convergente des réponses aux crises. Dans des états de plus en plus souverains, les citoyens s’engagent en revendiquant leurs droits, dont ceux de deuxième génération, tel le droit à l’alimentation, le droit à l’eau, à la santé.
Face à ces évolutions, les OSIC doivent accélérer leur mutation. Elles peuvent le faire en changeant leur approche, en remettant réellement les personnes au centre de leurs actions. En portant une vision moderne de l’aide, alignée avec les ODD. Car ces droits répondent aux besoins vitaux des populations - Protection (physique et juridique), accès à la santé dans la vision globale de l’OMS (incluant prévention, hygiène, assainissement), accès à l’eau et à l’alimentation, éducation – et ces besoins sont comblés grâce à des services, en général gérés par les états : justice et police, système de santé, politiques agricoles, infrastructures, système éducatif.
Avec cette approche, les crises peuvent être analysées comme des ruptures de continuité dans l’accès aux services par la population : Centre de santé fermé, école détruite, route coupée, marché sans approvisionnement, disparition de la force publique et légale. Elles obligent à mettre en place des moyens de substitution temporaires soutenus par des acteurs externes : les acteurs de l’aide, apportant entre autres moyens logistiques, nourriture, médicament, personnel.
En dehors de situations d’urgence réelles, minoritaires, l’objectif de cette aide doit être de remettre le système en marche, et de recréer les conditions d’un accès permanent aux services de base auxquels les populations ont le droit et que les états doivent fournir. En travaillant par exemple sur le renforcement du système de santé, sur l’amélioration des infrastructures, le recrutement et la formation des personnels, la transition énergétique. Dans les zones où ces services sont absents ou défaillants en permanence, l’aide devrait alors viser à renforcer la capacité de l’état à les rendre disponibles et accessibles à tous et à pouvoir les gérer de manière pérenne.
Cet objectif change les façons d’agir et évite l’uberisation de l’aide. Il demande des analyses fines des contextes et l’implication des acteurs permanents du pays - institutions et société civile - pour proposer des réponses adaptées et viables économiquement. Il renforce la reconnaissance du droit des populations et l’affirmation de l’importance de services publiques de base accessibles à tous grâce à la régulation et au financement de l’état. Il évite l’échappatoire sans fin d’une réponse humanitaire inadaptée donc inefficace, qui dure dans certains pays depuis des décennies avec des résultats non satisfaisants pour la population [3].
Il oblige par ailleurs les états bailleurs, finançant l’aide internationale, à porter une vision globale incluant les questions socio-économiques, environnementales et les questions de gouvernance et de respect du droit trop souvent mises de côté dans les financements d’une aide ponctuelle à un acteur externe.
Pour les OSIC, la réponse doit s’appuyer sur les réalités et les initiatives locales, évitant les « copier-coller » de programmes d’un pays à l’autre. En renforçant la participation de tous les acteurs nationaux et en mettant autour de la table l’ensemble de la société (juristes, économistes, activistes, scientifiques…) pour inscrire dans la législation les réponses efficaces à pérenniser. Et en encourageant des liens directs entre les citoyens qui les soutiennent et ceux qu’ils veulent aider.
Ces transformations profondes de l’engagement citoyen dans l’aide internationale moderniseraient une action qui semble se figer dans une répétitive inefficacité pour ne pas freiner la marche d’un monde économique peu sensible aux plus vulnérables. Elle permettrait de recréer un lien direct entre les citoyens grâce à une action en phase avec les enjeux du XXIème siècle, impliquant les populations et s’appuyant sur des actions de plaidoyer, d’échange de savoir et de renforcement de capacité des acteurs nationaux.
Le modèle de fonctionnement des institutions internationales et des OSIC engagées dans l’action « humanitaire » arrive à un tournant, où un changement profond d’approche est nécessaire pour prendre en compte l’ensemble des causes aux crises actuelles et répondre à la demande d’engagement et de redevabilité des citoyens dans les pays donateurs comme dans les pays recevant l’aide. La vision d’un citoyen au cœur du système, en lutte pour défendre ses droits et les services de base qui lui sont nécessaires répond aux enjeux actuels et apporte des solutions nouvelles à une situation trop longtemps bloquée par un système institutionnel inefficace et des intérêts économiques prédominants.
Serge Breysse est médecin avec un diplôme de santé publique. Il a travaillé pendant 20 ans dans des organisations de solidarité internationale en Afrique, en Asie et au sein de leurs sièges. Il a créé et développé le département plaidoyer d’Action Contre la Faim puis un département innovant alliant expertise, recherche et plaidoyer. Il est actuellement directeur du secrétariat de GloPID-R, initiative internationale de financeurs de la recherche dans les épidémies émergentes. Serge est par ailleurs engagé depuis plus de 30 ans dans des activités associatives en France et à l’international. Il a pu participer à nombreuses publications, scientifiques et plus globales, et donne des cours dans plusieurs facultés sur les questions d’aide internationale, de santé globale et de lutte contre la faim.
[1] Bouleversement climatique, conflits, crises sanitaires, inégalités socio-économiques majeures et mauvaises gouvernances.
[2] En 2018, moins de 60% des appels de fonds de nations Unies ont été couverts par les états bailleurs (devinit.org/post/global-humanitarian-assistance-report-2019)
[3] Plus de 80% de l’aide humanitaire va à des pays bénéficiaires sur le long terme (devinit.org/post/global-humanitarian-assistance-report-2019)
[1] Bouleversement climatique, conflits, crises sanitaires, inégalités socio-économiques majeures et mauvaises gouvernances.
[2] En 2018, moins de 60% des appels de fonds de nations Unies ont été couverts par les états bailleurs (devinit.org/post/global-humanitarian-assistance-report-2019)
[3] Plus de 80% de l’aide humanitaire va à des pays bénéficiaires sur le long terme (devinit.org/post/global-humanitarian-assistance-report-2019)