Frédéric Santangelo
Frédéric Santangelo , vous éditez aux éditions du Panthéon : Se taire serait lâche. Pourquoi ce livre aujourd’hui, autour de faits qui se sont déroulés en 1977 ?
Ce livre présente des faits historiques, qui ont une dimension atemporelle. D’un côté, l’on voit comment un État, en l’occurrence la dictature militaire argentine, sous prétexte d’une cause qu’elle présente comme juste, peut en venir à commettre les pires abominations. Y compris contre deux religieuses qui refusaient simplement de se taire face à la détresse de leurs prochains, notamment les mères de la Place de Mai, qui manifestaient afin d’avoir des nouvelles de leurs enfants disparus. On constate combien cette violence est organisée, structurée, « processée ». D’un autre côté, l’on voit que l’être humain peut aussi faire preuve d’un immense courage, au point de renverser des montagnes. On observe également combien la foi, l’amour d’un parent pour son enfant et le désir de justice peuvent donner ce courage. Ce combat entre le courage et la lâcheté est inhérent aux sociétés humaines. Il n’est pas spécifique à l’Argentine de 1977.
Pouvez-vous nous raconter les éléments clés de l’enquête ?
Les premiers à enquêter sont les proches d’Alice Domon, de Léonie Duquet et de leurs compagnons disparus. Pendant de longues années, quasiment toutes les portes se fermeront face à eux, mais ils ne se décourageront pas. D’autres grands protagonistes sont des survivants de l’École de Mécanique de la Marine (ESMA), le camp de concentration où les religieuses ont été séquestrées et torturées avant d’être jetées vivantes d’un avion. Ces témoins auront un impact clé. Il y aura aussi un gros travail de la justice argentine, notamment après le retour de la démocratie. Un avocat de ce pays se dédiera à cette cause avec une grande méticulosité et une immense détermination. La justice et des avocats français se mobiliseront également. De plus, une enquête menée par des étudiants argentins et leur professeur sera décisive, ainsi qu’une recherche effectuée par une survivante de l’ESMA devenue journaliste et un photographe italien. On peut citer aussi l’investigation menée à l’époque par le consulat français, qui s’est réellement bougé pour retrouver les deux sœurs. Enfin, la pression exercée par les familles des religieuses et des autres Français disparus, l’opinion publique française (notamment en Franche-Comté, région d’origine des religieuses) et l’opinion publique argentine après le retour de la démocratie auront un fort impact sur l’avancée des investigations.
Comment la nouvelle génération argentine vit-elle le souvenir de cette époque tragique ?
Le souvenir reste vif pour cette génération. En effet, des milliers de jeunes ne savent toujours pas où se trouvent les corps de leurs parents disparus. Il y a également des dizaines de milliers d’enfants ou petits-enfants d’anciens détenus ou d’exilés politiques. Ils sont très sensibles à la souffrance de ces derniers, qui reste très forte malgré les années passées. Il sont souvent plus à l’aise pour en parler que leurs ainés, qui gardent de nombreux traumatismes. De plus, ils subissent les conséquences économiques de la dernière dictature, qui a fortement affaibli leur pays. D’autre part, un grand effort de justice et de mémoire a été réalisé et continue d’être mené en Argentine. Plus d’un millier de répresseurs ont été condamnés. L’ancien site de l’ESMA, devenu un musée, et de nombreux autres lieux comme le Parc de la Mémoire, situé à Buenos Aires face au Rio de la Plata, permettent de se souvenir de cette époque d’une façon plus apaisée. Cet effort aide à se tourner vers l’avenir.
Quel enseignement tirez-vous de ce fait et pourquoi estimez-vous que se taire serait lâche aujourd’hui, malgré le temps passé ?
L’être humain est parfois capable des pires atrocités. Mais il lui arrive aussi de vaincre la barbarie, sans violence et sans aucune volonté de dominer ou d’asservir. C’est, de mon point de vue, à ce moment-là qu’il devient réellement puissant. Alice Domon, Léonie Duquet, les mères de la place de Mai et tous ceux qui les ont entourées et défendues furent des exemples de cette puissance. On ne peut demander à personne d’avoir le même courage. Il peut parfois être très dangereux de parler. Mais j’estime que, lorsque l’on est témoin d’une violence, il existe toujours un moyen de le faire et que se taire serait lâche.
Ce livre présente des faits historiques, qui ont une dimension atemporelle. D’un côté, l’on voit comment un État, en l’occurrence la dictature militaire argentine, sous prétexte d’une cause qu’elle présente comme juste, peut en venir à commettre les pires abominations. Y compris contre deux religieuses qui refusaient simplement de se taire face à la détresse de leurs prochains, notamment les mères de la Place de Mai, qui manifestaient afin d’avoir des nouvelles de leurs enfants disparus. On constate combien cette violence est organisée, structurée, « processée ». D’un autre côté, l’on voit que l’être humain peut aussi faire preuve d’un immense courage, au point de renverser des montagnes. On observe également combien la foi, l’amour d’un parent pour son enfant et le désir de justice peuvent donner ce courage. Ce combat entre le courage et la lâcheté est inhérent aux sociétés humaines. Il n’est pas spécifique à l’Argentine de 1977.
Pouvez-vous nous raconter les éléments clés de l’enquête ?
Les premiers à enquêter sont les proches d’Alice Domon, de Léonie Duquet et de leurs compagnons disparus. Pendant de longues années, quasiment toutes les portes se fermeront face à eux, mais ils ne se décourageront pas. D’autres grands protagonistes sont des survivants de l’École de Mécanique de la Marine (ESMA), le camp de concentration où les religieuses ont été séquestrées et torturées avant d’être jetées vivantes d’un avion. Ces témoins auront un impact clé. Il y aura aussi un gros travail de la justice argentine, notamment après le retour de la démocratie. Un avocat de ce pays se dédiera à cette cause avec une grande méticulosité et une immense détermination. La justice et des avocats français se mobiliseront également. De plus, une enquête menée par des étudiants argentins et leur professeur sera décisive, ainsi qu’une recherche effectuée par une survivante de l’ESMA devenue journaliste et un photographe italien. On peut citer aussi l’investigation menée à l’époque par le consulat français, qui s’est réellement bougé pour retrouver les deux sœurs. Enfin, la pression exercée par les familles des religieuses et des autres Français disparus, l’opinion publique française (notamment en Franche-Comté, région d’origine des religieuses) et l’opinion publique argentine après le retour de la démocratie auront un fort impact sur l’avancée des investigations.
Comment la nouvelle génération argentine vit-elle le souvenir de cette époque tragique ?
Le souvenir reste vif pour cette génération. En effet, des milliers de jeunes ne savent toujours pas où se trouvent les corps de leurs parents disparus. Il y a également des dizaines de milliers d’enfants ou petits-enfants d’anciens détenus ou d’exilés politiques. Ils sont très sensibles à la souffrance de ces derniers, qui reste très forte malgré les années passées. Il sont souvent plus à l’aise pour en parler que leurs ainés, qui gardent de nombreux traumatismes. De plus, ils subissent les conséquences économiques de la dernière dictature, qui a fortement affaibli leur pays. D’autre part, un grand effort de justice et de mémoire a été réalisé et continue d’être mené en Argentine. Plus d’un millier de répresseurs ont été condamnés. L’ancien site de l’ESMA, devenu un musée, et de nombreux autres lieux comme le Parc de la Mémoire, situé à Buenos Aires face au Rio de la Plata, permettent de se souvenir de cette époque d’une façon plus apaisée. Cet effort aide à se tourner vers l’avenir.
Quel enseignement tirez-vous de ce fait et pourquoi estimez-vous que se taire serait lâche aujourd’hui, malgré le temps passé ?
L’être humain est parfois capable des pires atrocités. Mais il lui arrive aussi de vaincre la barbarie, sans violence et sans aucune volonté de dominer ou d’asservir. C’est, de mon point de vue, à ce moment-là qu’il devient réellement puissant. Alice Domon, Léonie Duquet, les mères de la place de Mai et tous ceux qui les ont entourées et défendues furent des exemples de cette puissance. On ne peut demander à personne d’avoir le même courage. Il peut parfois être très dangereux de parler. Mais j’estime que, lorsque l’on est témoin d’une violence, il existe toujours un moyen de le faire et que se taire serait lâche.