Comment définiriez-vous le risque psychosocial ?
© Emmanuelle Marchadour
Philippe Zawieja : Précisons d’abord qu’il s’agit du risque psychosocial au travail : il existe d’autres risques psychosociaux, comme les addictions, la délinquance, la violence routière, etc., situés à l’interface entre l’individuel et le collectif. En quelques mots, les risques psychosociaux désignent les facteurs susceptibles d’altérer le bien-être et la santé psychologique des personnes en situation professionnelle.
L’existence de risques psychosociaux est sujette à controverse. Pourquoi est-ce le cas ?
Ces controverses sont de moins en moins présentes, me semble-t-il. Mais l’on pourrait par exemple invoquer, contre l’existence des risques psychosociaux, plusieurs arguments. D’abord, l’idée que la souffrance serait en quelque sorte inhérente au travail, consubstantielle à lui. Ensuite, l’on pourrait discuter la pertinence du regroupement de toutes ces modalités de souffrance au travail – harcèlement moral ou sexuel, discrimination sur le sexe, l’appartenance ethnique ou l’orientation sexuelle, burn out, et autres. – sous une seule et même entité : les risques psychosociaux, dont on ne sait plus très bien si elle désigne les causes du problème, ses conséquences, ou différents processus de survenue. Franchement, ces arguments ne sont pas sans fondement ! Mais ils n’enlèvent rien à la réalité de l’existence de ces risques tels que nous les définissions plus haut.
De quelles façons se manifestent les risques psychosociaux en entreprise ?
Question simple en apparence ! Je dirais que les risques psychosociaux se manifestent par différents types d’atteintes ou d’attaques, qui toutes conduisent à une situation de souffrance. Notez que ces attaques portent parfois sur plusieurs « objets » simultanément : atteintes aux personnes dans le cas du harcèlement, des violences physiques ou verbales, des discriminations... ; atteintes aux biens, dans le cas de certains comportements antisociaux – sabotage, coulage, mesquineries en tout genre – ; attaques contre le lien social à ses différents niveaux : entre deux personnes, au sein du groupe plus ou moins large, au sein de la société dans son ensemble, dans le cas du mépris et des pathologies de la reconnaissance, de la placardisation, des discriminations, etc. Je le répète, ces attaques opèrent à plusieurs niveaux, d’où le terme « psychosocial ».
À partir de quel moment le risque psychosocial cesse-t-il d’être acceptable ?
À mon sens, lorsque la situation échappe au contrôle du travailleur. Tant qu’il dépend de vous, vous l’acceptez : vous acceptez de défier les lois de la pesanteur au cours de jeux d’adresse avec vos collègues travailleurs en hauteur, ou vous passez outre les injonctions à porter vos équipements individuels de protection s’il s’agit de démontrer au groupe votre virilité, par exemple. Pour une raison simple : vous avez choisi de prendre le risque. Si les mêmes choses vous sont imposées, elles deviennent inacceptables.
Sous un autre angle, la souffrance au travail devient intolérable dès que, comparant les avantages et les inconvénients qu’il retire de son travail, le salarié n’y trouve plus son compte et qu’il constate une perte de ressources. Ce bilan doit être lu au sens très large : les ressources peuvent être matérielles, ce sont la rémunération, les conditions matérielles de travail, la proximité du domicile par exemple, ou plus symboliques, induite par le renforcement de l’estime de soi, le prestige social, la conformité aux valeurs et idéaux personnels notamment. Les investissements, c’est-à-dire ce que le salarié engage de soi au travail suivent la même logique : son temps, les sacrifices auxquels il consent pour ce travail en particulier, etc. Schématiquement, il y a bien-être ou épanouissement quand le solde est positif, et souffrance quand il se négativise...
Sous un autre angle, la souffrance au travail devient intolérable dès que, comparant les avantages et les inconvénients qu’il retire de son travail, le salarié n’y trouve plus son compte et qu’il constate une perte de ressources. Ce bilan doit être lu au sens très large : les ressources peuvent être matérielles, ce sont la rémunération, les conditions matérielles de travail, la proximité du domicile par exemple, ou plus symboliques, induite par le renforcement de l’estime de soi, le prestige social, la conformité aux valeurs et idéaux personnels notamment. Les investissements, c’est-à-dire ce que le salarié engage de soi au travail suivent la même logique : son temps, les sacrifices auxquels il consent pour ce travail en particulier, etc. Schématiquement, il y a bien-être ou épanouissement quand le solde est positif, et souffrance quand il se négativise...
Quels recours s’offrent au salarié qui s’estime victime d’un risque psychosocial ? Les entreprises sont-elles globalement prêtes à résoudre ces problématiques humaines aujourd’hui ?
La formulation de votre question incite déjà à se situer dans une logique de victimisation, dont il faut se méfier en la matière. L’on sait, par exemple, d’un côté que le burn out a des causes organisationnelles, comme par exemple un harèlement, des pressions teporelles, mais aussi qu’il constitue un facteur de violence et d’agressivité contre les clients ou usagers. Un soignant en burn out qui se serait montré maltraitant envers un patient doit-il être considéré comme une victime ou comme un délinquant ? Il est, dans les faits, les deux !
Pour répondre à votre question, la logique voudrait que les interlocuteurs de référence du salarié s’estimant victime soient, dans l’ordre, son manager de proximité, ou son N + 2 si le N + 1 est impliqué. Puis, si sa demande ne semble pas entendue, les représentants du personnel, le DRH s’il est accessible, et enfin les services de santé au travail. Tant que cela semble possible, la priorité doit être donnée à la coopération et à la négociation.
Plus souvent, et parfois très tard, c’est au médecin de famille du salarié qu’il incombe de constater les dégâts, quand la situation a des traductions psychiques ou somatiques plus concrètes : ulcère gastrique, nausées, fatigue, irritabilité, douleurs diverses sans causes manifestes (dorsalgies, migraines, ballonnements), ce qui peut ouvrir à la voie à un arrêt de travail. Cette solution peut n’être qu’imparfaite : les maux seront pansés, mais la reconnaissance du statut de malade ne répondra qu’incomplètement à la demande de la victime. Surtout, elle ne règle pas du tout la question du retour au travail.
Dans les cas manifestement délictuels – de harcèlement notamment –, la consultation rapide d’un avocat et d’un médecin me semble indispensable. L’avocat balisera le cheminement judiciaire, et le médecin pourra éventuellement attester de l’étendue des lésions psychiques et somatiques, tout en les prenant en charge. Tous les deux bénéficient d’un prestige social qui donneront du poids aux arguments de la victime auprès de son employeur. Ceci dit, je présume toujours la bienveillance de l’employeur et crois — peut-être naïvement — aux vertus du dialogue avant toute autre chose.
Pour répondre à votre question, la logique voudrait que les interlocuteurs de référence du salarié s’estimant victime soient, dans l’ordre, son manager de proximité, ou son N + 2 si le N + 1 est impliqué. Puis, si sa demande ne semble pas entendue, les représentants du personnel, le DRH s’il est accessible, et enfin les services de santé au travail. Tant que cela semble possible, la priorité doit être donnée à la coopération et à la négociation.
Plus souvent, et parfois très tard, c’est au médecin de famille du salarié qu’il incombe de constater les dégâts, quand la situation a des traductions psychiques ou somatiques plus concrètes : ulcère gastrique, nausées, fatigue, irritabilité, douleurs diverses sans causes manifestes (dorsalgies, migraines, ballonnements), ce qui peut ouvrir à la voie à un arrêt de travail. Cette solution peut n’être qu’imparfaite : les maux seront pansés, mais la reconnaissance du statut de malade ne répondra qu’incomplètement à la demande de la victime. Surtout, elle ne règle pas du tout la question du retour au travail.
Dans les cas manifestement délictuels – de harcèlement notamment –, la consultation rapide d’un avocat et d’un médecin me semble indispensable. L’avocat balisera le cheminement judiciaire, et le médecin pourra éventuellement attester de l’étendue des lésions psychiques et somatiques, tout en les prenant en charge. Tous les deux bénéficient d’un prestige social qui donneront du poids aux arguments de la victime auprès de son employeur. Ceci dit, je présume toujours la bienveillance de l’employeur et crois — peut-être naïvement — aux vertus du dialogue avant toute autre chose.
GUARNIERI, F., ZAWIEJA, P., Dictionnaire des Risques Psychosociaux, Seuil, 2014, 888 pages.