Entretien avec Jean-François Tripodi, Directeur général de Carte Blanche Partenaires : "Pour un élan collectif en faveur de la santé visuelle"

RSE Magazine
02/10/2015


Pour Carte Blanche Partenaires, organisme chargé de gérer le parcours de soins de près de 7 millions d’assurés, il est urgent d’agir en faveur de la santé visuelle. Face aux difficultés qu’éprouvent de plus en plus de Français à financer le recours à certains soins, la plateforme santé prend la situation en main avec la volonté affichée de pallier le désengagement de l’Etat dans la prise en charge des questions de santé.



Pour ceux qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous nous rappeler le rôle des réseaux de soins ?

Jean-François Tripodi, Directeur général de Carte Blanche Partenaires
Carte Blanche Partenaires est ce qu’on appelle une plateforme santé, c’est-à-dire une organisation à rôle social mandatée pour piloter et améliorer en permanence la qualité du parcours de soins des assurés, tout en facilitant un accès à des soins de qualité au juste prix.

Or, cet accompagnement qualitatif ne peut se faire de manière efficace qu’avec le soutien de l’ensemble des acteurs des différentes filières de soins. Notre métier est donc de trouver les solutions les plus satisfaisantes pour l’ensemble de ces acteurs impliqués dans la chaîne de soins, depuis les bénéficiaires (les assurés) jusqu’aux professionnels de santé (corps médical, et détaillants d’équipements comme les opticiens) en passant par les Assureurs Santé. L’objectif, au final, est de garantir aux patients une prise en charge optimale sans pour autant laisser déraper les dépenses de santé. La maîtrise des coûts n’exclut pas la maîtrise de la qualité !

Au quotidien, comment cela se traduit-il ?

A travers leur complémentaire santé, les assurés bénéficient d’avantages mis en place ou négociés pour eux par Carte Blanche : tiers-payant généralisé, gestion et dématérialisation des procédures de remboursement, accès aux meilleurs professionnels de santé grâce au contrôle de leurs engagements, accompagnement et prévention…

Cela induit, en amont, une accréditation des professionnels de santé sur la base de critères tarifaires, mais aussi et surtout qualitatifs (qualification, équipements, etc.). Nous conventionnons aussi des professionnels de santé qui acceptent le principe du tiers payant et constituons des réseaux de médecine préventive. Je précise que Carte Blanche Partenaires est un réseau ouvert, ce qui signifie que tous les professionnels de santé sont libres de nous rejoindre. Notre réseau compte aujourd’hui près de 140.000 professionnels de santé.

Le renouvellement de son réseau d’opticiens partenaires est l’occasion pour Carte Blanche d’affirmer une orientation stratégique forte en faveur de l’accès aux soins. Expliquez-nous cela ?

Un nombre croissant de Français renonce aux soins chaque année, faute de moyens. Un récent baromètre établissait que 60 % des Français avaient déjà renoncé aux soins, faute de moyens. Une autre étude montre qu’un senior sur deux a été contraint de différer des soins au cours des deux dernières années. On dit que la santé n’a pas de prix mais elle a un coût, devenu insupportable pour de plus en plus de Français. Comment peut-on ne pas s’en indigner, ne pas vouloir agir ?

Ce renoncement a des conséquences très concrètes sur la vie des Français. Prenons le cas de la santé visuelle : une personne ayant des problèmes de vue, et qui ne bénéficie pas d’équipements adaptés peut rencontrer des difficultés d’insertion professionnelle ou de simple accès à l’emploi. Pourtant, l’égalité des chances passe aussi par là. Pensez également à l’impact du renoncement aux soins et aux équipements visuels en matière de sécurité routière. La santé visuelle est aussi l’affaire de tous.

La situation française est-elle vraiment dramatique au point d’avoir besoin des plateformes santé pour y remédier ?

Nous avons mené une réflexion approfondie chez Carte Blanche Partenaires pour trouver une solution permettant à tous, y compris les Français les plus modestes, d’accéder à de soins de qualité. Tout le monde sait bien que nous assistons à un désengagement progressif de l’Etat dans certains domaines. La santé, hélas, ne fait pas exception à cette tendance de fond qui fait porter aux acteurs privés une responsabilité naturellement plus lourde. Mais comment pourraient-ils s’en affranchir ?

La Cour des Comptes, elle-même, estimait récemment que, pour les équipements optiques, le reste à charge pour les ménages était de 26% environ. Or, le prix moyen d’une paire de lunettes est de 330 euros. Faites vous-même le calcul. Vous rendez-vous compte de ce que représentent ces sommes pour une personne seule percevant le minimum vieillesse? Pour un étudiant ? Ou pour une famille avec 4 ou 5 enfants ? Cette situation n’est pas juste, socialement. 

Donc il appartient à l’ensemble des acteurs de la filière visuelle de faire des sacrifices

Aucun sacrifice ne leur est demandé, bien au contraire. Nous avons conçu une nouvelle offre baptisée Carte Blanche Prysme qui permet aux opticiens de proposer à leurs clients des paires de lunettes de très haute qualité sans reste à charge. Pour cela, il a fallu trouver un modèle économique qui soit favorable à tous les acteurs de la chaîne, à commencer par l’opticien qui est aussi et avant tout un chef d’entreprise, soumis à des contraintes économiques.

Nous avons donc sélectionnés des verres de qualité et négocié des avantages spécifiques pour les opticiens avec trois verriers réputés, et créé une centrale d’achat associative qui fournira les montures. L’avantage de cette structure associative, en renonçant à se rémunérer sur la vente des montures, est qu’elle permet ainsi de préserver les marges des opticiens aux alentours de 60 %. J’ajouterai à cela que nous allons ainsi générer des flux supplémentaires de clientèle chez les opticiens. En effet, nous allons donner aux Français les moins favorisés la possibilité d’acquérir des équipements auxquels ils renonçaient jusqu’à présent faute de moyens. C’est une logique gagnant-gagnant.

En revanche, je tiens à insister sur le fait que notre démarche est totalement désintéressée : Carte Blanche Partenaires ne gagnera pas un euro avec cette initiative et l’ensemble de nos collaborateurs est animé par une seule volonté : celle de mener une action utile dans le domaine de la santé.

Mais tout de même, vous semblez ainsi vouloir vous substituer à certains acteurs de la filière, comme les centrales d’achat, qui pourraient y percevoir une forme de concurrence déloyale ?

Notre unique ambition est de faire correctement notre métier, avec une éthique qui me semble propre aux métiers de la santé. Je comprends que certains acteurs voient d’un mauvais œil l’arrivée d’un nouvel entrant dans la fourniture de montures, car ils craignent que cela affecte leurs intérêts. Mais nous ne sommes pas du tout en concurrence avec eux puisque la volonté première de Carte Blanche est précisément de pallier l’absence de solutions efficaces de prise en charge pour les Français les moins favorisés, tout en améliorant pour tous la qualité des équipements d’optique pour une dépense équivalente. Tandis que les grandes centrales d’achat proposent souvent un catalogue de plusieurs milliers de références, nous proposons seulement 36 montures. Le métier des grandes centrales, c’est la mode, le choix, parfois l’innovation. Notre métier, c’est l‘accès aux soins et la qualité des équipements et du parcours de soins. Au risque de me répéter, nous ne gagnons pas d’argent à travers la vente de ces montures. Par contre, nous sommes très fiers de cultiver une vision sociale de notre métier.

Vous appelez donc les opticiens à s’engager davantage dans l’accès aux soins ?

Les opticiens sont déjà très engagés. Nous partageons avec eux un point essentiel : nous sommes des professionnels de santé et nous avons, de ce fait, une responsabilité sociale forte. Il est pour nous primordial qu’ils s’engagent à nos côtés dans cette démarche citoyenne, car ils exercent un rôle incontournable d’accueil, de conseil, de proximité. Je me réjouis d’ailleurs de l’accueil réservé à notre initiative par une grande partie d’entre eux, y compris par les grandes enseignes.

Il faut bien reconnaître aux opticiens que, compte tenu des conditions actuelles de marché et de remboursement, il leur était parfois difficile, voire impossible, de proposer des équipements hautement qualitatifs sans reste à charge. C’est pour y remédier que l’offre Prysme a été créée. Et je crois sincèrement au fait que c’est au prix d’efforts conjugués, au sein de la filière visuelle, que nous parviendrons à garantir à chacun l’accès aux soins auxquels il doit normalement pouvoir prétendre dans la France de 2015.