Entretien avec Albert Asséraf, Président de Neuilly Nouveaux Médias

Grégoire Moreau
02/07/2014


Les start-ups sont des entreprises fragiles à leurs débuts. Bien consciente de leurs difficultés, la ville de Neuilly-sur-Seine a lancé il y a quatre ans une initiative originale, organisée autour de l'hébergement et de l'accueil de start-ups sélectionnées au sein de grande entreprises établies localement. Baptisée "Neuilly Nouveaux Médias", compte tenu du secteur d'activité visé de façon préférentielle, l'idée commence à faire son chemin en dehors de sa ville natale, en raison de son succès et de son efficacité. Nous avons rencontré Albert Asseraf, Directeur général Stratégie de JCDecaux et Président de Neuilly Nouveaux Médias.



Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’initiative « Neuilly Nouveaux Medias » ?

Neuilly Nouveaux Médias est un concept innovant de pépinière de start-ups en mode distribué, sans équivalent en France. Ce projet, initié par Jean-Christophe Fromantin, actuel député-maire de Neuilly-sur-Seine, fédère autour de lui un certain nombre de grandes entreprises qui soutiennent l’innovation et le développement de jeunes sociétés, œuvrant dans le secteur des nouveaux médias. Sélectionnées après concours, ces start-ups seront accueillies et hébergées gracieusement au sein de grandes entreprises pendant 23 mois. C’est en cela que notre projet se distingue d’un incubateur traditionnel, au sein duquel les entreprises sont réunies sous un même toit.

Comment les jeunes créateurs peuvent-ils en bénéficier ?

Deux fois par an a lieu un concours auquel peut postuler toute entreprise d’Ile-de-France ou d’ailleurs réunissant certains critères : moins de trois ans d’existence, moins de cinq collaborateurs, et une activité liée au sens large au secteur des nouveaux médias. Pour l’instant, chaque session réunit entre 50 et 80 dossiers, qui font ensuite l’objet d’une présélection menée conjointement par deux de nos partenaires : Deloitte et PWC. A l’issue de cette présélection se réunit un jury composé de représentants des grandes entreprises partenaires. Ce jury décide de la sélection finale de deux ou trois start-ups qui seront donc accueillies par autant de grandes entreprises pendant 23 mois.

Tout le long du processus, la sélection des dossiers se fait sur des critères précis et publics. Au-delà des conditions administratives inhérentes au montage des dossiers, nous portons une attention particulière à la qualité des dits dossiers, à celle de ses représentants, et au potentiel de développement de l’entreprise, selon une approche à la fois qualitative et quantitative. Compte aussi naturellement la capacité des candidats à venir soutenir leurs projets devant notre jury.

Quelles sont les contraintes opérationnelles rencontrées par les créateurs, que permet de pallier Neuilly Nouveaux Medias, concrètement ?

A l’origine, l’idée de Neuilly Nouveaux Médias part d’un constat simple mais essentiel : lors de leurs premiers mois d’activité, les jeunes entreprises innovantes doivent se consacrer sur leur cœur d’activité pour mettre toutes les chances de leur côté.

Durant cette période déterminante, elles doivent continuer d’obtenir des financements, trouver des clients pour générer un chiffre d’affaires et donc de la trésorerie, entamer leur production et la distribution, assurer le suivi des premières ventes, entretenir le processus d’innovation… Dans ce contexte, il leur est particulièrement profitable de disposer gracieusement de l’infrastructure matérielle nécessaire à la bonne marche de l’entreprise naissante : locaux, salles de réunion, énergie, internet… La proximité avec le vivier de compétences de l’entreprise hôte peut également permettre à la start-up de se confronter plus sereinement à des problématiques RH, financières ou juridiques, par exemple. Cet accompagnement de près de deux ans permet à ces start-ups de se concentrer sur leur cœur d’activité, sans distractions inutiles, tout en bénéficiant de la proximité avec une grande structure. 

Être estampillé « Neuilly Nouveaux Médias » est-il, en soi, un levier de légitimité pour ces jeunes créateurs qui peinent parfois à pousser les portes ?

D’après les retours que nous avons des start-ups concernées, nous savons que c’est en effet un levier de légitimité important. Les entreprises que nous sélectionnons nous ont expliqué qu’il s’agissait pour elles d’un label très important, facteur de crédibilité auprès de leurs futurs interlocuteurs. Le fait d’être lauréat d’un concours leur permet très souvent de se distinguer parmi d’autres et de se voir ouvrir plus facilement des portes, notamment auprès de grands comptes. Lors de la dernière session, il y a seulement quelques jours, des candidats ont très ouvertement justifié leur candidature, entre autre, par leur volonté d’obtenir ce qui est devenu de notoriété publique un vrai label, facteur de légitimité.

Plaçons-nous maintenant du point de vue de ces grandes entreprises qui parrainent les jeunes pousses. Qu’ont-elles à y gagner ?

Nous sommes un certain nombre d’entreprises à considérer que l’engagement en faveur de l’emploi, de la croissance et de l’innovation en France  est essentiel. C’est d’ailleurs pour cette raison que le cercle des parrains s’élargit progressivement. De plus et cela est également important, les relais médiatiques autour de cette initiative et de la communication réalisée de faire connaître cet engagement. Nombre de nos partenaires mentionnent d’ailleurs leur participation sur la page d’accueil de leur site internet.

Pour mesurer l’intérêt de cette idée pour les entreprises partenaires, il est intéressant de noter que tous les partenaires à l’origine du projet sont toujours sur les rangs, quatre ans après ses débuts. Il n’y a eu aucune renonciation compte tenu de l’efficacité du projet : à une exception près, toutes les start-ups sélectionnées existent toujours, et certaines sont devenues de véritables entreprises qui ont réussi des levées de fonds de plusieurs millions d’euros. Elles comptent pour certaines des dizaines de collaborateurs.

Les grandes entreprises partenaires du projet y perçoivent-elles un instrument de leur RSE ? Est-ce pour elles une façon de mettre en œuvre une RSE de façon plus pragmatique et plus efficiente en faisant appel à leur cœur de métier ?

Parmi les entreprises qui soutiennent cette initiative et font partie de l’association, l’immense majorité a la conviction qu’il est de notre devoir, en tant que grandes entreprises françaises, de soutenir l’innovation et d’encourager la création d’emplois sur des créneaux porteurs. Même si l’activité de la start-up hébergée n’a parfois aucun rapport avec celle de son hôte, le simple fait qu’elle ait pu créer un ou plusieurs emplois, durant la période pendant laquelle elle a été soutenue, nous semble déjà à tous extrêmement positif. Nous tirons une grande satisfaction du fait de soutenir très concrètement l’innovation en France à travers ce projet, tout en encourageant l’esprit d’entreprise. Nous estimons en effet que cela relève de notre responsabilité de grandes entreprises, vis-à-vis de notre environnement économique. 

L’association a-t-elle vocation à se développer dans les années qui viennent ? L’initiative sera-t-elle un jour transposée à d’autres territoires ?

Maintenant que nous avons validé avec succès le principe de ce concept, nous souhaitons en effet passer à la seconde étape, en termes de nombre de partenaires et en diffusion territoriale. Nous avons d’ores et déjà commencé à élargir le périmètre de rayonnement de notre initiative, puisque nous avons été rejoints par GDF, dont le siège social est à la Défense. Nous espérons aller bien au-delà de ce premier pas en dehors de Neuilly, et il potentiellement envisageable d’imaginer à moyen terme le soutien de plusieurs centaines de grandes entreprises partenaires.

Nous avons la conviction que cette initiative est destinée à grandir et à s’étendre à d’autres entreprises et agglomérations. C’est la raison pour laquelle nous continuons de « démarcher » d’autres grandes entreprises. Dans l’immense majorité des grandes villes françaises, les problématiques d’hébergement de start-ups sont de même nature. De la même façon, les grandes entreprises ont la plupart du temps quelques mètres carrés à consacrer à l’hébergement d’un ou plusieurs jeunes créateurs d’entreprises. Nous savons d’après les retours que nous en avons que ce coup de pouce initial constitue une simplification énorme de leurs premiers mois d’activité.

Objectivement, avez-vous déjà identifié des pistes d’amélioration du dispositif ?

Nous avons publié il y a quelques jours une étude exclusive sur les relations entre grands groupes et start-ups, et nous entendons mettre en application un certain nombre d’enseignements tirés de cette étude. Un en particulier a retenu notre attention ; il concerne la teneur et la forme des relations entre start-ups et grands groupes. Cette relation ne peut pas se calquer sur celles que les grands groupes ont entre eux. Nous parlons là très pragmatiquement des délais de rendez-vous, des délais de règlements des factures ou encore de la difficulté à trouver le bon interlocuteur au sein de la grande entreprise. A notre niveau, nous travaillons donc à la mise en place de processus spécifiques, prévus pour faciliter et améliorer la collaboration entre la start-up et le grand groupe. A titre d’exemple, les start-ups nous ont signifié leur intérêt pour un interlocuteur unique au sein de la grande entreprise, capable de les orienter rapidement vers la bonne personne ou le bon service, et d’assurer un suivi réactif de la collaboration.

Sans prétendre à la fonction de conseil auprès des grandes entreprises sur la façon dont elles peuvent améliorer leurs relations avec les start-ups, nous avons néanmoins identifié un certain nombre de pistes d’améliorations sur lesquelles nous souhaitons communiquer. Charge ensuite aux grandes entreprises de tous horizons de s’en inspirer et de mettre ces recommandations en application, si elles les jugent pertinentes.


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Albert Asséraf, 51 ans, titulaire d’une Maîtrise de Sciences et Techniques de l’Information, a commencé sa carrière, en 1985, chez Comecon, société de conseil en publicité extérieure. Il l’a poursuivi au sein de Carat Comecon Affichage où il est nommé, en 1990, Directeur des Etudes et des Outils. En 1993, il devient Directeur Général de Carat Expert Affichage.

De 2001 à 2004, il est Directeur Général de Carat Expert Affichage et Médias Locaux et Directeur Général de Carat Local. En outre, il est depuis 1994 enseignant à l’UFR Communication des Entreprises de Paris XIII en Marketing, Publicité et Médias, et depuis avril 2010, il dispense, au CELSA, un module de « communication urbaine » au sein du Master 2 professionnel “Stratégie de Marque et Communication plurimedia”.

Albert Asséraf est membre du Conseil d’Administration du CESP, Président du Collège Publicité Extérieure du CESP, Professeur Associé au sein du Département Marketing, Publicité et Communication du CELSA Paris Sorbonne, Président de Neuilly Nouveaux Médias et a été Président d’Affimétrie, organisme dédié à la mesure d’audience des supports de Communication Extérieure, pour l’année 2011.

Il est Directeur Général Stratégie, Etudes et Marketing France et membre du Comité de Direction France de JCDecaux.