Pourquoi cet intérêt pour le Japon en particulier dans le cadre de vos recherches sur les rapports entre économie, éthique et culture ?
Carole Doueiry-Verne : Plusieurs volets sont concernés par cette question : il est nécessaire de souligner que le Japon, après la guerre, a commencé de zéro, pour devenir en un laps de temps très court, la deuxième puissance mondiale et la première puissance asiatique. Son économie est devenue donc florissante en cette période-là. Et, lors de la crise financière de 2008, il est surprenant de voir comment les institutions étatiques ont géré les problèmes du pays et des citoyens, en se basant sur l’éthique en dépit de cette période critique. Et si les Japonais ont dépassé toutes leurs difficultés, c’est grâce à leur culture.
Comment la Culture, et donc l’Histoire imprègnent-elles le quotidien des Japonais ?
Le Japon allie par excellence modernité et tradition. Il est fascinant de voir un pays où se côtoient valeurs, traditions et technologie de pointe dans la vie quotidienne des Japonais comme au sein des grandes entreprises.
En froid avec certaines périodes de leur Histoire, comme l'occupation de la Chine pendant la Seconde Guerre mondiale notamment, les Japonais n’ont-ils pas la mémoire sélective ? N’y a-t-il pas un biais intellectuel dans la perception qu’ils ont de leur propre culture ?
La culture japonaise, même si elle partage certains traits communs avec l’Asie en général, la Chine en particulier, reste une culture à part relativement à son organisation sociale.
Comment expliquez-vous, selon l’exemple japonais, un passage réussi d’une culture collective à une éthique individuelle partagée ?
Le collectivisme a commencé au Japon quand toute la famille travaillait dans les rizières. Ainsi, père, mère, enfants participaient à la riziculture. Plus tard, cet esprit collectiviste s’est extrapolé dans les entreprises où l’on observe un esprit d’équipe dont l’un des objectifs principaux est l’amélioration de la productivité. Le collectivisme se reflète quotidiennement chez les Japonais dans leur attachement à leur patrie et ses valeurs, leur esprit d’entraide et de coopération et leur respect du bien-être collectif.
L’occident voit en revanche le Japon comme une société où le collectif tend à l’emporter sur l’individu, avec un rapport très singulier à l’autorité. N’est-ce pas là une entrave ou un frein à l’esprit entrepreneurial et à l’initiative individuelle dans les entreprises ?
En fait, il n’y a pas un système meilleur qu’un autre, car nous avons vu que les deux systèmes – individualiste et collectiviste - ont réussi, mais différemment. Par exemple, les États-Unis sont à tendance individualiste et ce pays est la première puissance mondiale alors que le Japon est à tendance collectiviste et il a été pendant longtemps deuxième puissance mondiale.
Quelle perception les Japonais ont-ils de leurs entreprises et du monde des affaires de manière générale ?
Les Japonais ont conscience que leur système managérial repose sur des valeurs éthiques fortes et combine traditions et modernité. Ils considèrent que, contrairement à d’autres pays, ils ne recherchent pas seulement le gain et le profit.
(1) Culture et Éthique, Regard sur le Japon et les grandes entreprises japonaises, Carole Doueiry Verne et Olivier Meier, 182 pages, éditions VA Press, Versailles, 2014.