Agriculture : entretien avec Christiane Lambert, présidente de la FNSEA

RSE Magazine
06/03/2018


RSE magazine a rencontré la présidente de la FNSEA au Salon de l’Agriculture pour un entretien exclusif sur la situation du secteur agricole en France. Christiane Lambert fait avec nous un tour d’horizon de l’actualité et des défis à venir pour l’agriculture française : la loi sur l’agriculture et l’alimentation de Stéphane Travert, le Mercosur, la PAC, ou encore le projet de réglementation communautaire relative aux engrais.



Le 24 février, vous avez rencontré le Président de la République à l’occasion de sa visite au Salon de l’agriculture. Que doit-on retenir de cette entrevue ?

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Lors de ce déjeuner de travail avec les organisations agricoles, nous avons fait un tour complet des sujets du moment. Nous avons abordé les Etats généraux de l’alimentation et la loi annoncée en Conseil des ministres le 31 Janvier. Cette loi veut répondre à l’objectif énoncé par l’exécutif : trouver des prix rémunérateurs pour les agriculteurs afin de mieux partager la valeur. Celle-ci est très mal répartie aujourd’hui dans la chaîne alimentaire et les agriculteurs voient leur marge baisser année après année. Cette situation ne peut plus durer. Il faut donc recréer de la valeur, et affirmer que l’alimentation a un prix.

Nous avons aussi évoqué le Mercosur et exprimé nos interrogations à propos de cet accord qui laisserait entrer sur notre territoire des produits qui n’ont pas les mêmes règles de production que celles imposées à nos agriculteurs.

L’ambiance dans le secteur agricole a aussi été évoquée, car nous avons le sentiment que la ruralité est délaissée. Les agriculteurs sont les sédentaires de la terre et entretiennent les espaces de notre territoire. L’agriculture est structurante pour les territoires ruraux et nous attachons beaucoup d’importance au maintien d’une agriculture productive économiquement performante et durable d’un point de vue environnemental.

Le Président Macron s’est montré attentif et a pris beaucoup de notes. Tout au long du salon, il a rencontré des interlocuteurs qui ont alimenté sa réflexion. Il est très à l’écoute et commence à mesurer qu’il y a des problèmes non résolus en agriculture, qu’il y a besoin d’alléger les charges, de fluidifier certaines procédures et d’organiser un meilleur retour de valeur aux producteurs.

Le 31 janvier dernier, le ministre de l’agriculture Stéphane Travert a présenté son projet de loi destiné, notamment, à mettre fin à la guerre des prix entre distributeurs et à donner plus de marge de négociation aux agriculteurs. Cette loi vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?

L’engagement de tenir les Etats Généraux de l’Alimentation a été respecté. Le débat était bon et les conclusions unanimes : on ne peut plus continuer ainsi. En ce qui concerne la loi de Monsieur Travert, les têtes de chapitre sont là mais le contenu est trop léger parce qu’il n’y a pas suffisamment de précisions et d’encadrement sur certains dispositifs. Nous avons participé à des auditions et nous travaillons à l’élaboration de propositions d’amendements pour structurer cette loi encore insuffisante à nos yeux. 

En 2017 la FNSEA faisait treize propositions au futur Président de la République pour « redonner un nouveau souffle à l’agriculture française », parmi lesquelles celle de remplacer le « principe de précaution » par le « principe d’innovation ». Pourriez-vous revenir sur les grandes lignes de cette proposition ?

La France est engoncée dans ce principe de précaution inscrit dans la Constitution et appliqué de façon rigide. Il bride complètement les possibilités d’innovation et de recherche. On peut ouvrir trois parapluies chaque fois qu’une innovation apparaît, mais c’est destructeur et cela empêche d’avancer sur certains sujets. Le principe d’innovation que nous préconisons consiste plutôt à penser que beaucoup de nos problèmes d’aujourd’hui se règleront avec la recherche des solutions de demain. On le voit en matière agricole avec l’avènement des robots et des automates dans les vergers qui désherbent sans chimie, par exemple. L’innovation dans tous les domaines est source d’amélioration, et nous vivons très mal le fait que tout ce qui est nouveau suscite autant de levées de bouclier.

L’Europe travaille actuellement à la révision de la réglementation communautaire relative aux engrais, visant notamment à réduire drastiquement le taux de cadmium dans les engrais phosphatés. Dans un communiqué alarmiste pourtant, le Copa-Cogeca* redoute un désastre pour les agriculteurs européens en raison du risque d’instabilité des approvisionnements et d’une flambée insoutenable du coût des engrais. Êtes-vous en discussion avec le ministère à ce sujet ?

C’est une discussion que nous avons certes au niveau national, mais surtout au niveau européen car c’est là que la décision sera prise. De notre point de vue, il est hors de question que la France soit plus stricte que les autres pays européens sur la question du taux de cadmium dans les engrais phosphatés. Il faut rester pragmatique, car ces normes extrêmement strictes pénaliseraient les agriculteurs européens. Les engrais viendront d’ailleurs, comme de Russie par exemple, et ils n’obéiront pas du tout aux mêmes règles. Il faut donc se garder de prendre des décisions intempestives et qui ne s’appliquent que dans certains pays !

Au niveau européen c’est le Copa qui se charge d’exprimer notre position, ainsi que notre bureau européen de l’agriculture française. Il est crucial de tempérer la tendance européenne dont le durcissement est inutile. Malheureusement, il est encore trop tôt pour savoir si les arguments du Copa seront entendus.

Autre sujet sensible, la nouvelle carte des zones agricoles défavorisées de l’UE pourrait bien pénaliser certaines régions françaises. Quelles en seraient les conséquences tant redoutées ?

Les conséquences pour ceux qui sortent de ces zones agricoles défavorisées sont catastrophiques. Je me rappelle par exemple ce jeune agriculteur de l’Ain qui avait gagné le concours des prairies fleuries l’an dernier, et qui est revenu remettre son trophée au ministre Stéphane Travert en lui disant : « je sors de la zone défavorisée, je vais perdre 6 000 euros. Je suis jeune agriculteur, j’ai un revenu de 12 000 euros, vous voyez ce qu’il me reste ».

Depuis le début, nous avons contesté les critères retenus pour définir les zones agricoles défavorisées. Aujourd’hui nous assistons à des sorties incohérentes et il est très difficile d’expliquer à certains agriculteurs pourquoi leur commune n’est plus classée dans la zone défavorisée. Les mesures que présente le gouvernement ne sont pas suffisantes. Il veut maintenir 80% du soutien la première année, et 20% la deuxième année. Ce n’est pas à la hauteur de ce dont les agriculteurs ont besoin. Il faut des crédits structurants et des solutions concrètes pour aider les agriculteurs à aller vers des cultures à plus forte valeur ajoutée, et à investir afin de compenser les pertes de revenu induites par le changement de zonage.

La FNSEA a récemment rencontré Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, pour faire le point sur la PAC. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la politique agricole européenne de façon générale ?

Nous l’avons vue à trois reprises récemment, pour maintenir le budget de la PAC. Le plus important était que le président de la République s’exprime, ce qu’il a d’ailleurs fait, et la France se bat aujourd’hui pour le maintien d’un budget digne de ce nom. Cela sera difficile à cause du Brexit, mais nous souhaitons qu’il soit maintenu parce qu’on ne peut pas demander toujours plus et mieux à l’agriculture, avec toujours moins de moyens.

Les producteurs laitiers, en crise depuis de nombreuses années déjà, sortiront-ils indemnes de l’affaire Lactalis selon vous ?

La crise Lactalis a fait perdre beaucoup d’argent à Lactalis mais n’a pas du tout impacté le secteur laitier. En réalité le secteur du lait vit une mutation, davantage qu’une crise. Il passe d’une conjoncture stable à une conjoncture instable mais cela a commencé en 2007. Il y a eu une embellie en 2007-2008, un effondrement en 2009, à nouveau une embellie en 2014 puis un nouvel effondrement. Le secteur laitier est donc entré dans un cycle, avec ses hauts et ses bas. Or, la difficulté pour les producteurs de lait est d’arriver à piloter leurs exploitations avec ces aléas, qui constituent pour eux un changement de contexte.

Il faut l’appréhender ainsi, et donner aux producteurs de lait les outils fiscaux et financiers pour y faire face. Il faut donner de la résilience aux exploitations pour qu’elles puissent mettre de l’argent de côté quand tout va bien, plutôt que de se sentir contraintes d’investir pour payer moins d’impôts et moins de cotisations sociales. Nous défendons depuis longtemps l’épargne de précaution et le Président Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé sa mise en place récemment, ce dont nous nous réjouissons.


* Communiqué du Copa-Cogeca

"Le Copa et la Cogeca avertissent que le vote du Parlement européen sur la révision de la réglementation communautaire relative aux engrais n'est pas réaliste", 24/10/2017

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